Pourquoi la France a-t-elle choisi le chômage et l’endettement ?
03/01/2019
Patrick AULNAS
Depuis un demi-siècle, la France a fait un choix implicite : le chômage de masse et l’endettement public. Les deux éléments sont liés car le poids de l’État pèse lourdement sur l’économie et nuit à son dynamisme. Hyper-réglementation et prélèvements obligatoires massifs entravent le fonctionnement des entreprises. Leur compétitivité s’en ressent et elles n’embauchent pas. Il en résulte que la population active (qui comprend les chômeurs) ne peut plus financer l’État-providence et celui-ci s’endette. Comment expliquer cette évolution ?
Travail, démagogie de gauche et démagogie de droite
Lorsque la réglementation du contrat de travail à durée indéterminée (CDI) a été légèrement assouplie en 2017 (loi d’habilitation du 15 septembre 2017, dite « loi Travail »), les partis de gauche ont crié au scandale. Quant aux partis de droite, ils ont considéré cette évolution législative comme une mesurette sans portée réelle. Ces réactions sont principalement politiciennes. La base sociologique de la gauche comprenant une proportion très importante de salariés, il est nécessaire électoralement de sembler les défendre. Pour la droite, dont l’électorat est plus composite, il peut paraître habile de ne mécontenter personne en feignant de penser que tout cela n’est pas vraiment sérieux.
Il ne s’agit là que d’une comédie politicienne. La gauche trompe ses électeurs en les faisant rêver à une société du tout État, protectrice des individus, d’où le risque serait quasiment exclu. Cette société n’existe pas et les tentatives pour l’établir ont toujours débouché sur la dictature et le totalitarisme.
La droite feint de croire qu’il est possible de revenir au CDI des années 50 ou 60 du siècle dernier. Le contrat de travail comportait vraiment à cette époque, comme tout contrat à durée indéterminée (bail par exemple), une clause de résiliation unilatérale au profit de chaque partie. L’employeur pouvait licencier très librement pour des motifs économiques et le salarié pouvait démissionner. Seules des obligations de forme étaient prévues (délai de préavis en particulier). Le CDD n’était d’ailleurs utilisé qu’exceptionnellement pour des travaux d’appoint ou des remplacements.
Il n’est pas surprenant que la gauche fasse rêver à un avenir chimérique et la droite à un passé révolu. Cela correspond à la sensibilité des électorats respectifs.
Le poids politique des salariés.
Pourquoi est-on passé en un peu plus d’un demi-siècle de la liberté à l’hyper-réglementation du travail ? La cause immédiate (hors géopolitique : mondialisation) est la salarisation massive de l’économie. Selon l’INSEE, 91% des personnes qui travaillent sont aujourd’hui salariées contre 64% en 1949. Il en résulte que le poids politique des salariés a considérablement augmenté. Les politiciens ont donc accepté leurs demandes, relayées par les syndicats, qui consistaient principalement à stabiliser les emplois. Réforme après reforme, la faculté de résiliation du CDI du fait de l’employeur s’est réduite comme peau de chagrin. Procédures complexes, coût prohibitifs ont amené les employeurs à contourner le problème en utilisant le CDD ou l’intérim, ou tout simplement en n’embauchant pas pour les entreprises de très petite taille.
Une absurdité juridique et économique
Cette évolution est juridiquement et économiquement une absurdité, mais elle a eu lieu. Le monde politique a préféré l’emploi stable à l’emploi dynamique pour de mauvaises raisons, principalement électorales. Une entreprise privée étant une structure fragile, soumise aux aléas du marché, il y a une contradiction flagrante entre la rigidification des emplois par le droit et la liberté d’entreprendre. Dans une économie de marché, un employeur doit pouvoir s’adapter au marché en permanence et donc ajuster le facteur travail aux besoins de l’exploitation.
Mais les mentalités ont tellement évolué depuis un demi-siècle que les phrases précédentes sont considérées comme une pure provocation par n’importe quel salarié du 21e siècle. L’évolution du droit et le discours politique dominant sur ce sujet ont induit peu à peu un tropisme étatiste. Pour le salarié d’aujourd’hui, c’est l’État qui doit gérer l’emploi en renforçant les garanties juridiques des salariés. S’il ne le fait pas, il manque à tous ses devoirs et il convient de remplacer ses dirigeants par des politiciens plus compréhensifs.
Le court terme d’abord
L’horizon électoral n’est pas un horizon lointain. Il est même anormalement rapproché puisque les mandats électoraux se limitent à quelques années. Le politicien doit donc satisfaire rapidement son électorat s’il vise la réélection. Alors qu’un choix politique de long terme aurait été souhaitable en matière de relations de travail, c’est le court terme qui a prévalu. Le législateur, c'est-à-dire les politiciens, a constamment protégé l’emploi existant au détriment de l’emploi futur. Du fait de la salarisation croissante des économies développées, ce choix était électoralement – démagogiquement – rationnel.
A l’issue de plusieurs décennies de gestion politicienne à court terme, la situation est claire : chômage de masse, allocations coûteuses, cotisations élevées et endettement public.
Politiquement, un tel choix revient à protéger ses électeurs au détriment de leurs enfants. Les actifs d’aujourd’hui payent les choix politiques de plusieurs décennies successives, principalement de deux façons. D’abord, la difficulté à trouver un emploi entraîne des périodes de chômage. Ensuite, un endettement massif des collectivités publiques, lié au poids croissant des prestations de toutes sortes, pèse sur un nombre réduit d’actifs disposant d’un emploi. Selon l’INSEE, en 2016, la population active était en France de 29,6 millions de personnes, dont 26,6 millions en emploi et 3 millions au chômage au sens de BIT. Mais si l’on veut ajouter les personnes en sous-emploi, il faut cumuler les catégories A, B et C des statistiques de Pôle emploi. On obtient alors près de 6 millions de demandeurs d’emploi, ce qui représente plus de 20% de la population active. Ces 20% impactent non seulement les dépenses publiques (indemnisation du chômage, santé, famille) mais aussi les recettes publiques (cotisations, impôts et taxes en moins).
La gestion électoraliste à court terme a donc consisté, depuis une cinquantaine d’années, à satisfaire les électeurs en négligeant totalement la situation des générations futures. Les actifs d’aujourd’hui ont ainsi sur les épaules une énorme dette publique et un chômage de masse.
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