La grande question économique de l’avenir
23/04/2020
Patrick AULNAS
Allons-nous devenir collectivement plus prospères ou plus pauvres ? Une telle question est toute récente dans l’histoire de l’humanité. Jusqu’au XVIIIe siècle, l’enrichissement des sociétés humaines était si faible qu’il n’était pas perceptible. Le mythe de l’âge d’or entretenait même l’illusion d’un passé lointain et édénique et d’un avenir apocalyptique. Mais depuis un peu plus de deux siècles, tout a changé. L’avenir est devenu source d’espoir avec le concept de progrès. Même si depuis quelques décennies, certains intellectuels relativisent le progrès, il existe bel et bien. L’humanité a utilisé sciences et techniques pour produire massivement et améliorer ses conditions de vie. Cela va-t-il durer ?
Des millénaires de stagnation, deux siècles de croissance
La croissance économique est un phénomène tout récent dans notre histoire. Le problème ne se posait pas au paléolithique et au néolithique. Il s’agissait simplement de survivre. Les techniques de production se sont ensuite améliorées très lentement. Les économistes ont pu discerner une petite croissance économique à partir de l’an 1000 jusqu’à 1800. Mais c’est à partir du XIXe siècle que le décollage économique occidental conduit à un enrichissement important.
Le tableau suivant, établi par les équipes de Thomas Piketty, propose un bon résumé de la croissance mondiale depuis l’Antiquité.
La production par habitant, qui stagnait ou presque, jusqu’à 1820, fait ensuite un bond considérable : le passage d’une croissance annuelle de 0,07% à 0,9% représente plus d’un décuplement du taux de croissance par habitant. Cette moyenne mondiale recouvre de très fortes disparités puisque c’est en Occident que le décollage a lieu.
La population mondiale a toujours augmenté moins vite que la production à une exception près : au cours du premier millénaire, seule période depuis l’Antiquité qui enregistre une stagnation complète du niveau de vie moyen (croissance de la production par habitant = 0%).
L’avenir de la croissance
Le tableau de Piketty donne les prévisions moyennes de croissance de la population mondiale jusqu’à 2100, selon l’ONU. Ces chiffres sont à peu près fiables, avec évidemment des variantes possibles. Nous allons retrouver une croissance plus faible de la population, surtout à partir de 2050, parce que l’élévation du niveau de vie conduit à la baisse de l’indice de fécondité. Il baisse partout dans le monde, mais reste nettement supérieur à 2,1 enfants par femme en âge de procréer dans les pays pauvres (chiffre assurant le maintien quantitatif de la population) alors qu’il est inférieur à ce chiffre dans les pays riches.
La croissance de la production est, elle, une inconnue. La démographie autorise des projections robustes vers l’avenir, mais pas l’économie. Cependant, la tendance idéologique forte va dans le sens d’un reflux de la croissance économique. La population devient de plus en plus sensible aux préoccupations écologiques et les gouvernements règlementent la production et les transports. Ils alourdissent également les coûts de production et de distribution par la fiscalité sur l’énergie.
Par ailleurs, l’augmentation de la productivité est faible. Les technologies numériques (l’informatisation) ne semblent pas amener les progrès attendus du côté de la productivité.
Le XXIe siècle verra donc très probablement la croissance chuter. Pour la population, c’est une certitude. Pour la production, c’est une hypothèse assez vraisemblable par rapport aux 3,04% de croissance moyenne sur la période 1913-2012. Sur la période 2000-2015, la croissance annuelle de la production mondiale a été de 2,86% et la tendance des dernières années est à la baisse.
Les deux siècles de forte croissance n’auront été qu’un épisode de notre histoire. Il faudra cependant que la croissance de la production reste supérieure à celle de la population pour préserver une vision plus ou moins optimiste de l’avenir. C’est tout à fait possible avec une croissance annuelle de la population de 0,17% à partir de 2050. L’avenir à échéance d’un siècle n’est pas nécessairement sombre si l’on écarte l’hypothèse d’une catastrophe historique (crise économique ou écologique profonde, guerre mondiale, pandémie non contrôlable). Dans ce cas, évidemment, rien n’est prévisible.
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