Extension du domaine de la lutte
18/02/2016
Patrick AULNAS
On ne peut pas lutter contre les nouveaux ennemis de la liberté avec des procédures datant de l’époque de la marine à voile et des robes à crinoline. Il est possible de le regretter comme on regrette le charme de la Belle Epoque, mais la réalité impose sa dure loi. Une partie de notre jeunesse a fait sécession. Elle rejette non seulement la démocratie en tant que régime politique, mais notre civilisation, ses valeurs, ses ambitions. Le destin des hommes n’est plus pour elle dans la conquête du savoir et de la liberté, mais dans la soumission à un dieu inventé de toutes pièces. Pas le Dieu des musulmans, ni celui des juifs, ni celui des chrétiens, mais le dieu d’une coterie de chefs de guerre haineux assoiffés de pouvoir sans partage. La lutte pour la liberté s’étend désormais à la défense de notre civilisation.
Le renseignement, de l’artisanat à l’industrie
Il faut donc réagir. Nos ennemis utilisent tous les moyens technologiques à leur disposition pour nous détruire. La maîtrise de l’information constitue un élément stratégique. Elle passe au 21e siècle de l’artisanat à l’industrie du fait de la numérisation et des capacités de mémorisation et de traitement offertes par l’informatique et internet. Face à un adversaire planétaire et implanté au cœur même de nos sociétés, la capacité d’agir rapidement repose sur la collecte efficace de l’information. Il faut donc donner aux États démocratiques les moyens d’agir. A cet égard, la loi française relative au renseignement votée en 2015 représente un progrès significatif. Il s’agit de permettre aux services de renseignement de recueillir des informations en temps réel concernant des personnes suspectées de terrorisme et seulement elles. La collecte des informations s’applique aux réseaux des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d’accès à internet. L’algorithme utilisé permet la surveillance du darknet, partie souterraine du réseau internet, largement utilisé par les terroristes.
L’état d’urgence constitutionnalisé
La constitutionnalisation de l’état d’urgence place un nouveau principe au sommet de la hiérarchie des normes juridiques. Elle ne porte pas atteinte aux libertés. La constitution de 1958 prévoyait déjà deux dispositifs pour faire face à des situations exceptionnelles :
- L’article 16 permet de concentrer le pouvoir exécutif entre les mains de Président de la République lorsque l’indépendance de la nation ou l’intégrité de son territoire sont menacés.
- L’article 36 concerne l’état de siège ou « loi martiale ». Il permet de transférer le pouvoir des autorités civiles aux autorités militaires en cas d’insurrection armée ou de guerre.
Il apparaît clairement que ces deux dispositions constitutionnelles ne peuvent s’appliquer à la menace diffuse que représente un risque d’attentats terroristes provenant d’éléments intégrés à la population. La constitutionnalisation de l’état d’urgence, régime actuellement prévu par une simple loi, comble cette lacune. L’état d’urgence concerne en effet un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public. » Il s’agit donc d’un régime civil de crise renforçant le pouvoir exécutif mais ne transférant pas de pouvoirs nouveaux à l’autorité militaire comme le fait l’état de siège. Le champ d’application exact de l’état d’urgence sera défini pas la loi, ce qui permet un contrôle de constitutionalité par le Conseil constitutionnel. De nombreux juristes ergotent, comme ils savent si bien le faire, sur les possibles atteintes aux libertés qu’autoriserait la constitutionnalisation. Dans ce domaine des libertés, il est toujours possible de supputer une utilisation future d’un texte par un pouvoir non démocratique. C’est une constante de la littérature spécialisée. Mais, de toute évidence, l’objectif poursuivi est ici de renforcer notre droit pour faire face à de nouvelles menaces contre la liberté et absolument pas d’entraver cette liberté.
Les libéraux sont-ils réalistes ?
Beaucoup de libéraux s’opposent à ces évolutions juridiques en prétendant se faire les hérauts de la liberté. Se rendent-ils bien compte du décalage croissant entre le monde de la science et de la technique et le monde de la politique et du droit. Il y a aujourd’hui un véritable décrochage de la sphère politico-juridique, et ceci à deux égards :
- La science évolue avec une rapidité croissante et modèle nos modes de vie, alors que l’évolution du politique est d’une extrême lenteur.
- La recherche scientifique se fonde sur la rationalité face à une régulation politique très empirique et pragmatique des sociétés humaines.
Faut-il alors laisser les ennemis de la liberté utiliser toutes les opportunités offertes par la technologie sans permettre aux institutions démocratiques de les utiliser efficacement ? Pour défendre la liberté, il faut aujourd’hui adapter le fonctionnement des démocraties. L’ère des bulletins de vote en papier, des isoloirs, des assemblées aux débats confus, des procédures judiciaires lourdes et lentes s’achève. La démocratie ne survivra pas au 21e siècle avec les modalités d’action du 19e. Les évolutions en cours sur le renseignement auront lieu de toute manière ; l’action de la CIA dans ce domaine le montre bien. Il est donc préférable d’accepter démocratiquement une adaptation de la législation que de se la voir imposer de façon occulte. Voilà où se situe le danger. Les institutions démocratiques pourraient devenir le lieu de débats stériles et sans portée réelle alors que le pouvoir, reposant en grande partie sur l’information, serait exercé par des instances plus discrètes.
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