École : Instruire et éduquer

22/11/2023

Patrick AULNAS

Définir le contenu des programmes d’enseignement n’est pas simple. Il faut choisir et donc éliminer. Les priorités sont variables selon les milieux sociaux, les croyances idéologiques ou religieuses, les engagements politiques. Mais le choix fondamental reste toujours le même. Dans une démocratie, l’école doit-elle instruire ou éduquer ? En réalité, il faut nécessairement répondre : les deux, mon général. Tout est une question de nuances dans ce domaine.

 

Pas d’instruction sans éducation

Que l’on se situe au cours préparatoire ou à l’université, tout contenu d’enseignement comporte un aspect éducatif. Apprendre à lire ou à compter, c’est s’astreindre à des exercices répétitifs. Un enfant libre de ses choix abandonnerait vite. La discipline du groupe classe et la pression institutionnelle du système d’enseignement produisent un effet éducatif. La nécessité unanimement reconnue de savoir lire et compter dans les sociétés du 21e siècle fait naître une adhésion de l’enfant, qui n’est pas naturelle, mais éducative.

Enseigner la philosophie, c’est davantage éduquer qu’instruire. Mais l’économie, le droit et tutti quanti ne peuvent s’enseigner sans la dimension éducative. Supposons, en droit, un revirement de jurisprudence important. En le commentant, faut-il s’arrêter à l’aspect purement juridique ou envisager également les implications sociales, politiques, philosophiques ? La réponse va de soi : il faut élargir la thématique car le droit n’est pas une simple technique mais comporte des choix sous-jacents.

 

Et la liberté éducative ?

La liberté éducative des parents n’est pas totale, puisque la société et sa structure politique, l’État, définissent les programmes d’enseignement. Mais l’extension indéfinie du domaine des programmes officiels et surtout les choix idéologiques qu’ils comportent peuvent aboutir à une élimination de facto de la liberté éducative.

Un seul exemple suffira. Un collectif d'associations a publié récemment en France un livre blanc pour « rendre effective » l'éducation à la sexualité « tout au long de la scolarité ». Des contenus précis sont suggérés : « l’histoire des acquis féministes, les avancées scientifiques révélées par des femmes, la littérature des femmes et personnes LGBTQIA+ ».

Une telle proposition comporte à l’évidence une orientation idéologique concernant le féminisme et le concept de genre. Il est clair qu’il n’appartient pas à l’État de faire des choix sur des sujets aussi controversés que le féminisme radical ou l’influence respective du genre, déterminé sociologiquement, et du sexe, déterminé biologiquement. On rappellera une évidence souvent oubliée : la détermination génétique du sexe, à laquelle Homo sapiens ne peut échapper. Les mâles possèdent un chromosome sexuel X et un chromosome Y, alors que les femelles possèdent deux chromosomes X. La société peut certes influer sur les comportements masculins et féminins, mais aucun traitement hormonal, aucune opération chirurgicale ne modifiera le génome. Il faut donc apprendre aux enfants que nous sommes soit homme, soit femme.

 

L’éducation idéologique, rêve éternel

L’exemple précédent est intéressant car il permet de comprendre que l’instruction doit précéder toute réflexion éducative. Il faut d’abord enseigner la réalité biologique et ensuite, mais seulement ensuite, réfléchir au concept sociologique de genre. Négliger la biologie ou même nier son importance fondamentale revient à idéologiser l’enseignement. L’éducation devient alors ce qu’elle était dans l’URSS d’antan et ce qu’elle est encore dans la Chine, l’Iran ou l’Arabie saoudite actuelles.

La frontière entre le patrimoine cognitif que l’humanité se transmet de génération en génération et les divagations idéologiques ou religieuses d’une époque est assez facile à tracer. Pour toute personne ayant conservé la largeur d’esprit nécessaire pour prétendre enseigner, aucune difficulté n’existe dans ce domaine. Mais certains de nos leaders associatifs et certains de nos politiciens se complaisent dans la surenchère idéologique, sans doute pour exister médiatiquement.

Les constructions idéologiques, de Platon à Marx, ont toujours suscité le prosélytisme éducatif. Ne leur accordons que notre sereine indifférence.

Publié sur Contrepoints le 22/11/2023

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