Du déclin à l'évanescence du politique
12/05/2011
Patrick AULNAS
Après la révolution agricole, vers 10 000 ans avant JC, et la révolution industrielle, au 19ème siècle, une troisième révolution scientifique et technologique de grande ampleur est aujourd’hui en cours. Elle se fonde sur les technologies de l’information et les biotechnologies. L’informatique et ses applications permettent potentiellement à tout être humain d’accéder à l’ensemble de l’information numérisée et de diffuser sa propre information en toute liberté pour un coût dérisoire. Les traitements possibles démultiplient les capacités de l’intelligence humaine. Les biotechnologies cherchent à comprendre les mécanismes du vivant et à en prendre le contrôle pour faire évoluer l’humanité dans une direction aujourd’hui indéterminable. La troisième révolution technologique s’accomplira par la conjonction de ces deux technologies. Face à cette troisième révolution naissante, dont on perçoit intuitivement qu’elle transformera l’homme beaucoup plus radicalement que les deux premières, les modes de gestion des sociétés humaines sont restés statiques. La sphère politique, au début du 21ème siècle, reste dominée par la violence dans la plupart des Etats, tant en ce qui concerne la conquête que l’exercice du pouvoir. Dans les Etats démocratiques, une régulation pacifique a été mise en place : des partis politiques s’affrontent dans un cadre juridico-institutionnel accepté et respecté. Mais le décalage reste considérable entre le monde de la science et de la technique et le monde de la politique et du droit. Il y a un véritable décrochage de la sphère politico-juridique, et ceci à deux égards.
- La science évolue avec une rapidité croissante et modèle nos modes de vie, alors que l’évolution du politique est d’une extrême lenteur.
- La recherche scientifique se fonde sur la rationalité face à une régulation politique très empirique et pragmatique des sociétés humaines.
On perçoit déjà que ce décalage croissant détermine un effacement progressif du politique. D’autres modes de régulation des sociétés se mettent en place concurremment avec l’Etat-nation : montée du communautarisme à l’intérieur, domination des régulations économiques et financières par le marché à l’échelle internationale. Les citoyens des Etats démocratiques manifestent également par leur comportement un désintérêt croissant pour la politique : abstentionnisme électoral, versatilité des comportements politiques. Ce refus de participer et surtout ce refus d’adhérer à une tendance politique précise, en s’accordant toute liberté de voter à droite ou à gauche selon les circonstances, constituent des symptômes importants. La population a perçu que la politique n’était plus le déterminant essentiel de notre devenir historique, si elle l’a jamais été. En tout cas, la capacité de la sphère juridico-politique à influer sur nos destins est jugée très faible.
Peut-on imaginer dès aujourd’hui les tendances qui se développeront pour dépasser le politique ? Les prémisses des évolutions futures sont déjà présentes tant dans le domaine de l’accès au pouvoir que dans celui de l’exercice du pouvoir. La technique encore fruste des sondages d’opinion constitue sans doute l’embryon des modalités futures de désignation des dirigeants politiques. Si la fluidité de l’information devient presque totale, il sera possible de connaître à tout instant l’état de l’opinion. Il est peu probable que la lourde démarche électorale classique, avec campagne des candidats puis vote avec déplacement physique des électeurs, puisse se maintenir. Elle ne présenterait plus aucun intérêt et ne pourrait d’ailleurs pas survivre, faute d’électeurs. A cet égard, on mesure l’inanité des propositions de vote obligatoire qui se situent clairement à contre-courant de l’histoire : l’abstention croissante est un des signes de l’obsolescence du politique ; ce n’est pas en traitant le symptôme qu’on résout le problème.
En ce qui concerne l’exercice du pouvoir, le 20ème siècle marque une évolution que l’on pourrait schématiser ainsi : de l’amateurisme au professionnalisme. L’histoire des deux derniers siècles a fait apparaître puis disparaître des idéologies qui n’étaient en fait que des tentatives un peu naïves de produire une explication globale. Les religions elles-mêmes ont vu leur influence se réduire. Restent la science et la technique qui jouent un rôle croissant. La technique a déjà colonisé la sphère micro-économique dans le domaine de la gestion : des outils en perpétuelle évolution sont aujourd’hui disponibles avec parfois des modèles mathématiques d’aide à la décision (gestion des stocks, gestion financière, etc.). Le domaine politique n’est pas resté à l’écart de ces progrès. Au cours du 20ème siècle, la préparation de la décision politique a profondément évolué : statistiques, agrégats macro-économiques, études prospectives, modèles mathématiques, simulations informatiques de l’impact d’une décision, etc. L’avenir ne peut qu’accentuer ces tendances. Tout porte à croire que le politique pourra bénéficier un jour d’évolutions plus profondes liées aux capacités de traitement de l’information et s’imprégnera encore davantage d’une rationalité qui souvent lui fait défaut. De là à penser que le politique est réductible à une simple technique de gestion, il y a un pas qu’il serait hasardeux de franchir en l’état actuel de nos connaissances. Mais le « grand homme », visionnaire et charismatique, a du plomb dans l’aile. La même évolution s’est déjà produite dans la gestion des entreprises : le manager professionnel s’est substitué à l’homme d’affaires intuitif ayant « le sens des affaires ».
Nous ne sommes donc pas à proprement parler en présence d’un « déclin » du politique, car ce mot présuppose une résurgence possible. Nous sommes confrontés à une évanescence ou à un effacement progressif et inéluctable. Il s’agit du début d’une extinction qui ne provient que superficiellement de l’affaiblissement des Etats aux prises avec la globalisation et la désaffection des citoyens pour la chose publique. L’évanescence du politique résulte des évolutions profondes de l’humanité : la troisième révolution technologique bouleversera la manière de gouverner les sociétés humaines.
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