Techniques picturales : une brève histoire

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Patrick AULNAS

La peinture artistique repose sur des techniques précises qu’il faut parfaitement maîtriser pour s’exprimer avec cet art. Ces techniques ont évolué et se sont affinées au cours de l’histoire sous l’influence des artistes eux-mêmes qui ont toujours cherché à innover. S’il n’est pas possible de considérer qu’il existe un progrès proprement esthétique entre les peintures rupestres de la préhistoire et les tableaux des grands maîtres de la Renaissance, il ne fait aucun doute que la technique elle-même a considérablement progressé entre les deux époques. L’industrialisation des matériels à partir du 19e siècle est la dernière étape de cette longue évolution. Elle facilite beaucoup le travail du peintre.

La création numérique (digital painting) ainsi que l’art dit contemporain ne seront pas abordés. Il s’agit de parcourir ce qui a marqué l’histoire. Les évolutions récentes restent fragiles. Rien ne garantit leur pérennité.

 

Principales techniques : panorama d’ensemble

 

1. Le dessin

 

Michel-Ange. Femme agenouillée (1503-04)

Michel-Ange. Femme agenouillée (1503-04)
Crayon et encre sur papier, 25,8 × 15,3 cm, musée du Louvre, Paris.

 

Le dictionnaire Larousse en donne la définition suivante :

« Représentation sur une surface de la forme (et éventuellement des valeurs de lumière et d'ombre) d'un objet ou d'une figure, plutôt que de leur couleur. »

Le dessin est donc monochrome (approximativement) alors que la peinture joue sur la différenciation des couleurs. Le support est en général le papier et les matériels utilisés varient.

- Le crayon est une mine de graphite mais était autrefois une mine de plomb.

- Le fusain, outil le plus ancien, est une tige de charbon de bois.

- La plume et l’encre sont utilisés depuis l’Antiquité. D’abord en roseau, on utilise ensuite des plumes d’oiseaux (plumes d’oies surtout), plus souples, puis des plumes métalliques. La composition de l’encre utilisée a varié. D’abord d’origine végétale (fumée et huile) les encres comportent aujourd’hui de nombreux composants. 

 

Vincent van Gogh. Portrait du facteur Joseph Roulin (1888)

Vincent van Gogh. Portrait du facteur Joseph Roulin (1888)
Plume et encre sur papier, 32 × 24 cm, J. Paul Getty Museum, Los Angeles.

 

- La sanguine est un outil de dessin fabriqué à partir de l’hématite, une roche contenant de l’oxyde de fer rouge, d’où sa couleur. Utilisée dès la préhistoire dans les grottes, la sanguine permettait au Moyen Âge de réaliser les dessins préparatoires aux fresques. Elle devient par la suite un outil de dessin sur papier.

 

Léonard de VInci. Autoportrait (1512-15)

Léonard de Vinci. Autoportrait (1512-15)
Dessin à la sanguine sur papier, 33 × 21,6 cm, Bibliothèque Royale de Turin

 

2. La peinture à l'encaustique ou à la cire

 

Portrait d'Isidora, Fayoum (2e s.)

Portrait d'Isidora, Fayoum (2e s.)
Encaustique sur bois, 33,6 × 17,2 cm, J. Paul Getty Museum, Los Angeles.

 

Utilisée depuis l’Antiquité, cette technique consiste à diluer les pigments de couleur dans de la cire d’abeille. Le support est principalement le bois. Le mélange cire-pigments s’appliquait à chaud. Les portraits du Fayoum constituent la principale illustration historique de cette technique, qui est encore utilisée par quelques artistes sous forme d’une émulsion beaucoup plus stable.

 

3. La tempera

 

Giotto. Vierge d'Ognissanti (v. 1310)

Giotto. Vierge d'Ognissanti (v. 1310)
Tempera sur bois, 325 × 204 cm, Galerie des Offices, Florence.

 

La tempera est une des plus anciennes techniques picturales permettant d’utiliser les couleurs. Le mot tempera, d’origine italienne, vient du latin distemperare, mélanger, délayer. Les pigments de couleur sont dilués dans un liant pouvant être du jaune d’œuf, de la colle, de la caséine, etc. Il faut allonger le mélange avec plus ou moins d’eau pour parvenir à la consistance souhaitée. On obtient ainsi une peinture fluide facilement applicable sur un support, très opaque si la quantité de pigments est importante et donnant à la composition un aspect brillant. Cette technique était utilisée couramment jusqu’au 15e siècle sur un support bois. Il était nécessaire de recouvrir préalablement le panneau de bois de plusieurs couches préparatoires de gesso (enduit à base de craie ou de plâtre).

Bien que peu utilisée aujourd’hui, la tempera est encore vendue en petits tubes car elle sèche très rapidement et la peinture durcit dans les tubes. Son utilisation est alors simple : il suffit de prendre un peu de pâte sur une palette et de la diluer éventuellement avec de l’eau. Il est très facile d’expérimenter la fabrication de la tempera en mélangeant du jaune d’œuf, un tout petit peu d’eau et de la peinture extraite d’un tube de gouache. On retrouve ainsi les pratiques des anciens. Mais la fabrication était beaucoup plus difficile pour eux car les pigments solides (et très coûteux) devaient être réduits en poudre.

 

Domenico Veneziano. Vierge à l’Enfant (v. 1445-50)

Domenico Veneziano. Vierge à l'Enfant (après 1447)
Tempera sur bois, 83 × 57 cm, National Gallery of Art, Washington.

 

NB : Peinture à la détrempe. Cette terminologie ancienne et ambigüe, propre à la langue française, doit être abandonnée. Elle est parfois employée comme synonyme de tempera, parfois dans un sens pseudo-technique correspondant à une peinture se dissolvant dans l’eau après séchage. Ainsi, la tempera à l’œuf, qui n’est pas soluble dans l’eau après séchage, n’est pas une peinture à la détrempe. Par contre la tempera à l’amidon est une peinture à la détrempe. La gouache ou l’aquarelle sont des détrempes car altérées par l’eau après séchage. Evidemment, la peinture à l’huile n’est pas une détrempe, ni d’ailleurs la peinture acrylique, qui est très résistante à l’eau. Selon ce vocabulaire archaïque, et en rationalisant quelque peu son champ sémantique très flou, les peintures à la détrempe seraient donc à base d’eau et d’un liant restant soluble dans l’eau après séchage.

 

4. La peinture à l’huile

 

Raphaël. Madone à la prairie (1506)

Raphaël. Madone à la prairie (1506)
Huile sur bois, 113 × 88 cm, Kunsthistorisches Museum, Autriche.

 

La peinture à l’huile commence à se substituer à la tempera au 15e siècle. Il s’agit toujours de diluer des pigments colorés dans un liant. Mais on utilise alors comme liant des huiles diverses : huile de lin, huile de carthame, huile de noix. Le séchage est beaucoup plus long (plusieurs heures) qu’avec une peinture aqueuse de type tempera. L’artiste peut donc retravailler sa composition, corriger des erreurs, faire des retouches. La couche de peinture peut être épaissie pour jouer sur le relief. Il est même possible de peindre au couteau.

La peinture à l’huile permet donc de multiples variantes stylistiques, depuis la peinture multicouche à la finition parfaitement lissée avec touches invisibles jusqu’à l’exécution rapide et monocouche des impressionnistes avec touches apparentes.

 

Ingres. Princesse Albert de Broglie (1853)

Ingres. Princesse Albert de Broglie (1853)
Huile sur toile, 121 × 91 cm, Metropolitan Museum of Art, New York.

 

Claude Monet. Le Grand canal à Venise (1908)Claude Monet. Le Grand canal à Venise (1908)
Huile sur toile, 74 × 92 cm, Museum of Fine Arts, Boston.

 

La peinture à l’huile se vend aujourd’hui en tubes. Il est possible d’utiliser directement la peinture sortie du tube ou de la diluer avec un ou deux solvants (huile de lin et essence de térébenthine). Les premières couches doivent être fortement diluées et les suivantes de moins en moins (peindre « gras sur maigre »).

Le nettoyage des outils est contraignant car il faut utiliser de l’essence de térébenthine ou du white spirit.

 

5. La fresque

 

Fra Angelico. Fresques de San Marco. Noli me tangere (1440-41)

Fra Angelico. Fresques de San Marco. Noli Me Tangere (1440-41)
Fresque, 166 × 125 cm, Couvent San Marco, Florence.

 

La fresque (italien fresco soit frais) consiste à appliquer des pigments dilués dans de l’eau de chaux sur un mortier de chaux encore frais. Les pigments pénètrent ainsi dans la masse, ce qui assure une durabilité plus importante. Le peintre doit travailler rapidement, avant le séchage du mortier. Un dessin préparatoire est réalisé puis la finition avec les couleurs. Les retouches sont impossibles et une erreur est difficilement réparable. Les grands fresquistes sont des peintres italiens du 13e au 16e siècle. L’art de la fresque, au sens propre du mot, devient ensuite beaucoup plus rare.

Le mot fresque a été utilisé par la suite dans un sens plus large pour toute grande peinture murale de technique quelconque. Les peintures pariétales et rupestres de la préhistoire, appliquées sur des parois rocheuses, ont parfois été qualifiées de fresques.  

 

Grotte de Lascaux. Aurochs (v. -18 000)

Grotte de Lascaux. Aurochs (v. -18 000)

 

Les grandes peintures murales des 19e et 20e siècles sont aussi appelées fresques, bien que la technique de la peinture à l’huile soit souvent utilisée. Le support en toile est ensuite marouflé sur le mur.

 

James Tissot. Le Christ Pantocrator (1897)

James Tissot. Le Christ Pantocrator (1897)
Fresque, église du couvent dominicain de l’Annonciation, Paris.

 

6. Le pastel

 

Quentin de la Tour. Portrait de la marquise de Pompadour (1752-55)

Maurice Quentin de la Tour. La marquise de Pompadour (1748-55)
Pastel sur papier gris-bleuté collé sur châssis entoilé, 175 × 128 cm, musée du Louvre, Paris.

 

Le pastel est un bâtonnet composé de craie ou de plâtre, d’un liant (cire, huile, gomme arabique) et de pigments de couleur. Il existe des pastels secs et des pastels gras. Les pastels secs (durs ou tendres) s’utilisent comme un crayon mais il possible d’estomper ou de réaliser des fondus de couleurs avec le doigt ou un pinceau. L’usage des pastels gras est proche de celui de la peinture car il faut diluer ou estomper la couleur étalée sur le support avec de l’essence de térébenthine ou du white spirit. Le pastel gras est plus tardif historiquement et apparaît à la fin du 19e siècle chez le marchand de couleurs Sennelier à Paris.

Il est possible d’ajouter une couche de fixatif sur l’œuvre au pastel. Il s’agit d’un produit transparent sous forme liquide ou en aérosol qui fixe les pigments sur le support. Mais les tableaux au pastel se conservent bien sans fixatif s’ils sont encadrés sous verre.

Le pastel apparaît à la fin du 15e siècle et il est utilisé en particulier par Léonard de Vinci. Jusqu’au 18e siècle, son utilisation est assimilée au dessin. Il devient une véritable technique picturale au 18e siècle avec l’italienne Rosalba Carriera (1675-1757) puis le français Maurice Quentin de la Tour (1704-1788), qui sont des portraitistes.

 

Rosalba Carriera. Jeune fille tenant une couronne de laurier, nymphe de la suite d’Apollon (1720)

Rosalba Carriera. Jeune fille tenant une couronne de laurier (1720)
Pastel sur papier, 61,5 × 54,5 cm, musée du Louvre, Paris.

 

7. L’aquarelle

L’aquarelle est une peinture utilisant en général comme liant la gomme arabique (sève des acacias). Quelques additifs permettent d’améliorer l’adhérence ou la conservation, par exemple le fiel de bœuf ou l’amidon. Du fait de la composition assez pauvre en pigments, l’opacité est faible.

De nos jours, la peinture est conditionnée en tubes (peinture pâteuse) ou en godets (peinture solide) et peut être plus ou moins diluée dans l’eau avant de l’appliquer sur le support. Il existe aussi des crayons-aquarelle permettant de dessiner. En utilisant ensuite un pinceau humide, le dessin prend approximativement l’aspect d’une peinture à l’aquarelle.

 

John Singer Sargent. Corfou, ombre et lumière (1909)

John Singer Sargent. Corfou, ombre et lumière (1909)
Aquarelle sur papier, 40 × 53 cm, Museum of Fine Arts, Boston.

 

8. La gouache

La gouache est de composition proche de l’aquarelle mais contient plus de pigments, ce qui la rend opaque. On la conditionne surtout en tubes de pâte. La peinture peut être plus ou moins diluée dans l’eau pour utilisation.

 

Eugène Boudin. Paysage marin en Bretagne (1855)

Eugène Boudin. Paysage marin en Bretagne (1855)
Aquarelle et gouache sur carton, 32 × 51,6 cm, Yale University Art Gallery.

 

Charles Filiger. Sainte Famille (1891)Charles Filiger. Sainte Famille (1891)
Gouache rehaussée d’or sur carton, 31 × 25,5 cm, collection particulière.

 

9. La peinture acrylique

 

Hubert de Lartigue Le jour (2005)

Hubert de Lartigue. Le jour (2005)
Acrylique sur toile, 120 x 60 cm, collection particulière.

 

La peinture acrylique est toute récente historiquement puisqu’elle apparaît au milieu du 20e siècle. Il s’agit toujours de mélanger des pigments de couleur avec un liant. Mais ce liant, des résines synthétiques, est le résultat des progrès de la chimie et non plus un élément naturel. On obtient une peinture très couvrante et très solide après séchage car elle devient alors non diluable dans l’eau. L’acrylique se distingue ainsi de l’aquarelle et de la gouache, que le contact de l’eau continue à altérer après séchage. La peinture acrylique est très utilisée dans la décoration intérieure car la dilution dans l’eau avant séchage rend le nettoyage des outils très facile.

Dans le domaine artistique, elle présente beaucoup d’avantages : multicouche, supports variés, rendu au choix (brillant, mat, satiné, etc.), effets de texture avec des mortiers de structure permettant des empâtements, gels contenant des particules diverses (sable, billes, flocons, etc.).

 

 

Les matériels : de l’artisanat à l’industrie

 

L’évolution des techniques picturales n’a rien de spécifique. Comme dans de nombreux domaines de l’activité humaine, elle est marquée par le passage de l’artisanat à l’industrie, du pragmatisme à la rationalité scientifique et technique. C’est au 19e siècle, avec le décollage économique occidental, que s’effectue cette transition.

 

1. Les pigments

L’obtention d’un enduit coloré nécessite des pigments, qui sont utilisés depuis la préhistoire. A cette époque, pour dessiner sur les parois rocheuses, les hommes utilisaient des terres naturelles (craie, ocre), du charbon de bois, des os calcinés. Les pigments étaient mélangés avec de l’argile, du talc, des feldspaths et de l’eau.

Par la suite, les hommes ont broyé des pierres colorées pour obtenir une poudre diluable. Voici quelques-unes des pierres utilisées :

 

Cinabre

Cinabre (rouge)

 

Lapis lazuli

Lapis-lazuli (bleu)

 

MalachiteMalachite (vert)

 

OrpimentOrpiment (jaune)

 

Le bleu égyptien d’Alexandrie est le pigment synthétique le plus ancien, qui remonte environ à 2500 avant J.-C. (4e dynastie de l’Ancien Empire égyptien). La poudre de lapis-lazuli était également utilisée par les égyptiens, mais elle était très coûteuse, d’où l’incitation à fabriquer un pigment bleu peu onéreux. Vitruve, au 1er siècle avant J.-C., a décrit la fabrication du bleu égyptien. Il était obtenu en mélangeant du sable, de la fleur de nitre broyée et de la limaille de cuivre. En chauffant le mélange, une poudre bleue apparaît.

 

Bleu égyptien

Bleu égyptien

 

Le nombre de minéraux utilisés augmente progressivement. Des pigments d’origine animale apparaissent. La sépia est extraite de l’encre de seiche. Dès l’Antiquité, on extrayait la pourpre d’un mollusque marin, le murex. Le coût de fabrication était très élevé car il fallait un nombre considérable de murex pour obtenir de petites quantités de couleur pourpre. Aussi, l’or et la pourpre deviennent-ils le symbole du pouvoir et de la richesse.

Les végétaux sont progressivement utilisés comme matière première des pigments. Au 17e siècle, les empires coloniaux permettent d’extraire l’indigo (bleu) de la feuille de l’indigotier. Une teinture rouge peut être extraite d’une plante appelée garance des teinturiers.

A partir du 19e siècle apparaissent les pigments synthétiques obtenus par synthèse chimique. Voici quelques pigments synthétiques extraits du catalogue actuel de la société Ocre de France, qui précise :

« Nos pigments synthétiques sont obtenus par des réactions thermiques ou chimiques ; ils peuvent aussi être des pigments azoïques, des phtalocyanines, des quinacridones... Mais tous partagent un point commun : ils sont sans danger pour la santé et/ou l’environnement. »

 

Jaune tournesol

Jaune tournesol

 

Rouge cinabre

Rouge cinabre

 

Bleu lavandeBleu lavande

 

Vert pistacheVert pistache

 

 

2. La préparation de la peinture

Jusqu’au 18e siècle, un lourd travail de préparation de la peinture précédait la réalisation de l’œuvre. Il était impossible de conserver la peinture sous forme de pâte ou sous forme liquide comme actuellement. Les apprentis devaient donc broyer les matériaux solides (par exemple les pierres) pour les réduire en poudre très fine pouvant être mélangée avec le liant. La peinture devait être utilisée immédiatement, sinon elle séchait.

 

L’atelier du peintre et le broyage des pigments à la pierre

L’atelier du peintre et le broyage des pigments à la pierre
gravure

 

James Hams, un artiste anglais, crée en 1822 des seringues en verre ou en métal contenant la peinture. Mais le coût de production étant prohibitif, cette idée ne se développe pas. Le peintre américain John Goffe Rand (1801-1873) dépose en 1841 un brevet d’invention concernant un tube souple en étain, fermé hermétiquement avec une pince. C’est un succès. Les peintres peuvent désormais conserver facilement les couleurs acquises chez un marchand et même les emporter à l’extérieur avec pinceaux, palette et chevalet pour peindre sur le motif. Ce fut un des facteurs du développement de l’impressionnisme dans la seconde moitié du 19e siècle.

 

Tube de peinture Winsor & Newton, brevet de John Goffe Rand (milieu 19e siècle)

Tube de peinture Winsor & Newton, brevet de John Goffe Rand (milieu 19e siècle)

 

Le passage de la préparation artisanale à la préparation industrielle n’est qu’un exemple de la nouvelle division du travail induite par l’industrie. Désormais, c’est l’usine qui prépare les tubes de peinture ; le peintre n’a plus besoin d’assistants spécialisés. Cette transition a également permis le développement de laboratoires de recherche et l’apparition des pigments synthétiques.

 

Tubes actuels de peinture à l’huile

Tubes actuels de peinture à l’huile

 

Conditionnements actuels de la peinture acryliqueConditionnements actuels de la peinture acrylique

 

3. Les pinceaux

Les pinceaux les plus anciens ont été découverts en Chine et remontent au 4e siècle avant J.-C., mais il est vraisemblable que le pinceau était couramment utilisé plusieurs siècles auparavant en Chine.  Il comportait un manche en bambou et des poils d’animaux. L’art de la calligraphie, qui consiste à former parfaitement et esthétiquement les caractères d’une écriture, a contribué au développement du pinceau en Chine. L’utilisation du pinceau se répand ensuite en Extrême-Orient.

Les égyptiens de l’Antiquité ne connaissaient pas vraiment le pinceau et utilisaient pour appliquer les couleurs le calame en roseau, éventuellement associé à des poils animaux ou des fibres végétales. La peinture était répandue en aplats uniformes sans chercher à réaliser des ombrages.

 

Calames

Calames

 

Le pinceau n’atteint l’Occident qu’au 12e siècle. Les pinceaux étaient à cette époque constitués d’un tuyau de plume de vautour, d’oie ou de poule dans lequel des poils de petit‑gris (écureuil), de chevreuil ou des soies de porc étaient insérés. Le mot pinceau (du latin penicillus, petite queue) apparaît au 15e siècle en Europe. Jusqu’au 17e siècle, les pinceaux sont fabriqués dans l’atelier du peintre par ses apprentis. Au 18e siècle, la fabrication artisanale ou plus ou moins industrielle des pinceaux se développe indépendamment des ateliers d’artistes.

L’apparition de la tôle métallique permet d’améliorer le pinceau et de le diversifier. Les poils sont désormais fixés solidement à l’aide d’une virole métallique (cuivre, laiton, inox) et d’une colle spécifique.

 

Les éléments du pinceau

Les éléments du pinceau

 

Les brosses plates n’apparaissent qu’au 19e siècle lorsqu’il est possible d’aplatir la virole avec une presse.

 

Brosse plate

Brosse plate

 

Le mot pinceau est plutôt utilisé pour désigner un instrument composé de poils fins ou très fins à forte capillarité formant une touffe ronde et pointue. Le mot brosse désigne un instrument à poils plus épais et plus durs regroupés en une touffe ronde ou plate. Le spalter est une brosse plate et très large permettant en particulier de lisser les vernis.

 

Pinceaux

Pinceaux

 

Spalter

Spalter

 

La dernière étape se situe au 20e siècle avec l’apparition de fibres artificielles en nylon ou en dérivés de polyamide qui ont beaucoup évolué pour améliorer leur souplesse.

 

4. Les principaux supports

Si la toile ou le papier sont les plus connus, de nombreux supports ont été utilisés pour appliquer la peinture. Il est possible de peindre sur n’importe quoi à condition que la peinture soit adaptée au support. Il existe aujourd’hui des peintures techniques conçues spécifiquement pour tel ou tel matériau-support (métal ferreux, zinc, ciment, etc.). Voici les principaux supports qui ont été utilisés dans la peinture occidentale depuis la préhistoire.

 

La roche

La tendance initiale des hommes a consisté à dessiner sur des roches tendres ou à décorer les parois de leur lieu de vie. On possède ainsi des dessins rudimentaires remontant à plus de 70 000 ans et des dessins très expressifs datant de plus de 30 000 ans.

 

Blocs d’ocre de Blombos (-75-80 000 ans)

Blocs d'ocre de Blombos (- 75-80 000 ans)
L'origine du dessin se trouve donc dans quelques rayures ou griffures creusées dans un matériau tendre si possible.

 

Grotte Chauvet. Chevaux et rhinocéros (-31 000)

Grotte Chauvet. Chevaux et Rhinocéros (-31 000)

 

Les murs et les plafonds

Dans l’Antiquité occidentale, qu’il s’agisse de l’Égypte, de la Grèce ou de Rome, la peinture murale était très développée dans les habitations de l’aristocratie et les édifices officiels ou religieux. La peinture n’était pas appliquée directement sur la pierre constituant les murs mais sur une couche de stuc (mélange de chaux, de sable et d'un liant) qu'on laissait sécher. Beaucoup d’incertitudes subsistent cependant sur les différents types de supports utilisés car la plupart des peintures ont disparu.

 

La chasse aux oiseaux (v. -1350)

La chasse aux oiseaux (v. -1350)
Peinture murale égyptienne, fragment extrait de la tombe de Nébamon, British Museum, Londres.
Nébamon était scribe du Trésor sous les règnes de Thoutmosis IV (v. -1400-1390) et Amenhotep III (v. -1390-1352).

 

Au Moyen Âge, en Occident, la technique utilisée pour la fresque consiste souvent à appliquer une couche de peinture sur un enduit déjà sec, ce qui limite la durabilité. La véritable fresque, avec peinture sur un enduit frais, est à son apogée du 13e au 15e siècle en Italie.

 

Ange du Jugement dernier (v. 1080)

Ange du Jugement dernier (v. 1080)
Fresque, Sant'Angelo in Formis, Capoue.

 

Lorenzo Monaco. Le Mariage de la Vierge (1420-24)Lorenzo Monaco. Le Mariage de la Vierge (1420-24)
Fresque, 210  × 230 cm, chapelle Bartolini Salimbeni de la basilique Santa Trinita, Florence.

 

Par la suite apparaîtra la peinture murale à l’huile. Il est possible de peindre à l’huile directement sur un support sec. Mais parfois, une peinture sur toile est marouflée sur un mur ou un plafond. Ainsi, le plafond de la Galerie des Glaces du château de Versailles comporte environ 1000 m2 de peintures de Charles Le Brun, dont la moitié sur des toiles marouflées.

 

Peintures du plafond de la Galerie des Glaces

Peintures du plafond de la Galerie des Glaces

 

Le bois

Depuis l’Antiquité, le panneau de bois est utilisé comme support par les peintres, mais la plupart des œuvres ont disparu. Plus de mille portraits sur bois à l’encaustique ont cependant été conservés, du fait de la sécheresse du climat, dans le Fayoum égyptien, au sud du Caire. Ils datent des trois premiers siècles après J.-C.

 

Portrait de jeune homme. Fayoum (2e siècle)

Portrait de jeune homme, Fayoum (2e s.)
Encaustique sur bois, 33 × 18,3 cm, Metropolitan Museum of Art, New York.

 

Les panneaux de bois constituent le support type au Moyen Âge et jusqu’au 15e siècle pour les grands polyptyques qui servaient de retables dans les églises mais aussi pour des scènes valorisant le commanditaire ou pour des portraits.

 

P. della F. Polyptyque de la Miséricorde (1445-50)

Piero della Francesca. Polyptyque de la Miséricorde (1445-50)
Tempera sur bois, 330 × 273 cm, Pinacoteca Comunale, Sansepolcro.

 

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin (1435)Jan van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin (1435)
Huile sur bois, 66 × 62 cm, Musée du Louvre, Paris.

 

Pisanello. Portrait d'une jeune princesse (v. 1435-40)Pisanello. Portrait d'une jeune princesse (v. 1435-40)
Huile sur bois, 43 × 30 cm, musée du Louvre, Paris.

 

Diverses essences de bois étaient utilisées, mais principalement le peuplier et le chêne. Plusieurs panneaux juxtaposés pouvaient être utilisés pour les grands polyptyques. La préparation du bois représentait un long travail, le séchage du bois lui-même nécessitant plusieurs années. Le panneau de bois sec était raboté, poncé et recouvert d’un mélange de gélatine et de colle animale puis enduit de plusieurs couches de gesso (enduit blanc à base de craie ou de plâtre).

Le bois est encore utilisé aujourd’hui sous la forme de panneaux contrecollés, plus stables que le bois naturel. Par exemple, les panneaux Tintoretto de Gerstaecker se composent de 5 couches de bois de peuplier et de tremble collées à l’aide d’un liant synthétique.

 

La toile

 

Lorenzo Lotto. Vierge à l’enfant avec sainte Catherine et saint Thomas (1527-28)

Lorenzo Lotto. Vierge à l’enfant avec des saints (1527-28)
Huile sur toile, 114 × 152 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

 

Au cours du 15e siècle, la toile remplace progressivement le bois comme support de prédilection. Ce support présente beaucoup d’avantages. Il est léger, peut être roulé et facilement transporté, mais aussi servir à des compositions monumentales de plusieurs mètres. Le passage de la tempera à la peinture à l’huile est concomitant de l’évolution vers le support toile. Et comme la peinture à l’huile commence à se développer en Flandre, c’est une production locale qui sert à fabriquer la toile : le lin. La toile de lin, très résistante mais brunâtre, doit être préalablement enduite de gesso, comme le bois. La toile de coton, plus économique, apparaîtra ultérieurement.

La toile est tendue sur un châssis pour pouvoir être utilisée comme un panneau rigide.

 

Châssis entoilé actuel. Toile de lin prête à peindre

Châssis entoilé actuel. Toile de lin prête à peindre
L’Artisan des Beaux-Arts


 

Le cuivre

Le cuivre fut le métal le plus utilisé comme support, mais pas le seul (fer, zinc également). Deux utilisations tout à fait distinctes du cuivre ont existé : la peinture à l’huile sur cuivre et la gravure sur plaque de cuivre destinée à la production d’estampes sur papier.

1. L’huile sur cuivre est assez courante du 15e au 18e siècle pour des tableaux de petits formats. Le petit format métal présente l’avantage d’être transportable et peu fragile par rapport à la toile ou au bois. La plaque de cuivre doit être préparée et il existe de nombreuses façons de le faire.

Au 17e siècle, la surface de cuivre était d’abord poncée finement puis traitée avec du jus d’ail pour améliorer l’adhérence de la peinture. Une couche d’apprêt de peinture à l’huile, blanche ou grise, était ensuite appliquée. Après séchage, la plaque de cuivre était prête. La surface parfaitement lisse du métal permettait d’obtenir des détails fins et des effets visuels.

 

Pierre Patel. Le repos pendant la fuite en Égypte (1635)

Pierre Patel. Le repos pendant la fuite en Égypte (1635)
Huile sur cuivre, 41 × 50 cm, musée du Louvre, Paris.

 

2. La plaque de cuivre gravée permettait de reproduire sur papier de nombreux exemplaires d’une peinture ou d’un dessin. Cette diffusion pouvait représenter pour les artistes un revenu important. Eau-forte est le terme anciennement utilisé pour l’acide nitrique, permettant de graver chimiquement le cuivre. Dans le domaine artistique, le terme eau-forte désigne aussi le résultat obtenu par le procédé de gravure, soit la feuille de papier comportant le dessin. Les principales étapes du procédé étaient les suivantes.

- La plaque de cuivre était vernie.

- Un graveur exécutait le dessin au burin (outil métallique à bout plat) et à la pointe sèche (outil métallique à bout pointu) en enlevant le verni à l’emplacement du dessin. On utilise encore l’expression taille-douce pour désigner ce procédé. La taille-douce s’oppose à la taille d’épargne dans laquelle ce sont les reliefs et non les creux qui forment le dessin. Le dessin pouvait s’inspirer de l’œuvre d’un artiste connu.

 

Gravure sur cuivre (taille douce)

Gravure sur cuivre (taille douce)

 

Le Martyr de saint Sébastien (1470-75)Le Martyr de saint Sébastien (1470-75)
Gravure sur bois (taille d’épargne), British Museum, Londres

 

- La plaque était plongée dans l’acide nitrique, éventuellement dilué. Les parties dessinées, et donc sans vernis, se creusaient.

- La plaque était enduite d’encre puis l’encre était retirée de toutes les parties non gravées avec un textile ou du papier. Les entailles formant le dessin restaient remplies d’encre.

- La plaque était placée sur une presse et recouverte d’une feuille de papier. En pressant, le dessin était transféré sur le papier mais inversé par rapport à celui figurant sur le cuivre. On appelait estampe le document papier obtenu. Beaucoup de grands artistes ont diffusé leurs œuvres sous forme d’estampes.

 

Albrecht Dürer. Adam et Eve (1504)

Albrecht Dürer. Adam et Eve (1504)
Gravure sur cuivre, 25,2 × 19,4 cm, Rijksmuseum, Amsterdam

 

Le papyrus, le parchemin, le papier

Les supports souples, particulièrement pratiques car peu encombrants et transportables, existent dès l’Antiquité. Si on estime que le papyrus apparaît en Égypte vers 2500 avant J.-C., le papier est lui-même très ancien. Les chinois l’utilisaient plusieurs siècles avant J.-C. Le parchemin, d’origine animale, a surtout été utilisé au Moyen Âge en Occident.

- Le papyrus est une plante qui pousse en Afrique et jusqu'en Sicile. En Égypte, la plante se développe particulièrement dans les zones marécageuses bordant le Nil où elle peut former de véritables forêts de cinq à six mètres de hauteur. A partir de 2500 avant J.-C. environ, elle devient la matière première d'un support d'écriture également appelé papyrus. On obtient ce support d'écriture à partir de la moelle de la plante découpée en minces bandelettes entrecroisées, pressées puis séchées. Les feuilles obtenues ne dépassent pas 50 cm de longueur, mais il était courant de les assembler pour former de longs rouleaux contenant l'ensemble d'un document. Seule une face est utilisée pour l'écriture. Le mot papier dérive de papyrus.

Le papyrus convient bien au climat sec de l'Égypte mais ne résiste pas du tout à l'humidité. En milieu humide, la feuille se désagrège et l'encre se diffuse dans les fibres végétales. De nombreux papyrus de l'ancienne Égypte ont été conservés, certains étant illustrés de dessins ou de peintures. La plus célèbre de ces peintures est le papyrus d'Hounéfer.

 

Papyrus de Hounéfer, détail  (v. 1310)

Papyrus de Hounéfer, détail (v. -1310)
Rouleau de 550 × 39 cm, British Museum, Londres.

 

- Le parchemin est obtenu à partir de peau animale (mouton, chèvre, veau). Les parchemins en peau de très jeunes veaux, d'une structure très fine, sont appelés vélins. Le parchemin remonte à l’Antiquité et a été beaucoup utilisé en Occident jusqu’à l’apparition du papier vers le 12e siècle. Les manuscrits enluminés sont les principales créations artistiques sur support parchemin ou vélin.

 

Livre de Kells, folio 292r (v. 820)

Livre de Kells, folio 292r (v. 820)
Enluminures sur vélin, 33 × 25,5 cm, Trinity College, Dublin.
(Cette page est consacrée à l'incipit de saint Jean. Elle est constituée
d'un ensemble de majuscules entrelacées introduisant l'Évangile.)

 

- Le papier provient de la cellulose, constituant principal de la plupart des végétaux. Il est possible d’utiliser du bois, des plantes fibreuses comme le chanvre ou le lin ou même des tissus d’origine végétale (coton, lin) pour fabriquer la pâte à papier. La transformation de la pâte à papier en feuilles était auparavant artisanale, mais ce sont aujourd’hui d’énormes machines qui effectuent ce travail très automatisé. Le carton est produit de la même façon.

 

Machine de fabrication du papier

Machine de fabrication du papier

 

Le grammage du papier ou du carton permet de déterminer son épaisseur. Il s’agit du nombre de grammes par mètre carré. Le grammage doit être élevé pour les beaux-arts. Par exemple 180 g /m2 pour le dessin, 300 g /m2 pour l’aquarelle. A titre de comparaison, le grammage d’un papier destiné à l’impression d’un texte sur imprimante est en général d’environ 80 g /m2. Le grammage du carton plat varie de 160 à 600 g /m2. Mais il existe des cartons spécifiques de grammage plus élevé : le carton gris pour la fabrication de maquettes peut aller jusqu’à 1800 g /m2 avec une épaisseur de 3 mm.

 

Pisanello. L’empereur Sigismond de Luxembourg (1433)

Pisanello. L’empereur Sigismond de Luxembourg (1433)
Encre sur papier, 33 × 21 cm, musée du Louvre, Paris.

 

Lorrain. Le jugement de Pâris (1645-46)

Claude Lorrain. jugement de Pâris (1645-46)
Plume et encre brune et lavis brun sur papier, 19,5 × 25,6 cm, British Museum, Londres.

 

Charles Filiger. Christ au tombeau (1892-95)

Charles Filiger. Christ au tombeau (1892-95)
Gouache rehaussée d’or et d’argent sur carton, 19 × 35 cm, musée départemental Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye.

 

Commentaires

  • Pierre Henri DREVON
    • 1. Pierre Henri DREVON Le 02/07/2023
    Merci pour ce document très clair et complet !... Transmis à mes petits enfants !

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