L’image des enseignants : je t’aime, moi non plus
07/03/2021
Patrick AULNAS
Il y a 870 000 enseignants du primaire et du secondaire en France et 90 000 enseignants du supérieur. Leur nombre a explosé depuis la seconde guerre mondiale parce que la société elle-même a profondément évolué. Cette évolution rapide a modifié l’image des enseignants dans la population, mais aussi l’image que les enseignants se font d’eux-mêmes.
Petit aperçu de la situation actuelle.
Un enseignant est-il proche d’un bibliothécaire ?
L’image des enseignants est contrastée et parfois fondée sur des préjugés. Une étude de la Varkey Fondation de 2018 analyse la perception du monde enseignant par les opinions publiques de 21 pays. Les réponses sont assez consternantes pour qui connaît bien le système éducatif, ses forces et ses faiblesses.
L’une des questions concernait la profession à laquelle celle d’enseignant était la plus comparable. Pour la France, la profession de bibliothécaire est placée en première position (28% des réponses). Une telle perception montre clairement la méconnaissance du métier d’enseignant dans le public. La noble activité de bibliothécaire n’exige pas la performance quotidienne, à la fois physique, psychologique et intellectuelle du métier d’enseignant. Autrement dit, transmettre des connaissances à un groupe de jeunes élèves ou étudiants est une activité à forte intensité. Un enseignant qui devient bureaucrate a l’impression de se reposer et il s’ennuie vite. Pour la Chine, le résultat à la question précédente est le suivant : 38% des personnes interrogées comparent la profession d’enseignant à celle de médecin. Comparaison France-Chine éloquente !
Une bonne image des enseignants dans l’opinion publique
Pourtant, au pays de Molière, sondage après sondage, l’image des enseignants dans l’opinion publique n’apparait pas dévalorisée. Les enseignants sont plus sévères sur eux-mêmes que les français dans leur ensemble. Nombreux sont ceux qui souffrent du décalage entre niveau culturel et statut social.
Selon un sondage Odoxa de 2018, 57% des français ont une bonne opinion de l’Éducation nationale en tant que structure et 42% une mauvaise. Mais l’opinion sur les personnes travaillant dans l’Éducation nationale est meilleure : 69% de bonnes opinions contre 30% de mauvaises. En ce qui concerne les qualificatifs s’appliquant aux enseignants, 73% des français les jugent compétents, 62% soucieux de leurs élèves, mais seulement 50% les jugent efficaces.
Un métier moins prestigieux que beaucoup d’autres
Mais les enquêtes sur le ressenti des enseignants eux-mêmes font apparaître une focalisation sur la perte de prestige de leur profession. En 2016, une étude du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) avait interrogé un panel d’étudiants de troisième année de licence. La moitié d’entre eux, tout en envisageant de devenir professeur, classait la profession d’enseignant parmi les moins prestigieuses d’une liste de quinze métiers. Les métiers jugés prestigieux étaient magistrat, ingénieur ou avocat.
Un sondage Ipsos de 2020 fournit des précisions sur l’état d’esprit des enseignants. 69% d’entre eux se disent satisfaits de leur métier, mais 59% pensent que le système éducatif français fonctionne plutôt mal. Surtout, 82% des enseignants estiment que leur rémunération et leur carrière ne témoignent pas d’une juste reconnaissance de leur travail.
De l’intellectuel au travailleur social
Pour comprendre le monde enseignant, une perspective historique n’est pas inutile. Les instituteurs de la IIIe République (1870-1940), les fameux « hussard noirs » chargés d’alphabétiser la population, bénéficiaient d’un prestige important dans les milieux populaires. Ils en étaient souvent issus et leur profession représentait une promotion à la fois sociale et culturelle. Quant aux enseignants du secondaire, ils avaient pour élèves les enfants de la bourgeoisie. Seulement 1% d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat en 1881 et 2,7% en 1936. Aujourd’hui plus des trois-quarts d’une génération atteint le niveau du bac. Les élèves n’appartenant plus à l’élite, le professeur ne se considèrent plus comme lui appartenant.
Il existait jusqu’aux années 1950 un fossé entre le monde enseignant et les milieux populaires, tant du point du vue culturel qu’économique. Aujourd’hui, un artisan plombier gagne davantage qu’un professeur des écoles, un directeur financier beaucoup plus qu’un professeur d’université. Il y avait 7 000 professeurs de l’enseignement secondaire en France en 1890 et 365 000 dans le seul second degré public en 2019. Profession rare auparavant, rattachée au monde de l’intelligentsia, le professeur apparaît aujourd’hui comme un travailleur social ordinaire.
Le plus beau métier du monde
Cette cruelle réalité socio-économique ne doit pas cacher l’essentiel. Transmettre le patrimoine cognitif accumulé par l’humanité aux générations futures, n’est-ce pas l’un des plus beaux métiers du monde ? Sans aucun doute. Mais voilà ! Les enseignants ne sont plus les seuls. Il existe aujourd’hui mille façons d’apprendre. La formation se poursuit tout au long de la vie car les technologies et les qualifications évoluent plus rapidement que jamais. L’accès au savoir devient immédiat par le miracle de la numérisation de l’information et l’existence d’un réseau mondial en libre accès, internet.
Nous assistons à une remise en cause fondamentale des modalités de la transmission. Nous sommes au tout début d’une évolution qui bouleversera l’enseignement.
Publié sur Contrepoints le 07/03/2021 : L’image des enseignants : je t’aime, moi non plus
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