Socialisme à la française

13/08/2022

Patrick AULNAS

Le doute n’est plus permis. Nous vivons dans une ambiance socialiste assumée. Que droite ou gauche gouverne importe peu. D’ailleurs, ce clivage politique a perdu de sa puissance fédératrice. Voter à gauche puis ensuite à droite n’était même pas envisageable il y a cinquante ans. Cela n’effraie plus personne aujourd’hui. L’explication fondamentale de ce phénomène apparaît à tout observateur de la vie politique : le socialisme a gagné. L’opposition libéralisme-socialisme n’existe plus dans la réalité économique et sociale française.

 

Subventionnons, nationalisons !

Tout se passe désormais comme si la nation française constituait un ensemble de solidarités économiques. L’essence est trop chère pour certains ? Subventionnons l’essence sur fonds publics pour faire baisser le prix artificiellement. Une telle idée n’existait même pas au milieu des années 1970 lorsque le prix du pétrole brut fut multiplié par trois. Les tensions internationales sur les marchés de l’énergie renchérissent son coût. Ce phénomène archi-classique ne peut plus être supporté par chacun selon ses choix individuels. Créons donc un bouclier tarifaire limitant drastiquement la hausse des prix de l’électricité et du gaz. EDF vend donc à perte et voit son déficit se creuser de façon abyssale. Qu’importe ! Nationalisons EDF à 100%.

 

Répartir ce que l’on n’a pas en empruntant

Ce ne sont là que des exemples récents. Mais tout problème financier est désormais traité sous l’angle de la répartition, comme s’il était normal que l’État assure le partage de la valeur ajoutée entre les individus. L’entreprise Total réalise un bénéfice élevé en 2022 à la suite de la hausse du prix des carburants. Quel scandale ! Haro sur Total, hurlements des politiciens de gauche. Il faut absolument créer un impôt sur les « superprofits ». Les français n’ont plus le droit de se réjouir de la réussite d’une grande entreprise. La question pertinente est en effet la suivante : comment répartir cette manne de quelques milliards d’€ de bénéfice au mieux des intérêts électoraux des politiciens ?

Le concept sous-jacent est parfaitement clair : tout gain réalisé appartient à la nation. Ses représentants doivent donc en assurer la répartition. Le budget de l’État est considéré comme un cadre à géométrie variable, la variabilité allant toujours dans le sens d’une croissance des dépenses. Pour les recettes, la prudence s’impose malgré tout. Taxer les « superprofits », oui ; une grande partie du corps électoral approuve car la manipulation par le verbe, grande spécialité des politiques, n’est pas perçue. Mais il ne faut surtout pas augmenter la TVA car chaque électeur sait qu’il sera touché.

Mieux vaut donc, en général, rester politiquement raisonnable : augmenter les dépenses sans augmenter les recettes. Il suffit d’emprunter. L’Agence France Trésor est faite pour ça. Quelle merveille, France Trésor ! Elle emprunte pour rembourser les anciens emprunts arrivés à échéance ; elle fait rouler la dette publique. En roulant, la dette ne cesse de grossir. Mais pour un politicien qui ne voit pas plus loin que le bout de son mandat, ce n’est pas un problème. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes socialistes.

 

Mentalité d’assisté

Lorsque les dépenses publiques dépassent 55% du PIB, il est clair que la collectivité nationale gère politiquement le produit de son activité économique. Pour plus de 55% de la production, ce sont des décisions politiques ou administratives qui déterminent l’orientation des dépenses. Les contraintes électorales deviennent alors déterminantes. Mais dans toute société, le nombre de ceux qui attendent beaucoup de la collectivité est nettement plus important que le nombre des ceux qui apportent beaucoup. Les français l’ont compris intuitivement depuis de nombreuses décennies et sont devenus des revendicateurs pathologiques. La revendication s’adresse aux pouvoirs publics afin qu’ils utilisent la violence légitime : réglementer, interdire, inciter, créer un impôt, une taxe ou une cotisation sociale, exonérer certains.

Le grand nombre détermine les choix économiques par l’intermédiaire du politique puisque le principe de base de la démocratie est un homme, une voix. La tendance historique consiste donc à favoriser les catégories nombreuses car électoralement porteuses : augmentation du salaire minimum plus importante que celle des autres salaires, concentration croissante de l’impôt sur le revenu (moins d’un foyer fiscal sur deux le paye), suppression de la taxe d’habitation qui concernait pratiquement toute la population (quel scandale !), création de multiples prestations sociales (charges de famille, handicap, rentrée scolaire, minima sociaux, etc.). La justification est idéologique : la justice suppose une égalisation économique croissante des situations individuelles.

L’émergence progressive d’une mentalité d’assisté ne doit donc pas surprendre. Désormais, tout bon politicien se doit de répondre favorablement aux demandes de prise en charge des électeurs. Pas question d’en appeler à la responsabilité individuelle : « Il s’agit de votre problème, pas de celui de la collectivité. Il vous appartient de prendre les initiatives nécessaires ». Une telle réponse serait vécue comme une agression. Le politicien du 21e siècle se situe dans la commisération permanente. Il comprend les difficultés de ses électeurs, il les cajole, il va les aider s’il est élu, c’est promis.

 

Appauvrissement de la classe moyenne

Est-il possible qu’une société reste créative et dynamique lorsque les gouvernants éradiquent tout stimulant et favorisent l’assistanat ? Dans un contexte d’internationalisation économique et financière, mais aussi scientifique et technique, le risque de décrochage est immense. C’est fait. Le PIB par habitant est un indicateur assez fiable du dynamisme économique d’un pays. En 1980, la France se situait au 19e rang (12 669 $). Elle était au 31e rang en 2017 (38 415 $). Le taux de croissance ayant diminué au fil des décennies (plus de 5% avant 1975, entre 0 et 2% au cours de la dernière décennie), il en résulte évidemment un appauvrissement relatif de la population. La classe moyenne est atteinte de plein fouet. Cela commence par sa partie inférieure, en voie de prolétarisation, puis se propage à ses échelons moyens qui ressentent désormais, selon les enquêtes sociologiques, une crainte du déclassement.

 

La liberté est trop lourde à porter

Il est probable que le déclin de la responsabilité individuelle constitue une cause majeure de cette dégringolade. La problématique est ancienne puisque les premières approches du sujet ont été faites par des juristes dans la première moitié du 20e siècle. Il s’agissait à cette époque de la collectivisation des risques sociaux des salariés (alourdissement de la responsabilité de l’employeur) ou des sinistres (apparition des sociétés d’assurance). En allant beaucoup plus loin sous l’impulsion de la propagande politique, nous avons peu à peu, après la seconde guerre mondiale, demandé aux collectivités publiques d’amortir tout risque socio-économique, quelle que soit son origine. Cette solidarité généralisée à l’échelle d’un État a radicalement modifié les mentalités. Il était perçu comme légitime de supporter individuellement ou dans le cadre familial les épreuves de la vie. La population considère aujourd’hui majoritairement que la nation est elle-même une grande famille dans laquelle toute différence de traitement entre les individus constitue une injustice. Pour la gauche, le produit global de l’activité économique du pays doit faire l’objet d’une répartition politique. La droite se trouve donc dans une situation délicate. Comment expliquer simplement que face à la globalisation planétaire, un État qui se gère comme un centre de distribution de satisfactions individuelles égalitaires accumule des dettes colossales et détruit toute capacité d’initiative individuelle ?

La parole démagogique sera toujours plus forte que la voix de la raison car c’est l’émotion par l’image et l’incantation qui règne aujourd’hui dans les médias audiovisuels et sur les réseaux sociaux. Le socialisme n’est pas seulement institutionnel. Il s’est installé subrepticement dans les mentalités par l’accoutumance à la prise en charge collective de l’individu dans sa globalité.

La marche vers l’égalité, processus collectif, permet de s’en remettre au pouvoir et d’alléger sa propre responsabilité. La liberté, nécessairement individuelle, est vraiment trop lourde à porter. Tocqueville l’avait perçu dès le début du 19e siècle : l’égalité est l’essence de la démocratie. La douce tyrannie démocratique s’est installée.

Publié sur Contrepoints le 13/08/2022

Ajouter un commentaire