Pourquoi refuser le progrès ?

05/08/2021

Patrick AULNAS

Le rejet du progrès se manifeste à nouveau face aux vaccins contre la covid-19. Opposants, hésitants, attentistes représentent une minorité bruyante et parfois violente. Ce même refus de la technologie existe dans la mouvance écologiste en ce qui concerne l’énergie nucléaire. Par qui est entretenue cette défiance à l’égard de la science et de la technique ? Et pourquoi ?

La réponse de principe est simple : le retour de l’idéologique et du religieux suppose une remise en cause du primat de l’approche scientifique.

 

Le retour des idéologies

On avait cru à la mort des idéologies et à l’effacement progressif des religions. Elles réapparaissent aujourd’hui avec toute la violence qui caractérise parfois les croyances. Le fondamentalisme islamique est un refus brutal du progrès car il rejette l’intelligence. L’enseignement coranique consiste à ânonner des sourates.

L’écologisme politique propose une approche des relations entre l’homme et la nature selon des normes juridiques imposées par le pouvoir politique. Le modèle de société écologiste est dominé par le politique, qui disposerait d’un pouvoir coercitif considérablement accru sur toutes les activités humaines.

Le nationalisme réapparaît aussi puissamment, comme on l’a vu avec l’épisode Trump aux États-Unis. En Europe, il se caractérise par une contestation de la construction européenne et une idéalisation particulièrement naïve du rôle de l’État-nation. En France, Éric Zemmour défend intelligemment ce point de vue. Certaines petites formations d’extrême-droite le défendent avec toute la brutalité qui les caractérise.

Une autre pseudo-idéologie fait son chemin dans le monde occidental : l’intersectionnalité ou intersectionnalisme. Selon cette approche, basée sur des travaux universitaires de sociologie, des rapports de domination et des discriminations latentes existent dans les sociétés démocratiques occidentales et se perpétuent au profit d’une minorité. Le « mâle blanc » apparaît ainsi comme le héraut des discriminations basées sur le genre ou la race. Il est potentiellement le dominant-type à éliminer. Cette auto-flagellation proposée par des intellectuels mineurs conduit à se focaliser sur les questions de race et de genre redéfinies culturellement. Elle possède une petite influence dans certaines universités en se manifestant par des actions attentatoires aux libertés.

 

Il faut choisir : humanisme paisible ou adulation du pouvoir

Quelle relation établir entre cette résurgence idéologique et le refus de croire au progrès scientifique et technique ? Il est beaucoup plus facile et plus confortable d’adhérer à des idées politiques simples idéalisant les capacités d’action que de rester un simple humaniste pacifique acceptant l’inconfort du doute. De même, une explication globale à caractère religieux représente une forme de sécurité intellectuelle et morale à la portée de tous. C’est la raison du rôle fondamental des religions dans notre histoire. Autrement dit, la tentation est forte de privilégier l’idéologique et le religieux et de remettre les clés de la maison commune à des autorités définissant l’éthique dominante. Il est moins enthousiasmant de croire simplement à l’intelligence humaine, aux recherches et aux découvertes capables d’améliorer la vie de tous.

Donner sa confiance aux leaders politiques ou religieux (historiquement, les deux se confortent mutuellement) conduit nécessairement à des projets politiques fondés sur des concepts fragiles. Par exemple, le communisme provient du marxisme, c’est-à-dire d’une approche considérant la lutte des classes comme l’élément majeur du déterminisme historique. Pensée faible car, évidemment, notre devenir historique dépend de facteurs extrêmement complexes. Autre exemple, le fondamentalisme islamique souhaite pérenniser la vision du monde d’un soi-disant prophète du 7e siècle. Mais les sociétés du 21e siècle sont profondément différentes de celles du 7e siècle.

En faisant adhérer les innombrables naïfs à des projets politiques simplistes (conquérir des territoires, aller vers la société juste et parfaite ou la société préconisée par un dieu, etc.) les leaders politiques conduisent les hommes vers la conflictualité (les empereurs romains, les rois de France, Napoléon, Hitler, Staline, Al Baghdadi, calife de l’État islamique, etc. n’ont fait que cela.). Pourquoi parviennent-ils à recruter des adeptes ? Parce que les hommes ont besoin de croire. Croire en un projet politique présenté comme réalisable et permettant d’agir sans aucune compétence particulière peut paraître séduisant aux moins avertis.

Au contraire, croire au progrès des sciences et techniques comme élément essentiel du devenir historique n’aboutit pas à privilégier le politique. Il s’agit d’une foi en l’intelligence humaine, celle de tous les hommes. La somme des intelligences individuelles produit spontanément, sur le très long terme historique, une intelligence collective alliant audace et sagesse. Et il s’agit alors de concepts puissants et non de simples élucubrations socio-politiques. Nul besoin de leaders charismatiques pour faire des recherches ou développer un produit. Nul besoin d’un grandiose projet de société pour perfectionner jour après jour nos connaissances. Cela ne signifie pas que le politique soit absent, mais qu’il  convient de le maintenir à une place modeste : gérer le présent dans la paix, sans définir a priori l’avenir de l’humanité.

 

Sciences et techniques déterminent notre devenir

Notre époque est à la croisée des chemins. Elle risque de se laisser tenter par la facilité des dogmes simplistes. Mais il ne faut pas perdre de vue que le parcours global de l’humanité ne doit pas grand-chose aux idéologies et religions. L’apparition d’Homo sapiens est un phénomène naturel. Sa domination provient de son intelligence, c’est-à-dire de sa capacité à élaborer des constructions imaginaires, dont les religions et les idéologies font partie, de même que les modèles scientifiques. Mais la seule constante de l’ensemble du parcours de l’humanité est le progrès scientifique et technique, l’accumulation d’un savoir opérationnel de plus en plus puissant. Philosophies, religions, morales, institutions politiques évoluent erratiquement. Sciences et techniques se construisent progressivement par la mise au point de nouveaux modèles plus performants.

Le nouveau Moyen Âge qui semble se profiler durera-t-il autant que le précédent ? Nul ne le sait. Mais il débouchera nécessairement sur une Renaissance.

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