Immigration : réalité démographique et ambiguïté politique
12/04/2011
Patrick AULNAS
Tout citoyen français remarque spontanément la concentration de populations immigrées dans certaines villes. Et tout citoyen français devrait recevoir de la classe politique des réponses aux principales questions qu'il se pose, à savoir :
- Que représente numériquement la population d'origine étrangère ?
- Quels sont les problèmes spécifiques que pose cette population ?
- Quelles sont les solutions ou les éléments de solutions dont disposent les dirigeants politiques ?
Il est très difficile, voire impossible d'obtenir une réponse claire sur ce sujet très sensible politiquement. On oscille entre la crainte de l'évoquer et l'exploitation électoraliste pure. Cet article a pour but de donner quelques informations de base. Pour obtenir des informations objectives, dénuées d'a priori idéologique, il faut se référer à l'oeuvre de la démographe Michèle TRIBALAT, Directeur de Recherches à l'INED. Dernier ouvrage paru : Les Yeux grands fermés aux Editions Denoël (cliquer sur l'image).
3. La population d'origine étrangère
4. La concentration de la population d'origine étrangère
1. Nous devons accueillir le monde entier
4. La stigmatisation des populations d'implantation ancienne
5. La victimisation des immigrés
6. La surévaluation des avantages économiques et sociaux de l'immigration
Vidéo interview de Michèle Tribalat
La réalité démographique
Les données, bien qu'incomplètes, existent sur ce sujet. Mais certains chiffres ne sont jamais évoqués dans les grands médias populaires.
1. Les flux migratoires
C'est une information aisément disponible et la seule qui soit diffusée à grande échelle. Le site de l'INED indique qu'annuellement les entrées d'immigrés fluctuent de 200 000 à 217 000 personnes de 2002 à 2008 sans que l'on puisse noter une progression régulière sur cette période. L'Afrique apporte un peu moins de la moitié du flux, l'Union européenne environ un quart et l'Asie de 1/6 à 1/7. Mais comme la statistique est faite à partir du fichier central des titres de séjour (AGDREF), elle n'inclut que l'immigration légale. La réalité est donc au dessus.
2. La population immigrée
On raisonne désormais en termes de stocks. Un immigré est une personne de nationalité étrangère, née à l'étranger et s'installant durablement en France. A combien s'élève le total de la population immigrée et y a-t-il une évolution ?
L'INED fournit les chiffres suivants :
Années | 1968 | 1975 | 2000 | 2007 | 2010 |
Nombres d'immigrés en millions | 3,3 | 3,9 | 4,4 | 5,1 | 6,7 |
% par rapport à la population totale | 6,6% | 7,4% | 7,4% | 8,3% | 11% |
Ces chiffres montrent clairement que si le nombre d'immigrés a continué à croître à la fin du 20ème siècle, sa proprotion par rapport à la population totale est restée stable de 1975 à 2000. Depuis cette date, on constate à nouveau une croissance forte de la part des immigrés dans la population totale (de 7,4% à 11% en 10 ans).
Quant à l'origine de cette population immigrée, elle provenait en 2007, selon l'INSEE, d'Afrique pour 2,2 millions d'individus, d'Europe pour 2 millions d'individus et d'Asie pour 735 000 individus.
3. La population d'origine étrangère.
Dès 1991, dans la revue Economie et Statistiques (N° 242), Michèle Tribalat posait la question suivante : "Combien sont les français d'origine étrangère ?" Ses résultats étaient le suivants pour l'année 1986 :
- 4 millions d'immigrés ;
- 5 millions d'enfants d'immigrés ;
- 4,4 à 5,3 millions de petits-enfants d'immigrés.
On obtenait donc pour la population d'origine étrangère un total de 13,4 à 14,3 millions de personnes. La population française totale était de 55 millions de personnes en 1986. La population d'origine étrangère, au sens étroit (trois générations) représentait donc de 24 à 26% du total.
Les données plus récentes confirment ces chiffres. Dans le "Rapport au politique des français issus de l'immigration" de Sylvain Brouart et Vincent Tiberj (CEVIPOV, SCIENCES PO, 2005), le chiffre équivalent pour 1999 est de 13,5 millions d'individus soit 23% de la population totale de 59 millions d'habitants.
En 1999, il y avait donc environ un quart de la population provenant d'origine étrangère en raisonnant sur trois générations. Plus de 50% de cette population est d'origine européenne, 5% d'Afrique sub-saharienne (679 000 personnes) et 22% d'origine maghrébine (3 millions de personnes).
Gérard Noiriel (historien de l'immigration) estimait en 2002 la population d'origine étrangère à environ un tiers de la population totale si l'on remonte jusqu'aux arrière-grands parents.
4. La concentration de la population d'origine étrangère
La perception de l'immigration est fonction de la dispersion de la population immigrée. Une forte concentration locale risque de nuire à l'intégration et de susciter des réactions de rejet. Le carte suivante donne la répartition par régions (cliquer sur l'image):
L'Île-de-France, le sud-est et l'Alsace viennent en tête des terres d'accueil. Cette concentraton n'est pas sans poser de problèmes. Mais cette répartiton globale ne donne pas une image suffisamment précise de la concentration. Michèle Tribalat et Bernard Aubry fournissaient des précisions intéressantes dans une étude portant sur les 30 dernières années du 20ème siècle (1). En 1999, la population d'origine étrangère est supérieure à 25% dans tous les départements franciliens, sauf la Seine-et-Marne (24%). Les chiffres étaient les suivants : 50,1% en Seine-Saint-Denis, 39,7% à Paris, 35,2% dans la Val-de-Marne, 31,6% dans l'Essonne. De même, certaines villes de province ont une concentration élevée de population d'origine étrangère :
- Berhen-lès-Forbach, dans l'Est, avec 41% des jeunes d'origine maghrébine ;
- les 16ème, 14ème, 15ème et 10ème arondissements de Marseille avec plus de 30% de jeunes d'origine étrangère, auxquels il faut ajouter Gardane (38%), Marignane (36%) Berre-l'Etang (36%), Port-de-Bouc (32%) ;
- dans l'isère, on trouvait des concentrations de 44% à Fontaine et Saint-Martin-d'Hères, de 36% à Echirolles.
L'étude précitée recense 42 communes ayant une proportion de jeunes d'origne étrangère (enfants de moins de 18 ans vivant dans une famille) supérieure à 50%, Clichy-sous-Bois arrivant en tête avec 69,8%.
L'ambiguïté politique
Sur le problème de l'immigration, la classe politique au sens large (y compris associations actives sur ce thème) se divise en deux groupes : ceux qui exploitent ouvertement le thème pour se constituer une clientèle (Front National en particulier) et ceux qui restent dans une expectative pleine d'ambigüité et non dépourvue d'arrière-pensées politiciennes. Voici, pêle-mêle, les principales caractéristiques de l'attitude politiquement correcte.
1. Nous devons accueillir le monde entier
De nombreuses ONG, mais aussi l'extrême-gauche, sont victimes de ce syndrome. Il s'agit d'un a priori idéologique repris par Philippe Legrain (2) :
"La migration internationale est la suite logique de la mondialisation des produits et des services : il est raisonnable d'accueillir ceux qui fabriquent ces produits et offrent ces services."
Autement dit, nous devons accueillir les immigrés car il est illogique d'admettre la libre circulation des marchandises et de condamner la libre circulation des personnes. Le simple bon sens permet de comprendre que la libre circulation des personnes entraînera inéluctablement une concentration de population dans les zones les plus riches de la planète et en particulier dans celles où la protection sociale est d'un niveau élevé. Une indemnité de chômage en France équivaut à plusieurs mois de salaire dans les pays du Sud. Une telle position est donc suicidaire pour nos pays développés déjà aux prises avec la concurrence de pays à bas salaires.
2. Le déni de réalité
C'est-à-dire le refus d'aborder le sujet sur la base des chiffres connus. Les chiffres concernant la population d'origine étrangère et la concentration de cette population semblent, à juste titre d'ailleurs (c'est une évidence sociologique), faire peur.
3. Le refus de l'objectivité
Il passe par l'absence d'outils démographiques propres à étudier en profondeur le phénomène migratoire. Il suffirait pour cela de mettre en place un registre de la population, comme cela existe en Belgique et dans les pays nordiques. Toute personne résidant sur le territoire doit s'inscrire sur le registre. En Belgique, la tenue du registre est confiée aux communes. Outre les données d'état civil, on peut prévoir, au moment de l'inscription, le relevé de nombreuses informations (pays d'origine, langue maternelle, etc.). Mises à la disposition des scientifiques, elles permettraient une approche objective. Le coût de mise en place d'un tel registre n'est pas négligeable. Mais l'argument financier ne tient pas. Le refus d'un tel registre est purement idéologique : un a priori, que l'avenir balaiera, sur le "fichage" de la population.
4. La stigmatisation des populations d'implantation ancienne
Ces populations craignent la remise en cause de leur mode de vie par un afflux d'étrangers à proximité de leurs lieux de vie. Si elles agissent pour simplement préserver leur mode de vie, l'accusation de xénophobie sera immédiatement prononcée par une myriade d'associations qui ne sont que des relais politiques.
5. La victimisation des immigrés
Ils sont à la fois victimes de la pauvreté dans leur pays d'origine et de la précarité dans leur pays d'immigration. Les immigrés clandestins sont évidemment les plus "victimisés" par certains cercles politico-médiatiques : le fait qu'ils soient en dehors de la légalité semble très secondaire.
6. La surévaluation des avantages économiques et sociaux de l'immigration
Il s'agit d'affirmations non fondées scientifiquement sur l'apport des immigrés à la production nationale, du refus d'admettre et même d'étudier l'impact négatif de l'immigration sur les bas salaires, alors que cet impact est prouvé dans certains pays étrangers.
Tous se passe donc comme si les gouvernements successifs (quelle que soit leur couleur politique) avaient craint de poser clairement les problèmes suscités par l'immigration massive de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème. Pourquoi cette crainte ? La réponse est évidente : parce que l'on est incapable de maîtriser les flux migratoires. Il vaut donc mieux, sur le plan politicien, mentir effrontément : officiellement, l'immigration est un phénomène positif ; émettre un léger doute relève de la xénophobie latente. Mais mentir à ceux dont le ressenti (pas la réflexion) face à l'immigration est négatif ne sert à rien. Ils feront prévaloir leur ressenti sur les mensonges et iront grossir les rangs de l'électorat d'extrême-droite.
L'écart croissant entre ce que ressent la population française et la position des élites, le refus de ces dernières de prendre en considération les problèmes suscités par l'immigration de masse, le moralisme pseudo-progressiste dont elles font preuve augurent de lendemains qui déchantent.
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(1) Les concentrations ethniques en France
(2) Philippe LEGRAIN, Immigrants un bien nécessaire, Editions Markus Haller
Video interview Michèle Tribalat sur Dailymotion : cliquer sur la présente ligne
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