La gauche a abandonné le peuple
30/04/2021
Patrick AULNAS
Le fossé s’est approfondi entre les élites de gauche et le peuple. Une distance a toujours existé entre les dirigeants et les électeurs, l’idéalisme des premiers s’opposant au réalisme des seconds. La mission de tracer la route de l’avenir que s’attribuent les leaders de gauche se heurte à la volonté de la population d’améliorer le présent. Et la compatibilité est difficile à trouver, voire même impossible. Cette impossibilité apparaît aujourd’hui au grand jour.
Du productivisme à l’écologisme
Pour comprendre le recul électoral de la gauche, il faut comparer ses promesses anciennes et actuelles. Le programme commun de gouvernement élaboré par la gauche en 1972 la conduira au pouvoir en 1981 avec François Mitterrand. L’augmentation du pouvoir d’achat était un élément essentiel de ce programme :
« Une progression régulière du pouvoir d’achat des salariés est indispensable […] Le développement de l’économie contribuera à cette progression ».
C’est donc principalement par la croissance économique que la gauche veut à cette époque améliorer le niveau de vie des salariés. Et il ne s’agissait pas d’une vue de l’esprit puisque le PIB de la France a augmenté de 5,3% en 1971, de 4,5% en 1972 et de 6,3% en 1973. L’efficacité productive du capitalisme permettait très facilement de tenir ses promesses.
Le contraste avec le programme actuel de La France insoumise est frappant. Il y est question de « la bifurcation écologique, enjeu central ». La mesure clé proposée est la suivante :
« Inscrire dans la Constitution la règle verte instaurant l’obligation de ne pas prélever ni produire davantage que ce que notre planète peut régénérer ou absorber. »
L’amélioration du sort des moins favorisés proviendra donc, selon le programme, d’une fiscalité confiscatoire : revenu maximum autorisé (le surplus est prélevé), impôt sur la fortune, augmentation des droits de succession. De telles mesures ont toujours appauvri l’ensemble de la population. Les riches quittent le navire pour s’établir à l’étranger, les capitaux ne s’investissent plus dans le pays. Tout le monde est perdant.
La comparaison entre 1972 et 2021 est éloquente : la gauche comptait auparavant sur la croissance économique pour améliorer le sort de ses électeurs ; elle pense aujourd’hui décroissance et confiscation des revenus et des patrimoines. Elle était crédible, elle ne l’est plus. En résulte une fuite de nombreux électeurs vers le Rassemblement national.
L’immigration, sujet brûlant depuis un siècle
Dans le domaine de l’immigration, la position de principe des dirigeants et intellectuels de gauche a toujours été en contradiction fondamentale avec la perception populaire. L’accueil et l’insertion de l’Autre est un mantra des dirigeants mais le peuple, lui, est xénophobe par essence. Pourquoi ? Tout simplement parce que ses conditions de vie ne lui permettent pas de rêvasser aux bienfaits de la découverte des autres cultures. Certes, les élites s’attribuent un rôle pédagogique qui s’exerce à l’intérieur des partis. Mais étant donné leur faiblesse numérique, cela ne touche pas grand monde.
Sur ce sujet, le gouffre béant entre les élites et le peuple de gauche n’a fait que se creuser. Voilà la cause majeure de la dérive populaire vers la droite nationaliste. Dans les années 1930, la France comptait 3 millions « d’étrangers », soit 7% de sa population. Le mot immigré n’était pas utilisé et encore moins migrant. Une vague xénophobe apparaît dans la population, parfois relayée à la chambre des députés. Ainsi, en novembre 1934 le socialiste Fernand Laurent déclare :
« Paradoxe irritant en France, à l’heure actuelle : 500 000 chômeurs et 2 millions d’ouvriers étrangers. » (*)
La doctrine officielle des partis et syndicats de gauche reste cependant la libre circulation des travailleurs : « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! ». L’étranger n’est pas considéré par la doxa comme responsable du chômage. Mais le fossé se creuse de plus en plus entre le sommet et la base.
Vers 1980, la France compte 4 450 000 immigrés soit 8% de sa population, mais la communauté maghrébine, plus difficile à intégrer, représente 1 500 000 personnes. La position officielle de la gauche social-démocrate, c’est-à-dire celle de ses dirigeants, peut apparaître rétrospectivement comme un glissement vers le multiculturalisme. Ainsi, la direction de la CFDT affirme :
« L’immigration a changé de nature. Elle est devenue une composante de notre patrimoine. Avec 4 millions d’étrangers, la France est devenue une société multiraciale et pluriculturelle… A nous d’en tirer parti ! » (*)
Dans ses enquêtes sociologiques de l’époque, en particulier dans la classe ouvrière lorraine, Gérard Noiriel remarque que pour les travailleurs de gauche, « c’est encore l’étranger qui est mis en cause quand la misère devient dramatique ». La base étant hostile à l’immigration, les leaders communistes en prennent parfois acte en reliant insécurité, chômage et immigration. Claude Cabannes écrit ainsi dans L’Humanité :
« Tous ces déséquilibres, aggravés par les difficultés liées à la baisse du pouvoir d’achat, au chômage, à l’insécurité, rendent la cohabitation difficile. » (*)
Les bons sentiments et l’échec électoral
Il ne faut donc pas s’étonner de la désertion du peuple de gauche. Il n’y a jamais eu adéquation idéologique entre les dirigeants de gauche, pour la plupart issus de la bourgeoisie, et le peuple. Les dirigeants sont, à l’image de Mitterrand, des opportunistes plus ou moins idéalistes. Ils ont compris tout le parti qu’ils pouvaient tirer politiquement de l’efficacité productive occidentale pour satisfaire les convoitises populaires. Il suffit d’augmenter les prélèvements obligatoires ou d’endetter les collectivités publiques pour dépenser plus et distribuer des prestations. Élémentaire.
Cette générosité affichée se fracasse aujourd’hui sur la réalité. L’Occident est passé de la domination économique à la compétition avec le reste du monde. Croissance faible et immigration incontrôlée en résultent. Exactement le contraire des souhaits du peuple de gauche.
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(*)Cité par Olivier Milza. La gauche et la crise migratoire, années 1930 – Années 1980. Persée.
Commentaires
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- 1. BINH Le 01/05/2021
Bonjour
Le plus gênant dans l'immigration (donc, si on met de côté l'aspect économique quantitatif) c'est son aspect qualitatif qu'on pourrait dénommer "culturel" (certains parlent "d'insécurité culturelle") . Grosso Modo: si la France était plus exigeante (à l'arrivée des étrangers sur son sol, mais aussi dans la vie quotidienne de tous les habitants de France) quant au respect de sa loi (au minimum), les choses changeraient (c'est à dire: perception des immigrés + cohabitation avec eux + intégration de ces immigrés). La France (Police, Justice, Maires, Préfets, etc) ne fait pas respecter ses propres lois sur son propre territoire: dans le quartier de Ménilmontant à Paris (entre autres exemples) il n'est pas possible pour les femmes d'accéder à certains bistrots: c'est raciste donc illégal, mais c'est connu de tout le monde. Comme les pouvoirs Publics ne veulent pas intervenir et interdire cette ségrégation, les Français réagissent (mal ou bien, c'est une autre question) par de la défiance envers l'immigration (il y a comme une sorte de translation du problème, donc de la solution). Rien que de régler ce problème pointu (légal), ça aiderait à régler tous ceux de nature "culturelle"....
Cordialement
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