L’école de la République : de l’égalité à l’égalitarisme
11/09/2023
Patrick AULNAS
Depuis une cinquantaine d’années, les politiciens français ont choisi de sacrifier l’école de la République sur l’autel de l’égalitarisme. Cette école ne cherche pas à rendre l’apprentissage le plus efficace possible mais au contraire à empêcher chacun de progresser à son rythme. Les meilleurs ne doivent surtout pas prendre leur envol car l’égalité serait rompue. Il faut donc leur couper les ailes. Sectorisation, collège unique, programmes uniformes, tout a été fait pour masquer une réalité : l’hétérogénéité sociale. L’école s’adresse donc à un élève théorique, défini politiquement. Elle refuse la diversité des acquis culturels et des capacités cognitives. C’est une longue histoire. En voici un résumé.
La politique contre la pédagogie
Commençons par le commencement. Si la pédagogie consiste à favoriser l’acquisition des savoirs, quelle est la condition préalable à toute bonne pédagogie ? Il faut que l’enseignement s’adresse à un groupe d’élèves ou d’étudiants aussi homogène que possible. Allez dans une école de musique, dans une école de ski, dans n’importe quel organisme de formation, la démarche première consiste à tester le niveau des élèves et à les regrouper par niveau.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’Éducation nationale refuse cette condition basique de l’apprentissage depuis de nombreuses décennies. L’hétérogénéité des groupes a été sacralisée. Pourquoi ? Parce que la structure Education nationale, c’est-à-dire le ministère concerné, dépend directement du pouvoir politique et que celui-ci a fait croire au progrès de l’égalité par le nivellement cognitif. Le narratif politicien se réclame de la parfaite égalité de l’école. L’école de la République est juste parce qu’elle traite tous les élèves exactement de la même façon, sans tenir compte de leurs spécificités.
Ce concept de justice égalitariste n’est évidemment que de la poudre aux yeux. La diversité sociale ne peut être éludée. En s’opposant à toute adéquation entre le système éducatif et la réalité sociologique, les gouvernants ont conduit l’Education nationale à l’échec en cinquante ans environ. Ils n’en ont que faire. La prochaine élection avec ses promesses électoralistes d’égalité a plus d’importance pour eux que la vérité.
La merveilleuse révolution pédagogique ou le monde à l’envers
Mais comment prétendre qu’il est possible d’être pédagogiquement efficace avec des groupes d’élèves totalement hétérogènes ? A cœur vaillant rien d’impossible ! Il suffit d’affirmer, contre toute évidence, que l’hétérogénéité des groupes est préférable pédagogiquement à leur homogénéité. On trouvera suffisamment de propagandistes intéressés pour diffuser ce précepte pédagogique révolutionnaire. Ce fut le cas.
Toute la technostructure éducative publique (inspecteurs généraux, inspecteurs pédagogiques, administration) a donc prôné la « pédagogie différenciée ». Cette pédagogie consisterait à disposer à tout instant de plusieurs niveaux de formation pour chaque groupe. L’enseignant doit adapter son enseignement aux niveaux variables des élèves de sa classe. Si, pour trente élèves, il est possible de distinguer quatre niveaux, il appartient à l’enseignant de proposer quatre cursus différents. En pratique, c’est impossible et cela n’a pas eu lieu. Malgré les instructions officielles, très rares sont les enseignants qui se sont pliés à cette absurdité. D’où un alignement de l’enseignement sur un niveau moyen-faible pour ne pas abandonner à leur sort les trois-quarts des élèves. D’où une impossibilité pour les meilleurs d’exploiter leurs capacités.
L’hypocrisie politique a donc interdit l’efficacité pédagogique. Il s’agissait et il s’agit encore pour les politiciens de prétendre que l’école donne des chances identiques à tous et permet de construire une société égalitaire. Les principaux syndicats d’enseignants, positionnés politiquement à gauche, n’ont pas contesté le principe égalitariste mais demandé à cor et à cri, pendant des décennies, des moyens supplémentaires pour atteindre l’objectif.
L’égalité au rabais, c’est pour les autres !
Mais le mammouth Éducation nationale a aussi imposé des contraintes structurelles. La structure centralisée du système éducatif (1 200 000 salariés) supposait un nombre réduit de catégories d’établissements (écoles, collèges, lycées, universités et grandes écoles) aux programmes d’enseignement uniformes. Seule une forte décentralisation aurait permis de tenir compte de la diversité sociale. La réforme la plus emblématique à cet égard fut celle du « collège pour tous » réalisée par René Haby, ministre de l’Éducation nationale de 1974 à 1978 (septennat de Valéry Giscard d’Estaing). On parlera par la suite dans les médias de « collège unique ». L’ambition naïve du ministre consistait à poursuivre la démocratisation de l’école élémentaire par un premier niveau d’enseignement secondaire (quatre années) accueillant toute la jeunesse du pays.
Cette louable ambition était politiquement porteuse mais sociologiquement absurde. L’enseignement élémentaire est en effet principalement un apprentissage presque technique (lire, écrire, compter) qui peut s’adresser à tous de la même façon. Mais l’enseignement secondaire présentant un caractère éminemment culturel, il faut nécessairement tenir compte du fossé cognitif entre les élèves pour élaborer des programmes différenciés adaptés à chacun. Le programme unique pour tous les enfants du pays peut se concevoir dans l’enseignement élémentaire mais il est totalement inadapté à l’enseignement secondaire. Sauf évidemment s’il s’agit d’un simple affichage politique, ce qui était le cas.
La classe dirigeante n’est en effet pas affectée par le soi-disant collège unique. Même avec des programmes identiques, la sectorisation géographique maintient des différences majeures entre le niveau d’enseignement dans les banlieues pauvres et le 16e arrondissement de Paris. L’enseignement privé et ses établissements élitistes constituent également un recours. La politique définie par les gouvernants pour le peuple de France ne concernait donc absolument pas les familles des décideurs. Elles avaient d’autres solutions.
Tenir compte du réel
Restons-en là. Il n’est certes pas facile de diffuser à la fois culture, formations scientifiques, techniques et professionnelles de façon à permettre à chacun de valoriser au mieux ses aptitudes. Mais une chose semble évidente : il convient de tenir compte du réel. Masquer une réalité sociale très inégalitaire par un discours politique trompeur ne peut aboutir à terme qu’à l’échec. Nous y sommes. Le conte de Voltaire à l’issue heureuse proposé par nos politiciens se transforme sous nos yeux en tragédie grecque.
Publié sur Contrepoints le 10/09/2023
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