Dépenses publiques et dégénérescence démocratique
Patrick AULNAS
Le déficit de l’État est en général présenté dans une optique macro-économique. Le chiffre le plus connu est le pourcentage du PIB. En France, le déficit est compris entre 3 et 6% du PIB, sauf dans les périodes de crises. Ce pourcentage représente le total de tous les déficits des administrations (État, collectivités locales, régimes de protection sociale) en fonction de la production nationale annuelle du pays.
Cette présentation minore aux yeux du grand public l’écrasante responsabilité des politiciens. 3 à 6%, franchement, ce n’est pas si grave ! Voilà ce que pensent sans doute de nombreuses personnes ayant d’autres chats à fouetter que les budgets publics.
Pourtant, la situation est grave car c’est la démocratie qui est en danger.
Un tiers des dépenses non financées
Pour se faire une idée de la responsabilité des politiciens dans ce domaine, il faut faire un autre calcul. La question à se poser est la suivante : le budget voté (par le Parlement ou les assemblées locales) est-il financé par des ressources connues ou accepte-t-on de voter un déficit ? La réponse ne comporte aucune ambiguïté : les élus acceptent de voter d’énormes dépenses non financées.
Le budget général de l’État fournit un exemple très illustratif de l’irresponsabilité qui s’est installée dans la gouvernance publique depuis plusieurs décennies. Voici, depuis quinze ans, les grandes masses du budget de l’État proposées par le gouvernement et votées par le Parlement :
Budget général de l’État par grandes masses
Années |
2009 |
2012 |
2015 |
2018 |
2020 |
2023 |
2024 |
Ressources |
196 273 |
219 657 |
225 779 |
242 910 |
250 667 |
293 781 |
311 917 |
Dépenses |
292 939 |
294 024 |
296 095 |
329 612 |
343 732 |
455 221 |
453 241 |
Déficit |
-96 666 |
-74 367 |
-70 316 |
- 86 702 |
- 93 065 |
-161 440 |
-141 324 |
Déficit en % des dépenses |
33% |
25% |
24% |
26% |
27% |
35% |
31% |
Source : https://www.budget.gouv.fr/documentation/publications-direction/chiffres-cles-budget-letat
NB : le budget de l’État comporte trois parties : budget général, budgets annexes, comptes spéciaux. Seul le budget général a été pris en compte. C’est celui qui comporte toujours un déficit massif.
Les politiciens acceptent donc de voter des budgets comportant des dépenses financées pour un quart à un tiers par des emprunts. Et il ne s’agit pas de dépenses d’investissement. Les emprunts s’accumulent et la dette publique devient insoutenable (3228 milliards d’€ en 2024) car il faut payer les intérêts (plus de 60 milliards d’€ en 2023).
La politique aujourd’hui : acheter des soutiens
Pourquoi présenter un budget totalement déséquilibré, comme celui de 2023, comportant pour une dépense de 100 une ressource de seulement 65 ? Les réponses sont connues : les dépenses sont populaires et les impôts impopulaires. On s’en doutait légèrement. Mais derrière cette formule ressassée, il y a une réalité : la démagogie généralisée.
Les partis politiques ne comportent qu’un très petit nombre de personnes : quelques centaines de milliers sur 67 millions de français. Leurs décideurs sont encore beaucoup moins nombreux : quelques milliers tout au plus. La compétition est féroce entre tout ce beau monde et la tentation démagogique omniprésente. D’autant qu’il existe une multitude d’associations, syndicats, organisations professionnelles, caritatives, humanitaires, etc. qui exercent un lobbying permanent pour obtenir tel ou tel avantage. Cet avantage est en général financier. Il s’agit donc de puiser le plus possible dans l’énorme masse des dépenses publiques. En accordant ces avantages, les politiciens se font des alliés. En les refusant, ils se font des adversaires.
Démagogie financière structurelle
La démagogie dépensière des politiciens, qu’il s’agisse du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif, est devenue structurelle. Il est donc presque impossible d’y résister. Quand les dépenses publiques atteignent 57% du PIB, elles innervent la société tout entière. La tentation de recourir à l’argent public devient une seconde nature. Toute initiative non commerciale apparaît envisageable en « cherchant des financements », selon l’expression courante. Ces financements proviennent alors des dépenses publiques et l’aspect politique prend le pas sur tout le reste. L’appui d’un parti, d’un élu est très utile. La compétition électoraliste est ainsi sous-jacente à tous les choix de dépenses publiques. Les voix s’achètent.
Cette démagogie financière structurelle est présente actuellement dans tous les pays occidentaux. Elle est un stade de la démocratie dégénérescente.
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