La laïcité, principe fondateur du libéralisme

01/11/2016

Patrick AULNAS

A l’heure où une religion, l’Islam, connaît des dérives violentes et totalitaires, les hommes épris de liberté doivent réaffirmer leurs principes de tolérance. Être libéral, c’est d’abord admettre, avec Benjamin Constant, qu’aucune vérité ne doit être définie par l’État : « Prions l’autorité de rester dans ses limites. Qu’elle se borne à être juste, nous nous chargerons d’être heureux. » Cette justice qui ne prend pas parti entre les religions et les idéologies s’appelle la laïcité.

 

Nous venons d’un monde sans liberté

La laïcité prend naissance au siècle des Lumières, le XVIIIe, avec Kant, Rousseau, Voltaire, Diderot et bien d’autres. Elle est fondée sur deux principes, l’un concernant le fondement du pouvoir politique : le dualisme ; l’autre définissant la place de l’individu : l’autonomie. Le pouvoir politique était auparavant dévolu à un souverain par un dieu. Quel dieu ? Le dieu local, celui des chrétiens en Occident, celui des musulmans en terre d’Islam, les dieux de l’Égypte ancienne pour les pharaons. Le lien entre pouvoir et divinité était universel, mais chacun avait son dieu. Le pouvoir, puisqu’il émanait d’un ou plusieurs dieux, n’était pas contestable. Toute opposition constituait une rébellion lourdement sanctionnée. La liberté individuelle était un concept inconnu car l’individu n’avait aucune autonomie. Il devait adhérer à la religion officielle et se conformer à ses préceptes dans tous ses actes. L’hétéronomie était sa loi. L’homme subissait le joug du souverain et de la religion sans jamais pouvoir manifester une quelconque indépendance.

 

« Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui »

On comprend aisément le défi incommensurable qu’a pu représenter la contestation du caractère sacré du pouvoir. Il s’agissait d’un sacrilège pour tous les croyants ! Pourtant, des hommes clairvoyants et courageux s’y sont risqués. Les philosophes du XVIIIe siècle ont renversé l’ancienne conception du monde et ont fondé en raison notre liberté. Ce sont les principaux inventeurs du libéralisme, même si l’on peut trouver avant eux des penseurs de la liberté. Le monisme du pouvoir politique devient alors dualisme. Ce n’est plus un dieu qui désigne un souverain tout puissant, mais l’ensemble de la population qui délègue provisoirement l’exercice du pouvoir à des gouvernants. Il y a donc d’une part le peuple souverain, d’autre part le gouvernement procédant de l’élection. Il en résulte nécessairement que l’individu devient autonome. Il pense librement puisqu’il désigne ceux qui gouvernent la société. Emmanuel Kant apporte une contribution essentielle à la réflexion philosophique de l’époque : « Les Lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité où il se maintient par sa propre faute. » L'homme, désormais adulte, doit donc agir avec discernement, s'appuyer sur la réflexion et ne plus se laisser abuser par les pouvoirs et les préjugés.

L’être humain n’est plus un enfant soumis à la tutelle divine. C’est la raison qui devra désormais le guider. Cet orgueil de l’homme occidental, libre de ses pensées et de ses actes, est aussi une modestie. Si aucune parole sacrée ne limite sa liberté, rien ne lui permet de considérer sa pensée comme supérieure à celle de quiconque. Jean-Paul Sartre l’a exprimé magnifiquement dans Les mots en se définissant comme « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui ».

 

La liberté appartient à tous ou n’appartient à personne

Mais quiconque prétend imposer à cet homme une vérité intangible, éternelle, universelle, entre en conflit avec les fondements même d’une société libre et doit être traité pour ce qu’il est : un opposant à la modernité politique, un ennemi de la liberté. L’orgueil de se définir comme un homme libre ne peut aller sans l’impératif catégorique de réciprocité. La liberté appartient à tous ou n’appartient à personne. L’État ne peut imposer aucune morale, ne donner aucune leçon aux citoyens. Il n’y a pas une bonne façon de penser ou de vivre définie par le pouvoir politique. Mais les religions ou les idéologies elles-mêmes, si elles prétendent détenir une vérité absolue, ne peuvent avoir l’ambition de l’imposer à tous. La laïcité pérennise la liberté à une condition : le pouvoir ne choisit jamais entre les doctrines et les croyances mais laisse l’individu autonome faire ses choix.

 

Les croyants doivent aussi devenir modestes

Il ne faut pas hésiter à le dire : les religions ont beaucoup tardé à admettre cette liberté que l’homme occidental a conquise contre elles. Rien de plus normal puisque la laïcité les prive de leur relation privilégiée avec le pouvoir politique. La France n’est plus la fille aînée de l’Église, mais un simple État qui entretient des relations diplomatiques avec le Vatican. Les catholiques peuvent se trouver confrontés à des lois qu’ils réprouvent parce que la majorité les approuve. Ils doivent s’y plier, mais cela ne va pas de soi, même aujourd’hui. L’Église catholique s’est prononcée contre la contraception orale dans les années 1960, contre l’IVG dans les années 1970, contre le pacte civil de solidarité en 1999 et contre le mariage homosexuel en 2013. Il est tout à fait normal d’émettre une opinion défavorable à ces nouvelles lois, mais il est tout à fait abusif de tenter d’en empêcher l’adoption par la majorité démocratiquement élue ou d’en saboter la mise en œuvre par des manœuvres indignes, comme ce fut le cas pour l’IVG. La liberté des catholiques n’est pas en cause. Personne ne leur interdit de suivre leurs préceptes religieux. Mais ces lois accroissent incontestablement l’autonomie de l’individu et réduisent corrélativement le champ de la morale commune. Elles sont par essence libérales. Le principe de laïcité veut que l’Église ne puisse désormais imposer son éthique à personne mais laisse toute liberté à chacun de l’adopter. Les croyants doivent aussi devenir modestes.

 

La liberté ne peut être au service de l’asservissement des femmes

La laïcité est exigeante. Elle ne se limite pas à une posture sociale : offrir l’image de la tolérance en acceptant des comportements diversifiés. Elle suppose une ascèse philosophique : toujours douter, ne jamais ériger ses propres convictions en absolu. Mais également, rester discret publiquement et ne pas infliger à autrui l’image omniprésente de ses choix. Afficher publiquement ses croyances par le vêtement ou tout symbole ostentatoire (ou simplement ostensible comme dit la loi française) heurte la modestie laïque. Mais il faut aller plus loin : de tels comportements représentent en réalité une forme de prosélytisme contre l’autonomie de l’individu, base absolument essentielle du libéralisme. Les femmes portant le voile intégral ou le burkini ne sont que des instruments de propagande du totalitarisme islamique. Admettre leur servilité n’est pas défendre leur liberté mais encourager leur abaissement.

Sur ce dernier point, d’ailleurs, l’arrogance des ennemis de la liberté rencontre parfois la grandeur d’âme de certains libéraux qui se targuent de purisme doctrinal pour donner des leçons de liberté. Au diable les doctrines lorsqu’elles prétendent à la pureté ! La stricte orthodoxie est toujours une faute. Il faut savoir déroger pour ne jamais s’imaginer détenir une quelconque vérité. Ceux qui se présentent avec ostentation en ennemis de la liberté doivent être traités comme ils le demandent : en ennemis. Pourrait-on désormais admettre la liberté du maître de réduire autrui en esclavage ? Voilà exactement ce qui révulsait les philosophes des Lumières. Il ne suffit pas d’affirmer que l’on ne transgresse pas les lois de la cité pour être respectueux de la liberté d’autrui. La totale dépendance économique et l’emprise morale peuvent conduire à l’asservissement. Il ne peut y avoir de communauté séparée choisissant un autre mode de vie afin de remettre en cause la liberté des femmes. Il n’y a ici, en France, que l’universalisme républicain qui érige en principe inviolable la liberté individuelle.

 

Un humanisme républicain

La laïcité n’est pas un dogme ou une doctrine mais un pragmatisme qui s’adapte en permanence aux réalités émergentes. Un laïque ne se réclame d’aucune idéologie et il n’existe pas d’idéologie laïque. Tout au plus peut-il se sentir proche d’une forme de pensée en veillant toujours à prendre ses distances par rapport à toute tentation dogmatique. Aussi n’y a-t-il pas de prosélytisme laïque mais seulement quelques conseils : examiner toute proposition avec sa raison, se défier des enthousiasmes politiques, idéologiques, religieux, respecter les positions d’autrui si elles ne portent pas atteinte à la liberté. La laïcité est un humanisme qui comporte une éthique rigoureuse faite de tolérance, de modestie, de discrétion et même de compassion. Une leçon particulièrement précieuse aujourd’hui.

Ajouter un commentaire