Le temps de la servitude ou le temps de la liberté ?
06/12/2017
Patrick AULNAS
Nous surévaluons le politique. La starification des leaders par les médias nous y incite. Pourtant le politique n’est qu’un mal nécessaire. Individus nous sommes, individus nous resterons. Pour faire société, bien sûr, il faut une organisation, un ordre. Dans les sociétés animales l’organisation provient de l’inné. Chez l’homme, elle constitue un acquis. Notre intelligence nous a conduits à réfléchir à la meilleure manière de concilier liberté individuelle et organisation sociale. Nous avons réussi au-delà des rêves les plus fous de nos lointains ancêtres. La complexité des sociétés actuelles n’était pas imaginable voici seulement quelques siècles.
La passionnante aventure de l’Homo sapiens
Les hommes politiques, tout naturellement, valorisent leur fonction. A un point tel qu’ils prétendent parfois bâtir l’histoire de l’humanité. Notre avenir dépendrait d’eux. Nos choix politiques influenceraient radicalement notre destin. Sur le très long terme, historique, cela est totalement faux. L’évolution de l’Homo sapiens doit beaucoup à l’accumulation des connaissances, à l’imagination prodigieuse qui est la sienne et à sa capacité de coordonner les deux. A partir d’intuitions vagues, il observe, expérimente et tire des conclusions sur son environnement et sur lui-même. Cette recherche ne s’est jamais éteinte malgré la volonté des pouvoirs arbitraires, malgré le politique.
Le pouvoir contre l’intelligence et contre la liberté
De multiples structures politiques se sont succédées au cours de l’histoire, en général autoritaires. Le pouvoir était accaparé par la force brutale ou dévolu par la succession dynastique. Il utilisait les moyens les plus violents pour bâillonner toute pensée libre. Mais si le pouvoir politique a pu ralentir les progrès de l’intelligence humaine, il n’est jamais parvenu à les annihiler. Il semble bien, en définitive, que sur plusieurs milliers d’années, c’est la société qui a décidé de son avenir en déjouant les obstacles provenant du pouvoir politique. Mais quels furent ces obstacles ? Principalement l’ambition des conquérants et les idéologies.
Le charisme nuisible des conquérants
L’ambition politique débordante conduit toujours à des désastres. Les grands conquérants, Alexandre le Grand, Gengis Khan, Napoléon 1er, tant vénérés dans les livres d’histoire, ne sont que des fauteurs de guerre ayant conduit à la mort leurs semblables. Par une violence gratuite, ils ont empêché le fonctionnement normal de l’économie, provoqué famines et misère. Nous devons les dénoncer pour de qu’ils sont : des ambitieux charismatiques capables de tromper des millions d’hommes sur leur intérêt véritable. Dans quel but ? Tout simplement pour assouvir une ambition personnelle et inscrire dans l’histoire une figure de grand homme. Rien de pire que les conquérants. Rien de plus dangereux que les personnalités dites charismatiques qui ne cherchent qu’à entraîner les faibles pour satisfaire un ego surdimensionné.
La pathologie idéologique
Le 20e siècle constitue le modèle le plus saisissant des catastrophes induites par le politique. Des idéologies construites par quelques intellectuels ont servi d’instrument de conquête du pouvoir. Fascisme, nazisme, communisme ne sont que des constructions bancales qui se sont écroulées après quelques décennies. Mais des politiciens avides de pouvoir auront eu le temps de les utiliser pour instaurer les pires dictatures de l’histoire et les plus grands massacres organisés : six millions de juifs exterminés dans les camps nazis au nom d’une pensée d’une indigence absolue, dix-huit millions de prisonniers dans le goulag soviétique dont plusieurs millions n’ont pas survécu, probablement plus d’un million de personnes assassinées par les Khmers rouges au Cambodge. Et ce ne sont là que quelques exemples.
Le pouvoir démocratique est-il sans danger ?
Depuis les grottes paléolithiques jusqu’aux tours des villes contemporaines, le pouvoir est devenu moins arbitraire mais beaucoup plus puissant. Les États peuvent désormais accumuler une masse d’informations sur chaque individu, consultable à tout moment. Les moyens d’action dont disposent les pouvoirs publics n’ont jamais été aussi considérables.
Le paradoxe actuel du pouvoir réside dans la coexistence de la démocratie et d’administrations surpuissantes. Les contrepouvoirs (la presse, les médias, internet, les réseaux sociaux) et l’indépendance du pouvoir judiciaire garantissent la démocratie. Mais les prélèvements obligatoires n’ont jamais été aussi élevés et leur perception nécessite une surveillance nominative de la vie économique par le biais des administrations fiscales et sociales.
Impôts et cotisations obligatoires supposent un Big Brother omniprésent, dont les citoyens ne sont pas vraiment conscients. De l’omniprésence à l’omnipotence, il n’y a qu’un pas qui pourrait être franchi par un affaiblissement des contrepouvoirs.
La tentation de tout pouvoir politique est la démesure. Les grecs parlaient d’hybris, démesure inspirée par l’orgueil et les passions. Rester libre, c’est combattre l’hybris. Mais le politique n’a jamais été autant emporté par l’hybris que dans les sociétés riches contemporaines parce que les moyens dont il dispose sont sans aucun précédent dans l’histoire.
Est-il encore temps ?
Est-il encore temps de croire à la liberté ? Est-il encore temps de rejeter les promesses de lendemains qui chantent des dirigeants, qui ne mènent qu’à la servitude ? Car c’est à chaque individu de faire chanter son avenir ou de le rendre sinistre. Le bonheur peut être un rêve individuel, il ne doit jamais devenir un projet collectif. Le collectif doit relever de la libre association d’individus libres n’ayant aucune ambition d’imposer à la société globale un schéma préétabli. La société se modèle elle-même, par les millions d’initiatives germant et se développant en permanence.
Oui, il est encore temps.
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