Éloge de la négativité en politique
10/05/2019
Patrick AULNAS
Faut-il aduler les hommes ou femmes politiques prétendument charismatiques ? Ou au contraire les regarder comme des manipulateurs tentant d’obtenir des voix ? Faut-il être fidèle à un parti et refuser la versatilité ou peut-on butiner avec insouciance sur les différentes offres programmatiques ? Faut-il revendiquer auprès d’un État qui gère d’énormes masses financières ou refuser de devenir un petit quémandeur de plus ?
Chacun peut répondre subjectivement à ces questions très actuelles et l’analyse qui suit ne prétend nullement à l’objectivité.
Surtout pas d’enthousiasme…
Il est évidemment fortement déconseillé de s’enthousiasmer en politique. La politique, mal nécessaire, permet d’élaborer les compromis permettant l’acceptation de la violence légitime, celle de l’État. Ceux qui refusent les compromis deviennent plus ou moins violents : terrorisme des années 1970-80 en Allemagne et Italie, black blocs actuels, terrorisme islamiste, voire même certains syndicats comme SUD qui n’hésitent pas à s’opposer à la liberté d’autrui, par exemple la liberté de travailler en cas d’appel à la grève.
Il est infiniment regrettable de devoir être gouverné, c’est-à-dire de subir en l’acceptant la coercition étatique. Mais il n’est pas possible d’y échapper. Il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur. D’où l’impossibilité purement rationnelle de ressentir de l’enthousiasme.
… Sauf pour les idéologues
Il existe bien entendu une exception : les idéologies, au sens très large du terme. Tous ceux qui s’imaginent pouvoir transposer dans le réel les quelques idées, en général d’une consternante banalité, qu’ils ont réussi à agencer sur le papier, peuvent facilement ressentir de l’enthousiasme politique. Communistes, fascistes, nationaux-socialistes pensaient pouvoir changer la société par un coup de baguette magique. La conquête du pouvoir prend alors une autre signification puisqu’il s’agit de construire un monde nouveau et pas seulement tenter de faire tenir tant bien que mal celui qui existe. Le monde nouveau fantasmé devient toujours une dictature dans la réalité.
Au début du 21e siècle, il existe encore deux tendances idéologiques jouant un rôle important : l’islamisme radical et l’écologisme. Le premier veut figer l’histoire en se référant à une interprétation archaïque de vieux textes religieux, le second entend imposer à l’humanité une discipline de fer en matière de production, ce qui aboutit à la décroissance économique. Les islamistes radicaux sont déjà passés à la violence la plus atroce. Les écologistes pas encore, ou très exceptionnellement, mais cela viendra inéluctablement lorsque les démocraties auront apporté la preuve de leur incapacité à gérer la fameuse transition écologique et solidaire. Une démocratie doit en effet rester en-deçà d’un certain degré de contrainte étatique. Il n’y a pas de démocratie sans liberté individuelle. Or les écologistes doivent nécessairement aller beaucoup trop loin dans le sens de la coercition.
Pas de fidélité non plus
Faut-il être indéfectiblement fidèle à un parti politique ? La réponse est incontestablement négative. Seuls les carriéristes de la politique, qui deviennent des apparatchiks, ont intérêt à la fidélité pour disposer du soutien d’un appareil puissant. Le militant de base, celui qui colle les affiches sans espoir de s’élever, ne peut être qu’un idéaliste un peu naïf exploité par les ambitieux. Quant au sympathisant, il est aujourd’hui particulièrement versatile car il a compris que « les promesses de campagne n’engagent que ceux qui les écoutent », comme aimait à le dire Henri Queuille (1884-1970), radical-socialiste, trois fois président du Conseil (équivalent du Premier ministre) sous la IVe République. Celui qu’on surnommait le petit père Queuille ajoutait : « La politique n’est pas l’art de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent. »
Le cynisme des politiciens ne date donc pas d’hier et Machiavel, dès le début du 16e siècle, a formalisé dans Le Prince les méthodes de conquête et d’exercice du pouvoir à destination des hommes n’ayant d’autre ambition que de le conserver. La liberté de la presse, complétée aujourd’hui par une capacité de communication numérique à la disposition de tous, a fragilisé le cynisme politicien, mais il n’a pas reculé, bien au contraire. Il est seulement moins efficace.
Personne ne croit plus aux promesses, même si elles continuent à nous être assénées. Certains électeurs papillonnent allègrement de l’extrême-gauche à l’extrême-droite et nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à modifier leur vote d’élection en élection. Passer d’un vote socialiste à un vote France insoumise ou d’un vote Les Républicains à un vote LREM, ou l’inverse, est tout à fait courant. Alors qu’auparavant, on qualifiait de « marais » l’électorat centriste instable qui pouvait tantôt se rallier à la gauche, tantôt à la droite, cette instabilité s’est emparée aujourd’hui de l’ensemble du spectre politique. A échéance d’une dizaine d’années, rien n’est assuré pour les partis, comme l’a montré l’élection présidentielle de 2017 en France.
Il est plutôt conseillé de rester fidèle à ses idées et de ne pas voguer intellectuellement de Charybde en Sylla. Mais comme la rigueur intellectuelle n’est pas la préoccupation première des partis politiques, prenons-les comme ils sont : de simples machines électorales interchangeables.
Et enfin, pas de revendications
La mentalité d’assisté de nos concitoyens provient de la modification progressive du rôle de l’État depuis environ un siècle. Passer de l’État-gendarme à l’État-providence ne se fait pas sans conséquences psychosociologiques. Il est clair en effet que lorsque la puissance publique maîtrise l’affectation de 57% du PIB (dépenses publiques en France), la course à l’échalote pour en capter une portion est inéluctablement lancée. Les revendications adressées à la puissance publique se sont donc multipliées, ce qui est tout à fait cohérent. Mais les critères politiques d’attribution de la manne sont fort éloignés des critères économiques.
Les politiciens cèdent à leur intérêt électoral ou à une violence qu’ils craignent de ne plus maîtriser. Le mouvement des gilets jaunes a montré que la peur conduit le pouvoir à distribuer l’argent public en pure perte puisque cette distribution ne satisfait pas les revendications et ne peut en aucun cas affecter positivement le niveau de vie des bénéficiaires.
Les critères économiques sont, eux, dépendant de l’offre et de la demande, c’est-à-dire du marché. Une position sur un marché en expansion, en tant que salarié, indépendant ou employeur, aboutit à une amélioration de la situation économique des individus. Un marché déclinant conduit au contraire à des difficultés individuelles, en particulier le chômage.
L’esprit revendicatif n’est donc pas lié à l’économie où il faut réussir par l’adéquation de son offre à la demande. Il résulte de l’immixtion du politique dans la sphère économique, du rôle redistributif que s’est attribué l’État. Chaque relai associatif, chaque corps intermédiaire est assailli de demandes d’interventions afin d’obtenir de la puissance publique des avantages en espèces sonnantes et trébuchantes. Les entreprises privées elles-mêmes sont condamnées à jouer le jeu en recherchant les subventions publiques ou les avantages fiscaux.
L’esprit revendicatif devient donc général, qu’il s’agisse des organisations de salariés, d’employeurs, de travailleurs indépendants, des associations, des collectivités locales, etc. Cette fonction revendicative des personnes morales affecte la mentalité des personnes physiques. Quémander des avantages financiers n’est plus considéré comme médiocre mais comme juste. « Puisque l’État a tant d’argent, pourquoi n’en aurai-je pas une partie ? » Revendiquer des avantages financiers est devenu banal et normal. En démocratie, en effet, le pouvoir politique représente en principe la volonté générale du peuple. Un pouvoir politique disposant de tant de richesses est donc nécessairement sollicité par ceux qui l’ont désigné.
Le choix de faire partie des professionnels de la revendication ou de s’en tenir éloigné a principalement une dimension éthique. Il n’est pas interdit d’observer la meute dépecer le gibier sans pour autant participer au carnage. Mais ce comportement est devenu ultra-minoritaire et ne correspond pas à l’esprit d’une époque décadente. Raison de plus pour l’adopter.
Exercice d’application
Le scrutin européen du 16 mai prochain, avec ses 33 listes françaises, offre une occasion de prendre la politique avec hauteur et distance. Le philosophe Alain préconisait de se comporter en politique comme un simple soldat contraint d’exécuter des ordres auxquels il n’adhère pas. N’adhérons pas à ce qui nous est proposé, mais votons sans aucun enthousiasme pour entraver les idéologues de toute espèce. Qu’ils soient nationalistes, souverainistes, socialistes, trotskystes ou écologistes, barrons leur la route. Ce qui laisse malgré tout une certaine liberté de choix.
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