L’obsession anticapitaliste française
23/10/2017
Patrick AULNAS
L’épisode de la suppression partielle de l’ISF met en évidence une caractéristique culturelle des français : la détestation qu’éprouve une partie importante d’entre eux pour l’argent et pour ceux qui le possèdent. Il est en effet tout à fait irrationnel de taxer très fortement le capital dans une économie capitaliste qui repose précisément sur la capacité d’attirer les capitaux. Mais beaucoup de français ne raisonnent absolument pas de cette façon.
La moitié des français pour un État encore plus puissant économiquement
Ils font partie de la fameuse France périphérique ou pas, ils peuvent être enseignants, ouvriers, chômeurs, mais ils votent très à gauche (LFI, communistes, trotskystes) ou très à droite (FN). Ils réclament tous un rôle accru de l’État dans le domaine économique et social.
La présence de l’électorat Front national parmi les tenants du dirigisme économique vient de la mue qu’avait opérée celui-ci sous l’ère Philippot. Le programme du FN se prononçait pour un interventionnisme économique accru, digne du Parti communiste. D’un point de vue économique, l’électorat frontiste possède donc, dans l’ensemble, des caractéristiques proches de celles de l’électorat de gauche d’où il est partiellement issu.
Les électorats cumulés de la droite nationaliste et de la gauche radicale ont représenté plus de 42% des voix au premier tour de la présidentielle de 2017. Si on y ajoute les voix socialistes recueillies par Benoît Hamon, on atteint plus de 49% des suffrages exprimés. Nous sommes en présence d’une constante historique : aux élections législatives de 1946, le total Parti communiste et SFIO (socialistes) représentait un peu plus de 46% des suffrages exprimés. On peut donc considérer qu’environ la moitié des français compte principalement sur l’État pour améliorer sa situation économique.
Comment ces français voient-ils l’économie ?
Pour ces français, l’État devrait diriger fermement l’économie du pays. C’est ainsi, pensent-ils, que leur situation personnelle s’améliorerait. Pourquoi ? Parce que l’État empêcherait « les riches » de capter les revenus et les patrimoines. La répartition serait donc plus juste. Cette approche présente un intérêt politique considérable : elle permet aux leaders de se poser en sauveurs potentiels et de réclamer beaucoup plus de pouvoir en vue de l’instauration de la justice sociale. Les excès du dirigisme n’effraient pas leurs électeurs qui pensent au contraire y trouver leur salut. Historiquement, la réussite politique est totale puisque prélèvements obligatoires et dépenses publiques n’ont cessé de croître depuis plus d’un siècle.
Cette population est en désaccord avec les fondements juridiques du capitalisme. Pour elle, il est tout à fait injuste que des individus puissent prendre des décisions économiques importantes sous le simple prétexte qu’ils disposent de capitaux. Le conseil d’administration d’un grand groupe capitaliste n’a aucune légitimité à leurs yeux puisqu’il n’est pas issu d’une élection politique.
Dans les économies de marché, le droit donne le pouvoir de décision économique aux apporteurs de capitaux : chef d’entreprise individuelle ou associés des sociétés commerciales. L’assemblée générale des actionnaires élit le conseil d’administration qui détient le pouvoir stratégique. Une telle élection ne suscite que l’opprobre dans les milieux de gauche car son fondement juridique est jugé inique. Il s’agit de la possession d’un certain nombre d’actions représentant une part du capital de la société considérée. Le droit de propriété, donc.
Si la petite propriété immobilière peut être une ambition de cette population votant à droite ou à gauche, la propriété du capital est perçue d’une manière totalement négative. Elle ne peut en aucun cas légitimer le pouvoir, fut-il économique.[1]
A quoi aspirent-ils ?
Ils ont une conception plutôt hiérarchique de la société : l’État est au-dessus d’eux et doit les protéger. L’État n’est pas seulement une structure administrative permettant d’organiser et de faire tenir une société complexe. Il est perçu comme une autorité tutélaire ayant la responsabilité de ses citoyens, un peu comme le roi de l’Ancien Régime était responsable de ses sujets.
Il en résulte que l’État et les collectivités publiques possèdent une légitimité socio-économique autrement plus forte que les sociétés capitalistes. En vérité même, la seule légitimité. L’État doit disposer du pouvoir économique et l’utiliser pour réduire les inégalités sociales qui ne sont que le produit de la loi de la jungle, du libre marché capitaliste. En caricaturant, le bien public s’oppose au mal privé. Le désintéressement étatique, caractérisé par le service public ne recherchant pas le profit, est infiniment supérieur sur le plan éthique à la recherche de l’intérêt particulier.
Évidemment n’importe qui souscrirait à cette doxa idéaliste, mais Adam Smith en a montré toute l’inanité voici bien longtemps. Cela ne fonctionne pas économiquement : la chute du communisme en est la démonstration historique. Nos étatistes n’en ont cure, la raison ayant peu de poids face à la passion anticapitaliste.
L’utopie de rupture contre la réalité du monde actuel
Une telle vision du monde conduit rapidement au totalitarisme. L’utopie de la société égalitaire sous contrainte étatique conduit à la dystopie orwellienne. Mais elle est aussi en contradiction flagrante avec les réalités les plus élémentaires du fonctionnement économique mondial. Le marché y joue le rôle principal, non seulement pour la production et les échanges, mais aussi pour l’innovation. Depuis un demi-siècle, c’est la destruction créatrice schumpétérienne qui a façonné le monde dans lequel nous vivons. Les grandes innovations qui structurent aujourd’hui l’économie mondiale proviennent plutôt du marché que de l’État : internet, big data, biotechnologies, nanotechnologies, intelligence artificielle, etc. En tout cas, leur diffusion généralisée résulte de mécanismes de marché.
La responsabilité de l’enseignement
Il faudrait une véritable révolution copernicienne pour mettre en harmonie cette France en rupture (qui se dit insoumise) et le monde tel qu’il existe. Ce défi de long terme est principalement éducatif. L’Éducation, dite nationale, nuit profondément à une bonne insertion du pays dans l’économie mondiale car ses valeurs sous-jacentes sont en opposition frontale avec elle. L’Éducation nationale française s’est construite sur des valeurs anticapitalistes et en reste profondément imprégnée. Il faut connaître le système éducatif de l’intérieur pour bien le comprendre.
Mais cela est une autre histoire.
[1] Cette hostilité au capital financier provient d’une incompréhension des mécanismes économiques, d’origine marxiste (seul le travail est facteur de production pour Marx). En réalité, le capital est une accumulation en vue de l’investissement, quel qu’il soit (immobilier, industriel, commercial, en recherche-développement, etc.). Cette accumulation est un pari sur l’avenir. Le futur sera favorable financièrement. Sinon pourquoi investir ? Sans capital, pas d’avenir économique. Mais si le capital est entièrement entre les mains de l’État, pas de démocratie, du moins pas de liberté.
Seule la pédagogie peut remettre les pendules à l’heure dans ce domaine. Il y a beaucoup à faire. Bon courage à la jeunesse.
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