Bravo Myriam El Khomri !
22/06/2016
Patrick AULNAS
La loi travail, article 2 (soit une soixantaine de pages extrêmement techniques) constitue une manière de rompre quelques rigidités du droit du travail qui se sont accumulées au fil des décennies. Il sera désormais possible, dans des limites très étroites, de s’adapter aux réalités du terrain, c'est-à-dire à la situation spécifique de l’entreprise. En matière de temps de travail, les circonstances exceptionnelles seront prises en considération et un peu de souplesse sera introduite pour les majorations de salaire pour heures supplémentaires (10% minimum au lieu de 25%). Le terme « inversion de la hiérarchie des normes » est tout à fait excessif. Il s’agit d’accords d’entreprise dérogatoires comme il en existait déjà pour le montant des indemnités ou le délai de préavis en cas de licenciement. La différence principale réside dans la remise en cause, très partielle, de la primauté de l’accord de branche, qui ne pourra plus empêcher les adaptations au niveau de l’entreprise.
La divergence CFDT-CGT
La divergence CFDT-CGT sur le sujet se situe précisément là : la CFDT accepte la décentralisation vers les négociations d’entreprise, la CGT reste accrochée à la centralisation au niveau de la branche, c’est-à-dire à un niveau national. L’archaïsme cégétiste se révèle ainsi. Une société complexe immergée dans la concurrence internationale doit jouer sur la souplesse des normes juridiques, sur leur adaptation permanente à la situation locale. Il devient impossible de tout régir au niveau national, qu’il s’agisse de réglementation étatique ou de négociation collective. L’enjeu est de taille : adapter le travail salarié à la réalité économique. Maintenir les rigidités du passé sous prétexte de « droits acquis » conduirait tout simplement au déclin du pays et à l’appauvrissement de tous, en particulier de ceux que l’on prétend défendre.
Le respect de la hiérarchie des normes
Le concept même d’inversion de la hiérarchie des normes juridiques est une absurdité. Le droit a toujours connu les lois impératives, auxquelles il est interdit de déroger, et les lois supplétives, pouvant être écartées par des accords contractuels. L’article 2 de la loi travail ne fait que confirmer cette très ancienne pratique du législateur en insérant dans le Code de travail un article L. 3111-3 ainsi rédigé :
« …les dispositions du présent livre définissent les règles d’ordre public, le champ de la négociation collective et les règles supplétives applicables en l’absence d’accord. »
Juridiquement, il n’y a donc aucune innovation dans la loi El Khomri. La loi, c’est-à-dire le Code du travail, restera applicable à tous. Les accords de branche, les conventions collectives, l’extension du champ d’application d’une convention collective par arrêté du ministre du travail, tout cela subsiste. L’évolution concerne le niveau pertinent de la négociation collective. Un peu de souplesse est simplement introduite par la promotion des accords d’entreprise dans quelques domaines.
Un tournant historique
La loi El Khomri est donc une loi libéralisant avec une extrême modération le marché de travail et l’on se demande parfois pourquoi, y compris dans ces colonnes, l’horizon libéral fait la fine bouche à son sujet. Probablement pour des raisons purement politiciennes. Tout ce qui vient d’un gouvernement socialiste est à rejeter pour une certaine droite, comme toute réforme de droite est l’œuvre du diable pour les plus bornés des socialistes.
En vérité, la loi travail peut constituer l’amorce d’un tournant historique car elle permet de desserrer les contraintes de la loi sur les 35 heures, adoptée en 1998 et 2000 sous le gouvernement de Lionel Jospin. Cette loi est la dernière de toute une époque de notre histoire. Depuis le 19e siècle, il était possible de faire évoluer uniformément par le droit les conditions de travail et de rémunération parce que la fermeture des frontières constituait une protection contre la concurrence internationale. Un corpus juridique unique applicable à tous les salariés d’un État pouvait être mis en place puisque l’économie fonctionnait à 90% à l’intérieur des frontières nationales. Les français consommaient essentiellement ce qu’ils produisaient. Cette époque est révolue.
L’aveuglement de Martine Aubry dans ce domaine reste un mystère. Pensait-elle sincèrement pouvoir imposer à l’Europe entière (puisque marché unique) un modèle social rigide, franco-français et déjà dépassé ? Ou pensait-elle que l’on pouvait travailler moins en France pour un résultat économique équivalent à celui des autres ?
Le courage de madame El Khomri
Quand les frontières disparaissent, le droit doit suivre. Il n’est plus possible d’imposer aux entreprises une réglementation étatique uniforme. Elles sont insérées de façon très diversifiée dans la concurrence internationale et doivent pouvoir l’affronter avec leurs particularités. Un excès de normes générales et impersonnelles devient alors un handicap. Le choix est simple : ou bien les entreprises peuvent s’adapter aux réalités mondiales ou bien elles disparaissent ou se délocalisent. Madame Aubry avait choisi la seconde alternative. Madame El Khomri nous propose de nous réveiller en douceur et de revenir un peu vers le réel. Dans un environnement de gauche, avec les scories idéologiques encore présentes, les syndicalistes butés, l’inculture économique de beaucoup de politiciens et l’extrême technicité du sujet, Madame El Khomri a vraiment beaucoup de courage. Félicitons-là.
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