Sans croissance, pas de démocratie
Patrick AULNAS
Depuis le rapport du club de Rome de 1972 (Halte à la croissance ?), la position des écologistes militants reste ambigüe dans le domaine économique. Certains écologistes radicaux sont hostiles au progrès technologique et par suite à la croissance économique. D’autres admettent un certain niveau de croissance, très encadré politiquement. La croissance doit alors être vertueuse. Elle ne doit surtout pas résulter de la poursuite par chacun de son intérêt individuel mais émaner d’une orientation collective définie par l’État. Cette contrainte politique n’est pas vraiment compatible avec la démocratie sur le long terme. En vérité, la démocratie libérale ne peut se maintenir qu’avec la croissance économique. Pourquoi ?
Les deux piliers de la liberté
La démocratie libérale s’est développée sur deux piliers : la liberté politique (pensée, expression, cultes, associations, etc.) et l’économie de marché (propriété privée des moyens de production et liberté d’entreprise). Aucun autre type de démocratie véritable n’a jamais existé. La démocratie antique n’était que très partielle. Celle d’Athènes par exemple reposait sur une petite caste de citoyens, évaluée à environ 10% de la population totale. Les démocraties dites populaires, nées au 20e siècle et se réclamant du communisme, sont des régimes totalitaires excluant liberté d’expression et marché libre.
Avant la liberté d’entreprendre, il n’y avait pas de démocratie. Abandonner l’économie de marché pour des raisons idéologiques a toujours conduit à annihiler les libertés politiques. Mais il faut aller plus loin. L’absence de croissance économique risque fort de conduire à une dictature qui ne dirait pas son nom. Personne, en effet, ne sait diriger démocratiquement une société sans croissance économique.
Rêve d’avenir ou conflit violent ?
La croissance permet de faire rêver à un avenir meilleur pour tous. Politiquement, la gestion de la société devient alors un jeu d’enfant. L’exemple des Trente glorieuses (1945-1974) est particulièrement significatif. Sur ces trois décennies, la croissance a été en moyenne en France de plus de 5% par an et d’un peu moins de 4% aux États-Unis. L’optimisme régnait. Il suffisait de répartir politiquement la richesse nouvelle pour satisfaire la population : allocations de chômage, 3e et 4e semaine de congés payés, augmentation importante des salaires, etc.
D’une manière plus générale, la croissance a été la situation normale en Occident depuis la révolution industrielle. Elle se situait en moyenne autour de 2% au 19e siècle, entrecoupée par des crises conjoncturelles. La grande dépression de l’entre-deux-guerres est concomitante de l’évolution vers la dictature de plusieurs pays d’Europe.
La stagnation de la richesse d’un pays, ou pire sa diminution, conduit inéluctablement à des situations conflictuelles très difficiles à gérer. Il faut alors déshabiller Pierre pour habiller Paul puisqu’il n’existe pas de richesse supplémentaire à distribuer. Par exemple, développer les soins de santé supposera de réduire d’autres dépenses. Sur quelques années, avec des promesses politiques hasardeuses de retour à la croissance, une telle situation peut être maîtrisée ; mais pas sur le long terme historique. Sans croissance, les conflits s’aggravent progressivement, les désordres également et la demande de retour à l’ordre renforce le pouvoir politique au détriment des libertés.
Aucun exemple de démocratie libérale sans croissance pendant plusieurs décennies ne peut être cité. Il faut donc être particulièrement optimiste politiquement ou accorder fort peu d’importance aux libertés pour prôner la décroissance ou même la croissance zéro.
Pas de puissance sans croissance économique
Qu’en est-il à l’échelle géopolitique ? Un pays qui renonce à la croissance économique se condamne à ne plus disposer des moyens financiers nécessaires pour faire progresser son niveau scientifique et technique. La recherche et l’innovation coûtent cher. Elles sont des facteurs essentiels de puissance à l’échelle internationale. Un pays sans croissance est un pays qui régressera inéluctablement sur le plan scientifique et technique. Il sera dominé.
D’autant que les grands fauves de la lutte pour la domination de la planète n’auront évidemment aucun scrupule à l’égard des faibles. Si les États-Unis ou la Chine tablent sur la croissance et que l’Europe s’adonne à l’idéalisme écologiste de la croissance nulle, l’Europe sera rayée de la liste des puissances ayant leur mot à dire dans les relations internationales. Les démocraties n’ont pas le choix. Ou bien, elles conservent leur avance scientifique et technique, ou bien elles perdent leur influence.
Cela ne signifie pas qu’il faille abandonner la démarche écologique. La production d’énergie nucléaire, géothermique, solaire, éolienne repose sur des recherches scientifiques qui évolueront. Par exemple, la fusion nucléaire remplaçant la fission donnera un avantage déterminant à qui la maîtrisera. De même l’économie circulaire visant à recycler les matières utilisées dans la production comporte une marge importante de progrès. Mais une telle démarche n’exclut pas la croissance économique et suppose même une recherche dynamique.
Divagations intellectuelles
Les doutes actuels sur la pertinence du progrès technique ne sont que des rêvasseries de théoriciens. L’idée selon laquelle la technique nous asservit au lieu de nous libérer apparaît comme un concept particulièrement faible. Quelle addiction idéologique a pu pousser certains universitaires à défendre une telle absurdité ? Les esclaves de l’Antiquité, les serfs du Moyen Âge, les journaliers agricoles du 19e siècle étaient-ils moins asservis que les ouvriers d’aujourd’hui travaillant 35 heures par semaine ? Les citoyens des démocraties libérales sont enviés par tous les humains vivant dans la pauvreté et sous l’oppression. Depuis des décennies, certains risquent leur vie pour émigrer vers nos pays riches et libres. Cette réalité est plus convaincante que toutes les divagations intellectuelles.
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