François Hollande et l’agonie du collectivisme
01/03/2016
Patrick AULNAS
L’impopularité de François Hollande n’est pas seulement le lot de tout gouvernant qui doit composer avec la réalité et briser les rêves de ceux qui l’ont porté au pouvoir. S’il ne s’agissait que de cela, le Président de la République ne serait pas désavoué par une grande partie des siens et ne laisserait pas planer le doute sur une nouvelle candidature. Il suffit de se reporter aux années Mitterrand pour comprendre par analogie. En 1981, lorsque Mitterrand arrive au pouvoir, le taux de chômage est de 6,3% de la population active au sens du BIT. Lorsqu’il se représente en 1988, il est de 8,7%. Mitterrand a totalement échoué en matière d’emploi, mais il est réélu sans difficulté. Sur le plan statistique, la situation est plus mauvaise aujourd’hui, mais l’évolution est similaire. En 2012, à la prise de fonction de François Hollande, le taux de chômage BIT était de 9,7% contre 10,5% au troisième trimestre 2015. Pour employer une expression devenue courante, Hollande a fait « moins pire » que Mitterrand. Où est le problème ?
Deux éléments doivent être mis en évidence. D’une part l’exercice du pouvoir par les socialistes ne peut plus historiquement correspondre aux promesses de la conquête du pouvoir. D’autre part, le collectivisme idéologique, qui reste présent chez certains leaders, a été totalement abandonné par la population.
Exercice et conquête du pouvoir
La distinction des deux concepts a été clairement énoncée par Léon Blum dans l’entre-deux-guerres. L’objectif du parti socialiste était déjà à l’époque de transformer la société en respectant les institutions. La transformation devait se faire dans la légalité. Mais, selon Blum « L’Etat moderne se détache progressivement du capitalisme et c’est pourquoi il est possible à des partis socialistes de le manier sans l’asservir et à plus forte raison sans s’asservir eux-mêmes au capitalisme. Ils prennent le pouvoir en en tirant un instrument de lutte contre le capitalisme, c’est-à-dire en usant de l’autorité de l’Etat pour créer des conditions favorables à l’avènement du socialisme. » (1)
Ainsi, la conquête du pouvoir peut se baser sur la promesse d’une évolution vers le socialisme puisque l’évolution historique conduit l’État à se détacher du capitalisme. Le socialisme est l’avenir de l’humanité. Le déterminisme historique marxiste est à la base de cette analyse.
Une telle approche du devenir historique ne fait plus l’unanimité à gauche. Les partis situés à gauche du PS adhèrent encore à la conception de Blum, de même que l’aile gauche du parti socialiste. Mais parmi les gouvernants, personne ne croit plus que « l’État moderne se détache progressivement du capitalisme ». Chacun sait que l’État collabore activement avec le capitalisme en disposant de nombreuses participations dans les grands groupes industriels ou bancaires. Les libéraux accusent même couramment l’élite républicaine de complicité intéressée. Le capitalisme de connivence se substitue au libre jeu du marché. Les socialistes qui exercent le pouvoir n’en ignorent rien, bien évidemment, et profitent souvent d’un pantouflage dans le secteur privé après avoir exercé des fonctions politiques importantes. Le chantre de la démondialisation, Arnaud Montebourg, est aujourd’hui membre du conseil de surveillance du distributeur de meubles Habitat et membre du comité d’orientation stratégique du groupe informatique Talan. Beaucoup d’exemples de ce type pourraient être cités.
La promesse socialiste est donc réduite à néant. Les dirigeants socialistes les plus acerbes lorsqu’ils sont dans l’opposition deviennent des dirigeants du capitalisme lorsqu’ils sont au pouvoir. L’État et le capitalisme se mêlent et s’entremêlent inextricablement. Dans de telles conditions, prétendre pour conquérir le pouvoir, être « l’ennemi de la finance » relève du pur machiavélisme. La population entière en a conscience et le militant de base, un peu idéaliste, est proche de la sidération.
François Hollande s’est trompé d’époque. Il pensait conquérir le pouvoir avec les promesses socialistes de la IIIe République tout en l’exerçant sous la Ve. Cela fonctionnait encore en 1981 mais plus en 2012.
Agonie du collectivisme dans l’esprit des français
Le recul du collectivisme débute par l’inefficacité économique des régimes communistes. En quelques décennies, ils sont balayés de la surface de la planète – processus toujours en cours – parce que l’essentiel de l’innovation porteuse d’avenir provient du capitalisme et de son aptitude à impulser les synergies nécessaires à la destruction créatrice. Dans les économies de marché elles-mêmes, les entreprises nationalisées (téléphonie, énergie, transport) s’avèrent incapables de soutenir la concurrence internationale lorsqu’elles ne bénéficient plus du protectionnisme ancien. L’ouverture des frontières européennes (Union européenne) et mondiales (GATT puis OMC) fait apparaître aux yeux de tous que certains services publics coûtent chers et sont inefficaces.
De grandes sociétés capitalistes (Microsoft, Google, Apple, Facebook, Amazon) configurent l’avenir et viennent apporter à tous les hommes des services inimaginables quelques décennies auparavant. L’information, la communication instantanée, la publication de livres ou d’articles à volonté, les commandes de produits de consommation en ligne, la banque en ligne, l’ubérisation proviennent des entreprises privées. Et ce n’est qu’un tout petit début puisque cette évolution est historiquement toute récente.
Comment alors le discours collectiviste pourrait-il avoir encore la moindre portée ? Les citoyens ne sont pas des intellectuels. Ils n’analysent pas la société en utilisant des concepts économiques, sociologiques ou juridiques. Mais ils vivent et ils sentent les évolutions profondes. Ils perçoivent le décalage croissant entre le discours politicien et le vécu, entre les promesses des candidats et leurs pitoyables réalisations. L’homme du 21e siècle a compris les limites du politique parce qu’il a vécu des évolutions majeures totalement étrangères au politique. Il sait que sa vie et son destin dépendent davantage de sa liberté que des projets brumeux des partis.
La liberté ! Voilà bien le mot le plus ancien et le plus nouveau. La lente agonie du collectivisme dans les esprits – car il est déjà mort dans les théories – résulte d’une redécouverte des vertus de l’individualisme. Décrié, honni, banni par le marxisme, l’individu est de retour. Il revendique son libre-arbitre sur les réseaux sociaux, s’arroge le droit de voter tantôt à droite, tantôt à gauche, sans choix idéologique ; il n’hésite pas à quitter son pays d’origine si des opportunités se présentent ailleurs ; il compare, analyse, expérimente, décide pour lui-même en utilisant la prodigieuse masse d’informations désormais mise à sa disposition.
Une telle réalité n’a pas encore été prise en considération par les partis politiques. Ils restent enkystés dans l’ancien monde, celui des bulletins de vote en papier, des isoloirs, des assemblées aux débats confus, des projets liberticides. François Hollande, élève de Mitterrand, est entièrement issu de cet ancien monde.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres ». En jouant avec la provocation, il serait possible d’appliquer la phrase célèbre de Gramsci à la situation. Car lorsque la population vit une transition difficile vers la globalisation, les politiciens de gauche n’ont rien d’autre pour la faire rêver que le reliquat d’une idéologie désuète à laquelle ils ne croient même plus. Le crépuscule du collectivisme, abandonné par le peuple, instrumentalisé par ses leaders, produit des personnages cyniques et manipulateurs dont le seul objectif est le pouvoir.
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