Fragilités russes et inconséquences occidentales
04/05/2023
Patrick AULNAS
Les gouvernants russes conservent une conception impériale, très archaïque, de la politique. La domination des États voisins et les annexions territoriales leur apparaissent comme des éléments normaux des relations internationales. A cet égard, la guerre en Ukraine représente un enjeu vital pour le pouvoir russe car son issue détermine le maintien ou non de la dictature. L’Ukraine est partie à la conquête de sa liberté, refusée depuis des siècles par la Russie. Si elle y parvient, d’autres (Géorgie, Biélorussie en particulier) suivront à plus ou moins long terme. Après la chute de l’URSS, la chute de la fédération de Russie risque alors de se produire car le goût de la liberté est contagieux et atteindra enfin, pour son bonheur, le peuple russe.
Ce facteur est un élément important de la politique occidentale très mesurée de soutien à l’Ukraine de Volodymyr Zélensky. Comme toutes les dictatures privilégiant les rapports de force et méprisant le bien-être être de la population, la Russie est un empire fragile, pouvant éclater comme la défunte URSS. Les diplomates occidentaux souhaitent qu’elle évolue mais ne veulent pas qu’elle s’effondre.
Une toute petite économie
Grande par le territoire, la Russie est un nain économique et il convient toujours d’avoir à l’esprit quelques chiffres simples (année 2021, Banque mondiale) :
- PIB de la Russie : 1 778 milliards de $
- PIB des États-Unis : 23 315 milliards de $
- PIB de l’Union européenne : 17 200 milliards de $
Le PIB de la Russie ne représente que 4,3% des PIB cumulés des E-U et de l’UE. L’augmentation des dépenses militaires russes ne peut donc pas aller très loin alors que celles de l’Occident peuvent encore croitre beaucoup. Toute la grande Russie est en économie de guerre dans le but de conquérir un petit bout de territoire à l’est de l’Ukraine. Mais les chiffres comparatifs des dépenses militaires ne permettent pas de croire à une victoire russe. Le SIPRI donne les chiffres suivants pour 2023 :
|
Russie |
USA |
France |
Dépenses militaires (milliards de $) |
109 |
916 |
61 |
% du PIB |
5,9 |
3,4 |
2,1 |
% des dépenses publiques |
16,1 |
9,1 |
3,6 |
L’effort très important de la Russie pour équiper son armée ne lui permet d’atteindre qu’une faible partie des dépenses occidentales. La marge de progression des occidentaux est considérable, surtout pour les pays européens qui s’étaient endormis en comptant sur la protection américaine. Ils se réveillent doucement, très doucement, mais voilà déjà une prise de conscience.
La menace, arme des faibles
La menace nucléaire est une constante de la phraséologie des dirigeants russes depuis le début du conflit en Ukraine. Mais il faudrait une escalade totalement incontrôlée pour que l’utilisation d’armes nucléaires soit envisagée, y compris les armes nucléaires dites tactiques utilisables sur le théâtre des opérations. A l’heure actuelle (avril 2023), il faut donc considérer le ressassement russe sur ce sujet comme des imprécations visant les populations occidentales. Les hommes du Kremlin savent que, dans les démocraties, les gouvernants doivent compter avec l’opinion publique. Susciter la peur permet de diviser les citoyens occidentaux et de modérer le soutien à l’Ukraine, qui serait beaucoup plus dynamique en cas d’unanimisme.
La menace nucléaire n’est donc à ce stade qu’un élément de la guerre hybride que les Russes mènent aussi, par le mensonge, sur les réseaux sociaux. La menace reste cependant l’arme des faibles. Une puissance sûre de sa force et totalement dominante technologiquement n’a aucun besoin de rodomontades parfaitement ridicules. Le simple constat de sa puissance suffit.
La médiocrité technologique
La médiocrité technologique constitue d’ailleurs un autre paramètre de la faiblesse de la Russie. Aucune grande innovation au cours du demi-siècle écoulé n’est à mettre au crédit de la Russie. Les progrès de l’électronique et de l’informatique ont été déterminants pour faire évoluer l’armement, mais ils viennent essentiellement d’Occident. La Chine est beaucoup plus dynamique que la Russie dans le domaine scientifique et technologique, mais elle n’est à l’origine d’aucune innovation majeure pour l’instant. Le monde occidental conserve donc une avance importante dans ce domaine.
Avance technologique et inconséquence occidentale
Ce point est fondamental pour le monde libre. Le dictateur Poutine peut en effet décider de sacrifier la jeunesse russe sur le front ukrainien. Il y parvient en mobilisant dans les territoires éloignés d’Asie par l’appât du gain essentiellement. S’engager dans l’armée revient à tripler ou quadrupler ses revenus et à obtenir une indemnisation très élevée en cas de blessure grave ou de décès. Il serait impossible d’agir de la sorte dans les pays occidentaux. Seule la conviction de lutter pour la liberté ou contre la servitude, permettrait de mobiliser la jeunesse.
La puissance occidentale doit donc provenir d’une suprématie scientifique et technique incontestée. Nous ne formons pas assez de scientifiques, nous ne valorisons pas suffisamment la recherche aux yeux de notre jeunesse. Nous ne mettons jamais en relief dans les programmes scolaires le point essentiel suivant : le progrès est d’abord et avant tout cognitif. Il y a très peu ou pas du tout de progrès moral, mais le savoir-faire technologique a connu une croissance exponentielle depuis deux siècles. Les occidentaux ont été à l’origine de cette évolution vertueuse en associant liberté d’entreprise et libertés politiques pour fonder la démocratie libérale. Notre jeunesse doit comprendre que sa liberté future dépend du progrès technologique occidental. Si une autocratie, par exemple la Chine, dominait science et technologie, notre modèle politique s’effondrerait.
L’idéologie écologiste, conceptualisation politique de la problématique écologique, est à cet égard un problème majeur car elle instille dans la jeunesse un doute permanent sur la pertinence de notre modèle fondé sur la science et la technologie. Cette inconséquence occidentale pourrait conduire à l’assujettissement de ceux qui ont inventé la liberté. Au 21e siècle, les autocraties de toutes sortes ont remplacé le communisme et le fascisme dans le combat éternel entre liberté et servitude. Comme au 20e siècle, le camp de la liberté doit être doté de la puissance militaire nécessaire pour vaincre, ce qui repose sur l’avance technologique.
Les grandes illusions européennes
En doutant de la pertinence de leur modèle, les occidentaux attisent la violence inhérente à tous les pouvoirs autoritaires. Les États-Unis ont maintenu leur puissance militaire par un effort financier important, mais nombreux sont les pays européens qui se sont contentés de s’abriter sous la protection américaine. Distribuer des prestations sociales leur apparaissait plus important que bâtir une armée digne de ce nom. L’époustouflante bêtise de l’expression « dividendes de la paix » le démontre amplement. La France a mieux tenu son rang que beaucoup d’autres avec la politique de Charles de Gaulle mettant en place une force de dissuasion nucléaire. Mais les chiffres sont implacables : les dépenses militaires n’ont cessé de décroître en pourcentage du PIB. En France, de 5,4% du PIB en 1960, elles passent à 2,8% en 1990 et à 2% en 2020.
Toutes les autocraties observent ces atermoiements avec délice. En rêvassant de paix éternelle, les dirigeants européens ont placé leurs pays en position de cibles des dictateurs. Pas assez puissants pour être craints, trop timorés face aux autocraties, livrés à la démagogie électoraliste à chaque scrutin, les pays européens ont perdu le respect de ceux qui ne comprennent que la force. Le mépris de la mafia poutinienne à notre égard s’exprime constamment.
La responsabilité des politiciens européens est ici écrasante. Si les pays d’Europe, même en exceptant l’Allemagne, cas particulier, avaient dépensé ne serait-ce que 4 à 5% de leur PIB en dépenses militaires depuis 1960, jamais la Russie n’aurait osé envahir l’Ukraine. Le problème ne se serait pas posé.
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