Jean Fouquet

 
 

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Patrick AULNAS

 Autoportrait

Fouquet. Autoportrait (1452-58)

Jean Fouquet. Autoportrait (v. 1450)
Émail sur cuivre, diamètre 6 cm, musée du Louvre, Paris.

 

Biographie

 1415/20-1478/81

Les informations sur la vie de Jean Fouquet sont peu nombreuses. Elles reposent sur des annotations éparses dans des documents d'époque ou sur des interprétations de ses œuvres, des influences subies et de leurs sources possibles.

Fouquet naît à Tours entre 1415 et 1420. Sa formation artistique fait l'objet de supputations, mais eu égard à son savoir-faire exceptionnel dans le domaine de l'enluminure, il est vraisemblable qu'il fut apprenti dans des ateliers d'enlumineurs. Les historiens citent en particulier un grand enlumineur du début du 15e siècle dont on ignore l'identité : le maître de Bedford. Celui-ci avait un atelier à Paris et il travailla à plusieurs reprises pour le duc de Bedford, Jean de Lancaster (1389-1435).
Entre 1443 et 1447 (on ignore la date exacte), Fouquet fait un voyage en Italie. Vers 1446, il peint sur toile un portrait du pape Eugène IV (1383-1447) qui ne nous est pas parvenu mais dont on possède une gravure. Le voyage en Italie a certainement permis au peintre français de rencontrer de grands noms de la peinture italienne : on cite en particulier Fra Angelico car son influence est notable sur certaines œuvres de Fouquet. Un portrait du bouffon Gonella qui exerçait ses talents pour la famille d'Este de Ferrare montre que Fouquet a séjourné dans plusieurs villes italiennes.
A la fin de la décennie 1440-50, Fouquet est de retour en France et s'installe à Tours où il ouvre un atelier de peintre et enlumineur. Sa réputation auprès de la famille royale, de l'aristocratie et du clergé, principaux commanditaires, est considérable. Il travaille pour la famille royale et les grands du royaume. Voici quelques exemples.

  • Charles VII (1403-1461) : portrait (v. 1450-55)
  • Son fils Louis XI (1423-1483) : portrait (v. 1475, perdu)
  • Étienne Chevalier (1410-1474), trésorier de France, c'est-à-dire administrateur des finances royales : Diptyque de Melun (v. 1452-58), Livre d'heures (1452-60)
  • Guillaume de Jouvenel des Ursins (1401-1472), chancelier de France, une sorte de ministre de la justice : portrait (v. 1460-65)
  • Jacques d'Armagnac (1433-1477), duc de Nemours : Manuscrit (v. 1470) d'une traduction des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe (environ 37-100 après J.-C.), historiographe juif.

 C'est ce dernier manuscrit qui a permis aux historiens de l'art de caractériser le style de Jean Fouquet et de lui attribuer ensuite de nombreuses autres œuvres attribuées auparavant à d'autres peintres. Ce manuscrit des Antiquités Judaïques, enluminé par Fouquet, était devenu la possession du duc de Bourbon par héritage. Son secrétaire, François Robertet, inscrivit en 1477, à la dernière page du manuscrit, la note suivante : « En ce livre à douze histoires, les trois premières de l'enlumineur du duc Jean de Berry et les neuf autres de la main du bon peintre et enlumineur du bon roi Louis XI, Jehan Fouquet, natif de Tours ». Pourquoi cette annotation a-t-elle une telle importance ? Robertet n'est pas un secrétaire au sens moderne. Il appartient à une famille qui joue un rôle important dans la famille royale. Ce sont des gens cultivés, également mécènes, que l'on qualifierait aujourd'hui de hauts fonctionnaires. Cette inscription de la main de François Robertet est donc celle d'un connaisseur de l'art de l'époque. Elle constitue aussi l'unique certification d'époque en notre possession concernant l'œuvre de Fouquet.

 

Fouquet. Diptyque de Melun. Etienne Chevalier et Saint Etienne (1452-58)Diptyque de Melun. Etienne Chevalier et Saint Etienne (1452-58)
Huile sur bois, 93 × 85 cm, Gemäldegalerie, Berlin
Analyse détaillée

 

Jean Fouquet meurt à une date inconnue située entre 1478 et 1481, probablement à Tours. Il sera à peu près oublié après sa mort Il faut attendre le 19e siècle pour que des historiens entreprennent des recherches pour tenter de reconstituer l'œuvre du maître de Tours. En 1904, la Bibliothèque nationale de France organise une exposition sur les « primitifs français » où Fouquet tient une place éminente.

 

Œuvre

Si on n'y trouve pas la foisonnante créativité de la Première Renaissance italienne, la France du 15e siècle ne reste pas à l'écart du renouveau de l'art. Jean Fouquet est le peintre et enlumineur qui parviendra le mieux à réaliser une synthèse entre le gothique international, auquel il a été formé dans sa jeunesse, et les influences flamandes et italiennes. Du gothique, il conserve les couleurs vives et contrastantes, en particulier dans ses enluminures. Aux flamands, il emprunte le réalisme et le sens du détail. Il est redevable aux italiens de la perspective linéaire (éléments d'architecture, par exemple, marquant nettement la ligne de fuite) et atmosphérique (dégradé de couleurs vers l'horizon, par exemple pour le ciel).

 

Fouquet. Chroniques de France. Couronnement de Louis VI le Gros (1455-60)Enluminure des Chroniques de France. Couronnement de Louis VI le Gros (1455-60)

 

Portraitiste, peintre de scènes religieuses, enlumineur de manuscrits, créateur de motifs décoratifs pour tapisseries et vitraux, Fouquet a une activité éclectique qui correspond à sa renommée. Il est sans doute considéré en France comme le plus habile des peintres de l'époque et l'on fait appel à lui pour tout ce qui relève de la peinture, de l'illustration, de la décoration. Giorgio Vasari (*) est d'ailleurs tout à fait admiratif devant les enluminures de Fouquet :
« Les motifs gracieux et fins y sont maniés avec une grande aisance. Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est l'emploi heureux de la perspective linéaire et du clair-obscur, qui donne à quelques-uns de ces petits tableaux un ensemble et une tenue tout-à-fait hors de ligne, et que nous n'avons vus dans aucun autre ouvrage contemporain de ce genre. Il faut ajouter à cela que, malgré la variété des couleurs, tous les tons sont si bien rompus, qu'ils produisent un effet suave et harmonieux, d'un charme tout particulier. »

 

Les tableaux

Seule une petite partie des œuvres de Fouquet nous est parvenue. Portraitiste exceptionnel, il traite ses modèles avec un réalisme totalement dénué de flagornerie. Il est également capable de réaliser des compositions religieuses complexes dans lesquelles transparaît sa culture picturale à la fois italienne et flamande.

Fouquet. Le bouffon Gonella (v. 1445)

Le bouffon Gonella (v. 1445). Huile sur bois, 36 × 24 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne. Lors de son séjour en Italie, Fouquet passe par Ferrare où règne la famille d'Este. A la cour se perpétue la tradition du bouffon (le fou du roi) chargé de faire rire et de détendre l'atmosphère. Pietro Gonella, immortalisé par Fouquet, est le bouffon de la cour. Le peintre a su capter magistralement l'expression du visage et a apporté un soin minutieux aux détails (peau, barbe, nez, rides), s'inspirant en cela de la peinture flamande. Les autres éléments du portrait sont plus schématiques, les mains en particulier.

 
Fouquet. Portrait de Charles VII (v. 1450-55)

Portrait de Charles VII (v. 1450-55). Huile sur bois, 86 x 72 cm, musée du Louvre, Paris. Ce portrait sans concession de Charles VII (1403-1461), alors âgé d'une cinquantaine d'années, s'inspire davantage de la tradition flamande qu'italienne, où dominait la représentation de profil. Il s'agit d'une huile sur bois. Le roi est en représentation comme en témoignent les rideaux, mais les attributs de la royauté (couronne, sceptre) sont absents. A l'évidence, le traitement du visage montre que le peintre n'a pas cherché à flatter son modèle : voilà sans doute un Charles VII assez proche du réel. L'inscription seule glorifie le souverain : « LE TRES VICTORIEUX ROY DE FRANCE, CHARLES SEPTIESME DE CE NOM ».

 
Fouquet. Diptyque de Melun. Etienne Chevalier et Saint Etienne (1452-58)

Diptyque de Melun. Etienne Chevalier et saint Etienne (1452-58). Huile sur bois, 93 × 85 cm. Ce diptyque avait été commandé par Etienne Chevalier, trésorier de France, pour orner la collégiale Notre-Dame de Melun. Il est aujourd'hui conservé à la Gemäldegalerie de Berlin pour la partie gauche (Etienne Chevalier) et au Musée royal des beaux-arts d'Anvers pour la partie droite (Vierge). Le panneau de gauche est de tonalité plus italienne : Etienne Chevalier, au premier plan, est présenté à la Vierge (panneau de droite) par saint Etienne, son patron. Le style d'inspiration italienne se caractérise par la perspective architecturale en arrière-plan et le personnage du saint où certains auteurs ont discerné l'influence de Fra Angelico que Fouquet a peut-être rencontré en Italie.

 
 
Fouquet. Diptyque de Melun. Vierge à l'enfant entourée d'anges (1452-58)

Diptyque de Melun. Vierge à l'Enfant entourée d'anges (1452-58). Huile sur bois, 91,8 × 83,3 cm. Cette Vierge forme le panneau de droite du diptyque. Surprenante et audacieuse représentation de la Vierge, qui s'apprête à allaiter (réalisme) et qui, simultanément, semble une apparition quelque peu spectrale (mythologie fantastique ?). Le contraste marqué entre le fond (angelots bleu et rouge) et le personnage de la Vierge à l'Enfant (blanc marmoréen) indique une volonté de l'artiste d'interpeler l'observateur. Le style reste proche du gothique international avec des influences flamandes. Les historiens sont en désaccord sur le modèle : selon certains, il s'agirait d'Agnès Sorel (1422-1450), la maîtresse de Charles VII, mais d'autres rejettent l'hypothèse.

Analyse détaillée

 
Fouquet. Portrait de Guillaume Jouvenel des Ursins (1460-65)

Portrait de Guillaume Jouvenel des Ursins (1460-65). Huile sur bois, 93 × 73,2 cm, musée du Louvre, Paris. Il s'agit du Chancelier de France qui a environ 60 ans. L'inspiration nordique est nette : réalisme et souci du détail pour le visage et l'arrière-plan très chargé où des signes héraldiques de la famille apparaissent. Là encore, le modèle n'est pas flatté, mais la posture pieuse et la richesse du vêtement devaient suffire pour lui complaire.

 
Fouquet. Pietà de Nouans (1450-65)

Pietà de Nouans (1450-65). Huile sur bois, 146 × 237 cm. Il s'agit du plus grand tableau de Fouquet qui nous soit parvenu (168 × 259 cm avec son cadre). Il est conservé dans l'église paroissiale Saint-Martin de Nouans-les-Fontaines (Indre-et-Loire, France). Le commanditaire, qui est représenté agenouillé en blanc sur la droite, n'est pas connu avec certitude. Le Christ est déposé sur les genoux de la Vierge, sa mère, par Joseph d'Arimathie et saint Nicodème. Derrière la Vierge, saint Jean (en rouge). Cette huile sur bois traite un thème religieux ressassé, en particulier par les flamands, mais constitue une composition originale par la position des personnages (le Christ complètement à gauche) et le chromatisme (le fond bleu est tout à fait atypique). Elle permet d'apprécier (avec le diptyque de Melun) le potentiel exceptionnel de Jean Fouquet.

 

Les enluminures

L'enluminure est une peinture ou un dessin exécuté à la main, qui décore ou illustre un texte, la plupart du temps un manuscrit. Les techniques de l'imprimerie et de la gravure feront presque disparaître l'enluminure. Toutefois, il existe quelques livres imprimés qui en sont ornés.
Le livre d'heures est le type le plus courant d'ouvrage médiéval enluminé. Chaque livre d'heures est unique, mais tous contiennent une collection de textes, de prières et de psaumes avec des illustrations correspondantes et constituant un recueil de base pour la pratique de la religion catholique. Avec le temps, leur texte s'enrichit de données plus profanes telles qu'un calendrier avec les prières et les messes pour certains jours saints. Le livre d'heures est le premier livre acheté et bien souvent le seul. Le plus célèbre pour la qualité de ses enluminures est Les Très Riches Heures du duc de Berry.

Fouquet. Heures de Simon de Varye. Vierge à l'enfant (v. 1455)Heures de Simon de Varye. Vierge à l'enfant (v. 1455). 11,7 × 8,5 cm, Bibliothèque royale, La Haye. Simon de Varye a occupé des fonctions auprès du roi Charles VII. Il est une sorte de haut fonctionnaire. Ce livre d'heures a été illustré par deux enlumineurs, le Maître de Dunois et le Maître de Jean Rolin, dont on ignore le nom et dont on sait très peu de choses. Jean Fouquet est intervenu pour trois miniatures, dont cette Vierge à l'enfant.

Fouquet. Heures d'Étienne Chevalier. Le couronnement de la Vierge (1452-60)Heures d'Étienne Chevalier. Le couronnement de la Vierge (1452-60). 20,1 × 14,8 cm, musée Condé, Chantilly, France. Etienne Chevalier, Trésorier de France sous Charles VII, commande ce livre d'heures peu après la mort de sa femme Catherine Budé. Il ne subsiste aujourd'hui que 48 feuillets de ce manuscrit et 47 enluminures réalisées par Jean Fouquet. Le couronnement de la Vierge est un épisode de la tradition chrétienne selon lequel la Vierge est accueillie au paradis par le Christ qui pose sur sa tête une couronne. A la cérémonie céleste participent divers personnages : anges, saints.

Fouquet. Heures d'Étienne Chevalier. Saint Jean à Patmos (1452-60)Heures d'Étienne Chevalier. Saint Jean à Patmos (1452-60). 20,1 × 14,8 cm, musée Condé, Chantilly, France. Jean l'Évangéliste est un des douze apôtres du Christ dans la religion chrétienne. Selon la tradition il serait l'auteur d'un des quatre évangiles canoniques (évangile selon Saint-Jean). Mais cette attribution est mise en doute par les historiens. Pour échapper aux persécutions romaines, il s'exila à Patmos (île grecque). Selon la légende, lorsqu'il fut arrêté, il subit deux épreuves : immersion dans l'huile bouillante et absorption d'un poison provenant de serpents venimeux. Il sortit vainqueur des deux épreuves et mourut à Ephèse.

Fouquet. Heures d'Étienne Chevalier. Annonciation (1452-60)Heures d'Étienne Chevalier. Annonciation (1452-60). 20,1 × 14,8 cm, musée Condé, Chantilly, France. L'archange Gabriel annonce à la Vierge Marie la naissance prochaine du Christ (maternité divine de la Vierge selon le dogme chrétien).

Fouquet. Sacre de Charles VI à Reims (1455-60)Sacre de Charles VI à Reims (1455-60). 46 × 35 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris. Miniature figurant dans les Grandes chroniques de France, manuscrit présentant des épisodes de l'histoire de France. Il a été commencé entre 1415 et 1420 puis achevé entre 1455 et 1460. C'est au cours de cette deuxième période que Fouquet réalisa 51 miniatures illustrant l'ouvrage. Charles VI (1368-1422) fut sacré roi de France en 1380, à 12 ans. Ses oncles Jean de Berry et Philippe II de Bourgogne assureront la régence jusqu'aux vingt ans du roi en 1388.

Fouquet. Chroniques de France. Couronnement de Louis VI le Gros (1455-60)Chroniques de France. Couronnement de Louis VI le Gros (1455-60). 46 × 35 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris. Miniature figurant dans les Grandes chroniques de France, manuscrit présentant des épisodes de l'histoire de France. Louis VI, dit le Gros (1081-1137) accède au trône de France le 3 août 1108. Le sacre a lieu dans la cathédrale Sainte-Croix d'Orléans représentée schématiquement à gauche sur l'image. La maîtrise de la perspective apparaît nettement ici : perspective linéaire avec les murailles, perspective atmosphérique ou aérienne avec l'eau du fossé et le ciel qui s'éclaircissent de plus en plus vers l'horizon (dégradés de bleu-gris allant presque jusqu'au blanc).

Fouquet. Antiquités judaïques. David et l'Amalécite (1470-75)Antiquités judaïques. David et l'Amalécite (1470-75). 40,5 x 28 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris. Les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe (environ 37-100 après J.-C.), historiographe juif, relatent des épisodes de l'histoire du peuple juif. Le manuscrit initial du 1er siècle est rédigé en grec. C'est Jacques d'Armagnac qui commanda à Fouquet des illustrations de son manuscrit et le peintre réalisa 12 miniatures. La scène ci-contre est extraite de la tradition juive. David (barbe et couronne) apprend d'un Amalécite (tribu nomade) la mort de Saül, son beau-père. Il manifeste sa douleur. Une bataille oppose au pied de la montagne les juifs aux philistins. C'est au cours de cette bataille que Saül, roi d'Israël, a trouvé la mort.

 

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Jean Fouquet

 

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(*) Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (première édition 1550, remaniée en 1568).

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