Législatives 2024 : les politiciens ou le peuple ?
17/06/2024
Patrick AULNAS
Après la dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin 2024, le comportement des politiciens professionnels interroge. « Ce n’était pas le moment ». « On a un taré à la tête de l’État » (François Ruffin, LFI). « Une tache sur le quinquennat d'Emmanuel Macron (Raphaël Glucksmann, Place publique). Un tel négativisme à propos d’un appel au peuple en dit long sur l’état d’esprit de la caste qui nous gouverne. Car en démocratie il est impossible de regretter que les électeurs choisissent, surtout lorsque la situation le justifie. Le problème peut être examiné sous différents angles.
Le droit : article 12 de la Constitution
« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. »
Il s’agit d’un pourvoir attribué au seul Président, qui n’a qu’une obligation avant de l’utiliser : consulter le Premier ministre et les Présidents des Assemblées législatives. Le Président n’a pas à justifier sa décision, mais en général, il cherche à sortir d’une situation de blocage à l’Assemblée nationale.
La réalité politique
La majorité relative dont disposait Emmanuel Macron à l’Assemblée rendait difficile le travail législatif. Le comportement irresponsable des opposants, consistant à déposer des centaines ou des milliers d’amendements dans le but exclusif d’entraver la procédure, accroissait encore la difficulté. Enfin, les députés LFI avaient fréquemment un comportement de voyous agressifs, totalement indigne d’élus de la République.
Il est évident que la réalité politique, l’infantilisme parfois violent des élus, justifiait amplement une dissolution.
Le moment de la dissolution
La dissolution a été annoncée par le Président le 9 juin au soir, après la diffusion médiatique des résultats des élections européennes. A ces élections, la majorité présidentielle obtient 14,6% des suffrages exprimés, les candidats placés à sa droite 44% et ceux situés à sa gauche 31,5%. Les opposants déclarés recueillent donc les trois-quarts des suffrages.
Le peuple s’est donc exprimé sans ambiguïté contre la majorité présidentielle. Mais il s’agissait de désigner les députés de l’Union européenne et non ceux de la France. L’abstentionnisme étant élevé dans les scrutins européens (48,5% des inscrits en 2024), les électeurs se prononceraient-ils de la même façon pour une élection législative nationale ?
Dans ce contexte, la dissolution peut être interprétée comme une demande de clarification à destination de l’arbitre suprême en démocratie : le corps électoral. Le moment était bien choisi puisqu’il suivait un vote de défiance à l’égard de la majorité au pouvoir. Il faut alors savoir ce que veut exactement le peuple.
Les apparatchiks, leur hubris et leurs sièges
Evidemment, pour les élus et tous les apparatchiks faisant de la politique leur profession, une dissolution est très contraignante. Il faut à nouveau faire campagne avec le risque de perdre son siège de député et tous les avantages inhérents. L’argent public finançant les partis politiques dépend également des résultats des élections législatives. La tendance naturelle des professionnels de la politique consiste donc à regretter la dissolution, parfois sans l’avouer.
Et il ne faut pas négliger l’hubris ce tout ce petit monde des gouvernants. Une fois élus, donc détenteurs du pouvoir législatif, les députés se considèrent facilement comme les représentants éternels de la République. L’inénarrable Mélenchon l’avait un jour affirmé violemment en contestant une perquisition : « La République, c’est moi ! ». Eh bien non ! La République, c’est nous, les électeurs, le peuple de France. Nous avons confié à des élus, Président, députés, sénateurs, pour un temps limité, la charge de gouverner le pays. Ils le font bien ou mal, avec dignité et hauteur de vue ou avec laisser-aller et grossièreté, comme l’exemple nous en a été fourni de 2022 à 2024 à l’Assemblée nationale. Mais tous ces gens-là sont à notre service, ils ne sont pas nos supérieurs et encore moins nos maîtres. Le peuple doit pouvoir les révoquer par l’élection.
Les extrêmes et leur cynisme démagogique
Il est toujours préférable d’avoir des gouvernants modérés tentant d’appréhender au mieux la situation présente et la meilleure façon d’affronter les évolutions inéluctables. Le pragmatisme des gouvernants est une sécurité pour tous quand l’enfermement idéologique comporte un risque d’aveuglement face au réel.
Il n’est pas pertinent de se réclamer de la nation éternelle quand les grandes puissances se déchirent pour dominer le monde. La petite France de 67 millions d’habitants ne représente pas grand-chose face aux 1,4 milliards de chinois, aux 1,4 milliards d’indiens, aux 333 millions d’américains. Elle n’est qu’un fragile esquif au milieu d’un océan où naviguent d’énormes navires. Il faut donc s’unir pour exister encore dans un siècle et négocier pour tenir son rang. C’est l’indispensable Union européenne.
Mais il est encore plus bête, si cela est possible, de promettre de raser gratis quand le niveau sans précédent des prélèvements obligatoires écrase toute initiative et que l’endettement du pays est abyssal. La mise en œuvre des promesses absurdes du Nouveau Front populaire nous conduirait à la ruine.
Au demeurant, il est clair que ce prétendu Front populaire est une pure alliance électorale concoctée par les partis pour se répartir les sièges. Le programme aberrant élaboré sur un coin de table n’a aucune chance d’être appliqué. Ce faisant, cependant, la gauche modérée a fait un choix : vendre son âme au diable LFI pour quelques sièges de plus. Elle aurait pu, si le courage était une de ses vertus, ne conclure aucun accord avec LFI et négocier des désistements avec la majorité présidentielle en vue du second tour et même probablement en vue du premier. Son indicible médiocrité conduira certains électeurs vers le RN au second tour pour éviter les voyous de LFI.
Logiques d’appareils et intérêt du pays
Nationalistes populistes et post-communistes wokistes sont aussi loin du réel qu’il est possible. Mais c’est évidemment au peuple de trancher et non à la petite cohorte de ceux qui ont été élus pour un temps limité. Regretter la dissolution n’est donc pas possible. Car, maintenant ou plus tard, les extrémistes resteront présents. Il faut vider l’abcès, quitte à faire la démonstration de l’inaptitude à gouverner du RN.
Car si ce parti accède au pouvoir, deux possibilités sont envisageables. Il s’avère incapable de gouverner car il manque de compétences de haut niveau. L’hypothèse est assez peu vraisemblable car il est toujours possible de désigner à des postes ministériels des hauts fonctionnaires ou des alliés provenant de la société civile. Mais encore faut-il disposer d’hommes et de femmes politiques ayant une vision claire du réel et du futur possible.
La deuxième possibilité réside dans l’édulcoration du programme du RN au cours de sa mise en œuvre. Jacques Chirac affirmait cyniquement que les programmes n’engagent que ceux qui les écoutent. Voilà une vérité majeure en politique. Le programme du RN étant totalement irréaliste économiquement, presque autant que celui du Front populaire, le gouvernement en charge de l’appliquer fera certainement preuve d’un grand pragmatisme dans une situation financière et géopolitique très tendue. C’est d’ailleurs ce que l’on peut observer à l’étranger, par exemple en Italie avec Giorgia Meloni.
L’intérêt du pays ne coïncide pas avec les logiques électoralistes des appareils. Ces derniers dramatisent à outrance la situation politique actuelle pour tirer parti de l’émotion populaire, toujours instrumentalisée par les politiciens. Mais nous ne sommes pas en 1933 lorsque Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. Pas de chemises brunes à l’horizon, pas de Troisième Reich français en perspective.
Ajouter un commentaire