Objectif : la défaite de la Russie
29/12/2022
Patrick AULNAS
Un récent sondage de l’IFOP publié par le JDD fait apparaître que 70% des français sont en faveur d’une négociation sur le conflit ukrainien. Cela ne signifie pas qu’ils sont partisans d’un arrêt immédiat des livraisons d’armes à l’Ukraine, mais qu’ils préfèrent une issue négociée à la poursuite de la guerre jusqu’à la défaite russe. Le clivage selon les sensibilités politiques apparaît nettement. L’option négociation est souhaitée par 69% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon à la dernière élection présidentielle, 77% de ceux de Marine Le Pen et 88% de ceux d’Éric Zemmour. Dans les autres horizons politiques, seule une minorité privilégie la négociation.
Pourquoi une paix rapide et négociée ?
Ces électeurs de la droite et de la gauche radicale n’hésiteraient donc pas à négocier avec celui qui a rasé Marioupol, assassiné des dizaines de milliers de civils ukrainiens et déporté en Russie des milliers d’enfants enlevés à leur famille. Deux hypothèses peuvent alors être faites : ces électeurs n’ont pas compris que cette guerre est le combat de la liberté contre la servitude ou bien ils considèrent que le monde étant ce qu’il est, il est inéluctable de négocier avec les pires criminels. La première hypothèse renvoie à un certain idéalisme, en une croyance en la liberté comme valeur. La seconde relève de la fameuse realpolitik.
Aucune des deux hypothèses ne doit être rejetée car elles existent concomitamment dans ces électorats radicaux. Un électorat à dominante populaire comporte un grand nombre de personnes peu informées des enjeux géopolitiques. Pour elles, le raisonnement est simple : la paix vaut mieux que la guerre et plus vite règnera la paix, mieux nous nous porterons. D’autant que ces personnes ont compris l’impact sur leur niveau de vie de la guerre en Ukraine, en particulier par le biais de la hausse du prix de l’énergie.
Mais il existe aussi dans ces électorats radicaux des individus ne privilégiant pas la liberté. C’est la définition même de l’extrémisme politique, qu’il soit de gauche ou de droite : solutions expéditives, puissance de l’État, autoritarisme. L’image de Poutine n’est pas celle d’un criminel sans foi ni loi pour tous les français. C’est pourtant ce qu’il est.
Mais l’Occident doit s’imposer face aux autocraties
La position des français, mise en évidence par ce sondage, n’est donc pas un scoop. On s’en doutait un peu… Lorsque le cumul des voix de Le Pen, Zemmour et Mélenchon atteint 52% des suffrages exprimés, ces électeurs mécontents pèsent lourd dans les études d’opinion. Pourtant, il est probable qu’ils se trompent lourdement. Pour le comprendre, il faut aborder quelques généralités géopolitiques. Les États-Unis (E-U), l’Union Européenne (UE) et le Royaume-Uni (UK) ont une position de base commune : il appartient aux ukrainiens de décider du moment de la négociation avec la Russie. Mais mettre fin par la négociation à un conflit armé suppose qu’il n’y ait ni vainqueur ni vaincu. La négociation consiste précisément à trouver un compromis débouchant sur un modus vivendi pacifique.
Les gouvernements occidentaux souhaitent-ils une telle solution ? Il est impossible de répondre car tout dépendra de la capacité de résistance des russes. Mais la défaite russe est l’hypothèse la plus probable. Du côté occidental, on voit clairement apparaître des dirigeants évoquant la négociation (Emmanuel Macron) et d’autres n’en parlant pas (Joe Biden). Ce ne sont que de légères divergences de communication politique. En pratique, les États occidentaux augmentent progressivement la puissance et l’efficacité des armes livrées aux ukrainiens. Ce qu’ils se refusaient à livrer au printemps 2022 le sera au printemps 2023, par exemple les missiles sol-air Patriot. On en reste principalement à la fourniture de moyens de défense. Il manque les matériels permettant une offensive terrestre d’ampleur, en particulier les chars modernes des américains, des français et des allemands. Cela pourrait venir dans un avenir indéterminé.
La Russie, elle, ne cesse de s’affaiblir, les ridicules rodomontades médiatiques de ses dirigeants en étant le signe plus sûr. Comment d’ailleurs un petit pays comme la Russie pourrait-il faire face ? Grand par le territoire, la Russie est un nain économique et il convient toujours d’avoir à l’esprit quelques chiffres simples (année 2021, Banque mondiale) :
- PIB de la Russie : 1 778 milliards de $
- PIB des États-Unis : 23 315 milliards de $
- PIB de l’Union européenne : 17 200 milliards de $
Le PIB de la Russie ne représente que 4,3% des PIB cumulés des E-U et de l’UE. L’augmentation des dépenses militaires russes ne peut donc pas aller très loin alors que celles de l’Occident peuvent encore croitre considérablement. Les États-Unis jouent très intelligemment sur l’affaiblissement progressif de la Russie, qui pourrait conduire à la chute de Poutine. En permettant à l’armée ukrainienne de résister et même de mener victorieusement des offensives limitées, les occidentaux agissent avec prudence et diligence. Ils stimulent l’ardeur et le courage des ukrainiens, découragent les militaires russes et sèment le doute dans la population de l’agresseur.
Cette stratégie de la guerre longue est la seule qui corresponde aujourd’hui à la fois au souhait du peuple ukrainien et à l’intérêt des démocraties. Les Ukrainiens ne veulent plus rester sous la domination russe, qu’ils subissent depuis des siècles. Les démocraties occidentales ont un besoin impérieux de montrer au monde entier que la liberté est aussi une force et que la puissance n’est pas du côté des autocrates. Le terrorisme islamiste, le retour au Moyen Âge de l’Afghanistan, la théocratie meurtrière iranienne, le communisme tardif chinois, l’absurde et féroce tyrannie de Kim Jong-un en Corée du Nord imposent un exemple de réussite vertueuse aux démocraties. Le camp du bien doit montrer au camp du mal qu’il est celui qui détermine l’avenir par ses valeurs de liberté et son dynamisme créatif, gages de succès économique et de puissance militaire.
Et les armes nucléaires russes ?
Quant aux 6 000 ogives nucléaires russes, héritage soviétique, c’est un tout autre problème. Si la petite cohorte du Kremlin soutenant Poutine s’avisait de l’utiliser, la réplique de l’OTAN serait fulgurante. La Russie disparaîtrait avec toutes les démocraties occidentales. Or, l’enjeu actuel n’est même plus la domination russe sur l’Ukraine, qui n’aura jamais lieu. Il s’agit seulement de rattacher ou non la Crimée, le Donbass et peut être Zaporijjia à la Russie. Tuer des milliards d’êtres humains et se suicider en tant que nation pour quelques régions de l’Est de l’Ukraine ? Qui peut le croire ? Si les dirigeants russes utilisent systématiquement le thème de l’agressivité occidentale pour circonvenir leur population, méthode habituelle des autocrates, ils savent que les démocraties n’ont aucune visée territoriale sur la Russie mais seulement le souhait qu’un jour le peuple russe puisse lui aussi connaître la liberté.
Guerre larvée entre autocraties et démocraties
Une majorité de français ne semble pas partager l’analyse précédente. L’opinion publique évolue dans le même sens aux États-Unis. Un sondage récent pour le think tank Chicago Council on Global Affairs indique que plus de la moitié des répondants souhaite un accord de paix rapide avec la Russie, les Républicains étant nettement moins favorables que les Démocrates à la poursuite de l’aide à l’Ukraine. Cette propension à souhaiter une paix rapide résulte en grande partie d’une absence d’analyse. La population des riches démocraties occidentales, la plus privilégiée de la planète, comprend spontanément que la paix est un préalable au maintien de son niveau de vie. Mais elle ne perçoit pas le danger mortel que constitue le recul des démocraties face aux dictatures dans un monde où la guerre froide entre l’Est communiste et l’Ouest libéral a été remplacée par une guerre larvée entre autocraties et démocraties.
Publié sur Contrepoints le 29/12/2022
Commentaires
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- 1. Vinh Le 02/01/2023
Il va bien falloir appeler un chat un chat (ou un char un char). Ceux qui, en France, estiment que les Ukrainiens doivent négocier la perte de leur territoire national face à Poutine, proposent exactement ce que proposait (et a fait) Pétain face à Hitler. Il y un mot pour cela: "collaboration". Il faut aussi rappeler que les gens ont cru en 1938 qu'en acceptant les conquêtes territoriales de Hitler ils auraient la paix: c'est exactement l'inverse qui s'est produit un an après, et c'est logique (reculer devant un agresseur le fait avancer). C'est le scénario poutinien aussi: Géorgie (2008), puis Crimée (2014), puis Donbass (2022). Autre évidence: si une "jurisprudence ukrainienne" apparaît (conquête territoriale en Ukraine validée par la communauté internationale) une vague de conquêtes territoriales déferlera aux 4 coins du monde ( en Asie rapidement, mais aussi en Afrique, au Moyen Orient), partout où existent des contentieux territoriaux. Et cela se produira de manière nouvellement et totalement..."légale" ! Et ne rêvons pas: l'Europe sera alors concernée ! Des conflits territoriaux en Europe, fondés sur des arguties linguistiques dérisoires, il y en a plein: ces disputes dégénéreront automatiquement et..."légalement" ! Plus globalement: pourquoi les Français ne prendraient-ils pas les territoires francophones belges ou suisses (voir le Québec) ? Et les Allemands ne prendraient-ils pas l'Alsace, l'Autriche ou le Haut-Adige italien ? -
- 2. BINH Le 01/01/2023
Entièrement d'accord avec cet objectif.
Remarquons que nous avons 2 prétendus Intellectuels français qui suggèrent aux Ukrainiens (sur LCI) d'arrêter de réclamer le retour de leur intégrité territoriale: Luc Ferry et Hélène Carrère d'Encausse.
Ferry dit que "la Crimée est russe", et d'Encausse regrette que "les Ukrainiens s'obstinent devant les Russes" !
Ce type de propos me fait penser aux Français qui ont estimé, en 1940, que la France avait intérêt à être allemande et qu'il ne fallait pas s'obstiner face aux Allemands....
1940-2022: le raccourci de l'histoire est effrayant, n France : on peut raisonnablement être inquiet.....
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