LFI : une stratégie suicidaire pour la démocratie
24/07/2023
Patrick AULNAS
La gauche n’existe plus que par la provocation et les manifestations de rue à répétition. Les sociaux-démocrates conservent des positions locales (mairies, conseils départementaux et régionaux) mais sont affaiblis nationalement. A tel point que le Parti socialiste a dû se fondre dans la NUPES pour continuer à exister à l’Assemblée nationale. Le Parti communiste est désormais un petit parti marginal. Les écologistes ont des ambitions politiques fondées sur la transition « écologique et solidaire » jugée inéluctable. Mais comme jamais une transition d’ampleur historique n’a été paisible et « solidaire », on peut parier sans risque que l’avenir politique des écologistes est très incertain.
Il reste donc La France insoumise (LFI), la chose de Jean-Luc Mélenchon. Le pas en arrière du leader historique, qui n’a pas souhaité se représenter aux législatives de 2022, n’a pas permis l’émergence d’une autre personnalité. LFI a donc toujours la stratégie révolutionnaire conçue par Mélenchon il y a plus de dix ans. Comment se manifeste-t-elle ? Quel est son fondement politique ?
La tactique : « tout conflictualiser »
L’observation des deux dernières années suffit pour comprendre la tactique politique de LFI. Il s’agit de conflictualiser à outrance, de radicaliser les positions afin de rassembler des mécontents. Voilà de l’hyperclassique pour une formation politique se prétendant révolutionnaire.
On a donc vu LFI « bordéliser » l’Assemblée nationale pour s’opposer à la réforme des retraites de 2023. Il s’agissait d’un choix revendiqué. Les insoumis soutiennent toutes les manifestations écologistes radicales, par exemple l’opposition extrêmement violente du 25/03/2023 à la réserve d’eau (dite méga-bassine) de Sainte-Soline, pourtant parfaitement légale. La loi ne compte pas, l’État de droit doit être méprisé.
L’exemple le plus significatif reste cependant le soutien apporté par LFI aux émeutes de fin juin et début juillet 2023 à la suite de la mort sous les balles d’un policier d’un jeune délinquant de 17 ans (Nahel Merzouk) roulant sans permis dans une voiture de luxe en location et ayant déjà eu maille à partir avec la police à de multiples reprises. Ces émeutes de jeunes individus issus des quartiers défavorisés ont abouti à la dégradation d’écoles, de crèches, de mairies, d’agences bancaires, de commerces, de mobilier urbain, etc. Des pompiers, des policiers ont été pris pour cibles avec l’intention de tuer. Des mortiers d’artifice ont été utilisés par les émeutiers, ce qui suppose une préméditation.
Les déclarations des politiciens LFI constituaient des encouragements à la violence. Ainsi, le député David Guiraud déclarait le 29 juin 2023 : « Je n'appelle pas au calme, j'appelle à la justice. ». J.-L. Mélenchon, après trois nuits d’émeutes, appelle à « ne pas toucher aux écoles ou aux bibliothèques, notre bien commun. » Autrement dit, vous pouvez détruire le reste.
Dès 2012 déjà, Mélenchon appelait dans un discours à « tout conflictualiser […] pour transformer un peuple révolté en peuple révolutionnaire. » La tactique est donc clairement affirmée depuis plus de dix ans.
La stratégie : les nouveaux damnés de la terre
Cette tactique de radicalisation des « luttes » repose sur une analyse stratégique de 2011 de la fondation Terra Nova, d’orientation sociale-démocrate. Dans un document intitulé Gauche : quelle majorité électorale pour 2012, Terra Nova constatait que l’électorat ouvrier avait largement abandonné le parti socialiste. Il fallait donc trouver de nouveaux électeurs ou disparaître. La construction d’une « nouvelle coalition » était proposée. Elle rassemblerait les « diplômés », les « jeunes », les « urbains », « les minorités et les quartiers populaires ».
Grosso modo, le Parti socialiste en était resté au schéma marxiste de l’opposition entre la bourgeoise possédante et le prolétariat exploité. Une petite mise à jour avait eu lieu pour accompagner l’évolution sociologique du 20e siècle. Les salariés modestes remplaçaient l’ancien prolétariat, le capitalisme restant l’ennemi. Mais l’émergence d’un nouveau lumpenprolétaraiat issu de l’immigration et du chômage de masse avait bouleversé le paysage politique sans que les socialistes en tiennent compte. Malgré l’analyse de Terra Nova, ils ne feront pas d’aggiornamento et courront à leur perte (Anne Hidalgo : 1,75% à la présidentielle 2022). C’est Mélenchon qui s’en chargera.
Immigrés récents et LGBT+
La catégorie la plus importante préconisée par Terra Nova est représentée par « les minorités et les quartiers populaires ». C’est là que LFI compte trouver une base politique durable et croissante. Numériquement, l’essentiel de cette population est constituée des immigrés des dernières décennies, d’origine africaine ou proche-orientale, et de leurs descendants. Ce sont majoritairement des musulmans.
Il faut ajouter les minorités sexuelles regroupées désormais sous le sigle LGBT+ (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres). Le signe + signifie que la liste peut s’étendre à l’infini vers des sous-groupes très innovants (trans, queers, intersexes, etc.). Les effectifs ne sont pas si réduits qu’on pourrait l’imaginer, d’où les positions affichés de LFI en faveur de ces minorités. Selon un sondage IPSOS de 2023, un français sur 10 environ se déclare LGBT+.
L’encadrement peut être puisé dans le milieu associatif, syndical ou enseignant parmi les diplômés et les urbains auxquels fait référence Terra Nova.
Une immigration massive, gage de réussite à terme
Dans l’esprit des dirigeants de LFI, l’immigration massive est donc une opportunité politique. L’obtention de la nationalité française étant assez rapide, les immigrés représentent un potentiel électoral important. LFI joue un jeu extrêmement dangereux de dénonciation systématique d’un prétendu racisme. Mais le mot a perdu toute signification précise par une approche purement sociologique. La fameuse islamophobie permet de victimiser les musulmans nouvellement arrivés et de les rassembler sous la bannière LFI se posant en héraut de la justice. Il s’agit d’un pur opportunisme politique.
La contrainte d’assimilation (se fondre dans la population du pays d’accueil en respectant ses usages) a été abandonnée depuis une cinquantaine d’années. L’exigence d’intégration (respecter les lois de la République) a elle-même volé en éclat avec les doubles nationalités systématiques (par exemple français et algérien ou turc) et les violences croissantes contre tous les symboles de la République. Cette politique suicidaire menée depuis un demi-siècle par nos gouvernants de droite ou de gauche conduit au séparatisme des immigrés. Celui-ci est encouragé par LFI avec un cynisme assumé.
Une stratégie conduisant à l’autocratie
Cette stratégie attrape-tout consistant à fédérer des minorités se posant en victimes paraît dérisoire par rapport à celle de la social-démocratie d’antan. Cette dernière touchait une large classe moyenne bien intégrée économiquement (emploi stable) et culturellement (valeurs démocratiques occidentales). La stratégie de LFI cherche au contraire à rassembler des personnes en situation économique précaire (chômage, emploi instable, temps partiel, etc.) et en décalage culturel (tentation de l’islamisme radical, infériorisation des femmes par la tenue vestimentaire, dérives wokistes diverses, etc.). La positivité sociale-démocrate et la croissance économique due au capitalisme ont abouti à une société socialiste avec un État omniprésent redistribuant par les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques des masses financières colossales. Le négativisme des insoumis conduit à des conflits sans issue historique. En effet, la croissance économique restera probablement très faible et il n’est pas exclu, du fait de la tentation écologiste, que des périodes de récession majeure apparaissent.
De telles perspectives ne permettent pas de donner l’espoir fallacieux qui est le propre des révolutions. La désespérance, très apparente dans les milieux défavorisés, aboutit en général à l’autocratie car le peuple se donne un chef apparaissant comme un dernier recours. Il n’est donc pas abusif de considérer que LFI, formation étatiste, nous conduit à la dictature. Ce ne sera sans doute pas la sienne, mais celle de ses adversaires.
Commentaires
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- 1. Ju Le 03/11/2023
Sociale démocrat(i)e. Social libéral(e)isme Serait plus adapté. Les mots ont un sens.
"Cette tactique de radicalisation des « luttes » repose sur une analyse stratégique de 2011 de la fondation Terra Nova, d’orientation sociale-démocrate. Dans un document intitulé Gauche : quelle majorité électorale pour 2012, Terra Nova constatait que l’électorat ouvrier avait largement abandonné le parti socialiste"
En fait oui et non, elle constaste qu´il a "disparu" avec la désindustrialisation et inclus le vote communiste dans le vote de gauche puis ensuite s´approprie ce dernier dans le vote PS qui aurait un monopole de la gauche, enfin de ce qu´il en reste. Fine manipulation qui en pratique ne trompe pas vraiment son monde sauf ceux qui en envie de faire semblant d´y croire.
Le PS n´a donc jamais perdu son électorat et a su capter le vote immigré par ailleurs. Ce sont les communistes qui se sont s´effondrés, le PS pensait (et le NPS LFI pense) récupérer la mise. En vain.
D´ailleurs j´admire Mélenchon pour avoir réussi à faire la nique au PS et ce en appliquant leur stratégie tant décriée et si peu assumée. Tous les éléphants-aux à pleurer d´avoir été mis au chômage, mais quel régal !
Quand aux conséquences disons pour le pays. Aucune, LFI n´est qu´un sous produit des politiques précédentes du bloc central au pouvoir depuis Pompidou ou Giscard, ce que tu appelles "sociale-démocratie". Donc je partage ton excellente conclusion "Ce ne sera sans doute pas la sienne, mais celle de ses adversaires".
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