Le Canard qui aimait jouer avec le feu
13/02/2017
Patrick AULNAS
La mise en cause de François Fillon par le Canard Enchaîné peut enclencher un effet domino dont les journalistes responsables (ou irresponsables) n’ont sans doute pas mesuré toute la portée. Il ne s’agit pas de prendre la défense de François Fillon, mais de faire un constat objectif.
Une opération politico-médiatique
Il n’y a rien de fortuit dans la publication d’informations sur de prétendus emplois fictifs au moment précis où débute la campagne présidentielle, juste après les primaires de droite et de gauche. Le moment a été choisi pour deux raisons simples.
- Les pratiques incriminées sont courantes et parfaitement connues des journalistes spécialisés.
- Le degré de fictivité des emplois des membres de la famille n’a jamais été étudié systématiquement parce qu’il existait une tolérance générale au sein du personnel politique. Moitié fictifs, trois-quarts fictifs, totalement fictifs ? Personne n’en sait rien. Il faudrait de multiples enquêtes pour le déterminer.
Où est la morale du Canard ?
Mais à quoi bon de telle enquêtes ? Ce serait déchaîner l’antiparlementarisme primaire déjà tellement présent dans la population. Pour faire œuvre journalistique utile, il suffisait de présenter le problème sans accuser personne. Problématiser sans soupçonner. Mais voilà qui est sans doute trop demander. Un journal doit se vendre et la personnalisation, les accusations ad hominem font les délices des lecteurs. L’anecdote vaut beaucoup mieux que l’étude sociologique pour faire du chiffre d’affaires. Les parlementaires utilisent parfois leurs indemnités pour rémunérer leur famille, ce qui est légal, les journalistes utilisent parfois leurs informations pour améliorer l’excédent brut d’exploitation du journal, ce qui tout aussi légal. Le Canard enchaîné a vendu plus de 500 000 exemplaires du numéro qui a lancé l’affaire Fillon alors que son tirage normal est compris entre 300 000 et 400 000.
La seule vérité
Cette modeste opération politico-promotionnelle peut cependant priver le pays d’un scrutin présidentiel représentatif. Si la droite de gouvernement n’est pas au second tour, la petite leçon de morale médiatique en sera la seule cause. Fillon était en deuxième position avec une avance confortable sur Macron avant le déclenchement de l’affaire. Il est aujourd’hui en troisième position, ce qui ne préjuge en rien du résultat du premier tour, car tout peut encore changer. Mais quand même ! Est-il normal que quelques petites révélations modifient ainsi le paysage politique de tout un pays ? Est-il normal de jouer sur la candeur morale du grand public pour décrédibiliser un candidat ? Est-il normal de publier des informations pendant une campagne électorale quand on sait que la justice ne pourra pas se prononcer à temps ? La vérité judiciaire, seule vérité démocratique, ne sera pas révélée avant longtemps.
Rien n’est encore joué
Quatre candidats sont aujourd’hui aux prises pour accéder au second tour. Selon un sondage Opinion Way du 10 février 2017 pour Les Échos, Marine Le Pen arrive en tête avec 25%, suivie d’Emmanuel Macron (21%), François Fillon (20%), et Benoît Hamon (16%). Sauf bouleversement imprévisible, Marine Le Pen est assurée d’être au second tour. Rien n’est encore joué entre Macron, Fillon et Hamon pour plusieurs raisons. La première est l’absence de programme de Macron. Il propose des axes, mais très peu de mesures concrètes, ce qui pourra lui nuire à l’approche du scrutin. Par ailleurs, Macron est inexpérimenté politiquement (jamais élu) et cet élément sera mis en évidence par ses adversaires. Benoît Hamon a une marge de progression s’il parvient à rallier à lui d’autres candidats n’ayant aucune chance, comme l’écologiste Yannick Jadot. Mais ministre de François Hollande, il assume le bilan, n’ayant été qu’un frondeur tardif. Mélenchon, ne se désistera évidemment pas au profit de Benoît Hamon. Mais malgré son talent de tribun, il est fortement concurrencé dans la jeunesse par Hamon qui a su imposer une image de novateur, en particulier avec sa proposition de revenu universel et son orientation écologiste affirmée. François Fillon reste très prêt de Macron, dans la marge d’erreur. Il peut donc revenir en seconde position si le jeune candidat autoproclamé apparaît pour ce qu’il est : un aventurier de la politique sans majorité parlementaire. Et son image ne manquera pas d’évoluer dans les semaines qui viennent.
Le risque de la versatilité électorale
Beaucoup d’électeurs ne s’intéressent absolument pas à la politique. La lecture de la presse est en déclin et le niveau d’information faible. La versatilité d’une partie de l’électorat est importante et tout peut changer jusqu’au dernier moment. Pourtant, l’opération Canard enchaîné fait courir un risque majeur à la démocratie. Un second tour Le Pen-Macron ou Le Pen-Hamon conduirait une partie des électeurs de Fillon, en particulier dans les milieux populaires, à voter pour Marine Le Pen. Combien ? Jusqu’où peut-elle aller ? Il est impossible de répondre in abstracto. Si un évènement dramatique se produisait entre les deux tours, par exemple un attentat terroriste sanglant, personne ne sait quelles variations électorales il produirait. Mais il serait à coup sûr favorable à l’extrême-droite.
Si Marine le Pen accédait au pouvoir, une opération médiatico-politique aurait conduit à une crise majeure avec des conséquences imprévisibles mais considérables.
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