Pourquoi Donald Trump n’a rien compris au 21e siècle ?
13/04/2025
Patrick AULNAS
L’élection de Donald Trump en 2024 bouleverse beaucoup plus le paysage politique que sa première élection en 2016. La brutalité avec laquelle le nouveau président américain a entamé son mandat a surpris. Tant à l’intérieur du pays que dans les relations internationales, la question des libertés et de la démocratie est posée concernant le pays qui a sauvé l’Europe du nazisme au milieu du 20e siècle. Où vont les États-Unis de Trump ? Quittent-ils la démocratie libérale dont ils étaient le porte-drapeau depuis deux siècles ? Trump est -il un fin stratège ou n’a-t-il rien compris au monde du 21e siècle ?
Donald Trump bouscule avec férocité les valeurs occidentales
Au 20e siècle et dans le premier quart du 21e, il était possible de considérer que l’Occident formait un tout. La démocratie politique et l’économie de marché étaient en effet les deux dominantes dans tous les pays rattachés au monde occidental. Pour qualifier ces pays, le terme de démocratie libérale était fréquemment utilisé. Le monde occidental n’était pas une notion géographique mais politico-économique. Le Japon, Taïwan, l’Australie, la Nouvelle-Zélande en faisaient partie.
L’élection de Donald Trump en 2024 laisse planer un doute sur le futur des États-Unis, leader du monde occidental. L’Occident va-t-il éclater ? Il apparaît déjà clairement que les décisions récentes du gouvernement américain remettent en cause l’État de droit à l’intérieur des États-Unis et transgressent des conventions multilatérales à l’extérieur. L’Occident était le modèle universel du respect du droit en institutionnalisant un pouvoir judiciaire indépendant. Il était également l’initiateur des grandes conventions internationales fondatrices des organisations comme l’ONU, l’OIT, l’OMC, etc., visant à remplacer les rapports de force entre États par la négociation et le compromis.
Les États-Unis de Donald Trump s’éloignent déjà des fondements de la démocratie libérale en ne respectant pas les décisions des juges et en étalant au grand jour des prétentions territoriales concernant le Groenland ou le Canada. Fasciné par Vladimir Poutine et son pouvoir autocratique, le nouveau président américain va-t-il faire basculer les États-Unis dans l’illibéralisme, voire l’autocratie ? Il est déjà possible d’affirmer que le respect du droit n’est pas un souci du nouveau président. Le rapport de force dans le cadre d’un deal bilatéral constitue son modèle relationnel.
Le deal trumpien
La méthode de Donald Trump est particulièrement rustique. Voici les termes du chantage : « si vous ne déférez pas à mes injonctions, les droits de douanes de vos exportations vers les États-Unis seront considérablement augmentés ». L’un des premiers cas concerne l’immigration des Colombiens vers les États-Unis en janvier 2025. La Colombie était sommée de rapatrier ses nationaux illégalement arrivés sur le territoire des États-Unis sous peine d’une augmentation des droits de douane de 25% puis de 50%. Elle s’est exécutée prestement. La méthode a été généralisée en mars 2025 à de nombreux pays, mis en demeure d’implanter des usines aux États-Unis au lieu d’exporter.
Cette manière agressive de pousser à la négociation concerne aussi bien les partenaires commerciaux de longue date que les adversaires déclarés ayant l’ambition de supplanter à terme la puissance américaine, en particulier la Chine. L’Union européenne, alliée historique des États-Unis, est ainsi traitée de la même façon que l’Iran ou la Chine. Il est clair que Trump reste le manager brutal du secteur de l’immobilier dans lequel il a fait carrière. Il s’imagine pouvoir appliquer les mêmes méthodes aux relations internationales.
Donald Trump n’a rien compris à l’essentiel
Cette méthode Trump, peut-être efficace en gestion d’entreprise, quoiqu’on puisse en douter, ne le sera probablement pas à l’échelle géopolitique. La diplomatie ne peut éluder les subtilités dues à la complexité des rapports entre États-Nations. Se couper de ses alliés historiques pour faire illusion auprès des électeurs américains les plus crédules ne peut que discréditer un gouvernant. Ce discrédit ne touche pas seulement Donald Trump, mais atteint les États-Unis. Tout citoyen disposant d’une once de rationalité ne peut qu’observer avec effarement les foucades des dirigeants américains. Mais c’est bien le peuple américain (ouvriers, artisans agriculteurs) qui a permis l’élection de Trump. La confiance dans le peuple américain lui-même est donc ébranlée.
Derrière le charivari trumpien actuel se cache aussi un aspect idéologique. Trump est hostile à la mondialisation et s’est entouré de conseillers adhérant à cet impératif protectionniste. Tous ce beau monde pense pouvoir mettre fin à la globalisation planétaire par des moyens politico-juridiques, c’est-à-dire des barrières aux échanges dictées par les États-Unis. Le Président américain a d’ailleurs évoqué récemment un « renouveau civilisationnel ». Si Trump se croit si brillant et si puissant qu’il pense réorienter la civilisation occidentale, il est certainement confronté à un grave problème psychologique. Mais, intellectuellement, ce qui nous intéresse est ailleurs : Trump n’a rien compris à l’histoire récente de l’humanité.
La globalisation économique et financière n’est en effet qu’une conséquence de l’universalisation du patrimoine cognitif de l’humanité. Pour le dire simplement, il faut distinguer les sciences et techniques d’une part et les cultures spécifiques à telle ou telle civilisation d’autre part, comprenant en particulier les diverses religions pratiquées aujourd’hui. Les identités civilisationnelles, voire même nationales, subsistent. Mais mathématiques, physique, chimie, biologie, informatique, etc., et toutes les techniques induites se sont globalisées à l’échelle planétaire du fait de la rapidité de la circulation de l’information. Une innovation pouvait mettre des siècles à traverser les continents, comme par exemple le papier, apparu en Chine dès le 1er siècle mais qui ne commence à être utilisé en Europe qu’au 12e siècle.
Cette lenteur est totalement révolue. Notre époque est celle de l’immédiateté. Les scientifiques publient leurs travaux, les techniques se diffusent en quelques années, les chercheurs et les ingénieurs circulent à travers le monde. La mise en œuvre financière et productive suit, d’où la mobilité du capital et les grands groupes multinationaux. Il est impossible historiquement de revenir en arrière par des artifices politico-juridiques comme les barrières aux échanges. La réglementation et la politique peuvent limiter temporairement la liberté des échanges et ralentir la globalisation, mais en aucun cas l’entraver durablement. Les scientifiques de haut niveau, les ingénieurs, les managers ne peuvent que se défier d’un dirigeant qui emmène son pays sur la voie de l’arriération mentale.
L’humanité a créé une énorme machine scientifique et technique qui oriente désormais son devenir historique. Certains s’en désolent, certains considèrent même que nous sommes soumis à la technologie et non libérés par elle. Mais une chose est certaine : ni la politique ni le droit ne permettront de stopper cette évolution sur le long terme historique.
Autrement dit, le 21e siècle n’est pas trumpien, mais tout le contraire. Donald Trump a manqué l’essentiel. Cette présidence n’est qu’un bref épisode. Comment imaginer que la grande marche vers la liberté entamée par l’humanité voici un peu plus de deux siècles aboutisse au retour de l’obscurantisme ?
Publié sur Contrepoints le 17/04/2025
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