Domenico Veneziano
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Patrick AULNAS
Autoportrait
Domenico Veneziano. Autoportrait provenant du Retable Magnoli (v. 1445)
Tempera sur bois, 209 × 216 cm, Galerie des Offices, Florence
Biographie
v. 1410-1461
La jeunesse de Domenico di Bartolomeo da Venezia, dit Domenico Veneziano, reste une énigme pour les historiens. Il est probable qu'au cours de son apprentissage à Venise il fut initié au Gothique international et qu'il put admirer des peintures d'artistes flamands. Le premier document que l'on possède date de 1438. Domenico est à ce moment à Pérouse où il travaille pour la famille Baglioni. Il écrit une lettre à Pierre de Médicis (1416-1469) pour lui demander d'intervenir en sa faveur auprès de son père Cosme l'Ancien (1389-1464) pour le paiement d'une commission.
Il faut donc se référer à Georgio Vasari (*) pour trouver quelques éléments biographiques, mais Vasari étant peu précis sur la chronologie, elle reste très approximative.
Vers 1432, Domenico est à Florence et y reste jusqu'à 1437. Il y réalise des fresques, en particulier le Tabernacle Carnesecchi dont il subsiste une Vierge à l'enfant conservée à la National Gallery de Londres. En 1437, il part pour Pérouse où l'appelle la famille Baglioni pour orner de fresques les murs de son palais. Ces fresques ont été détruites. En 1439, il s'installe définitivement à Florence et, à l'exception de quelques courtes périodes, y restera jusqu'à sa mort. Dès son arrivée à Florence, il entreprend avec Piero della Francesca (v. 1420-1492) un cycle de fresques sur les épisodes de la vie de la Vierge pour le chœur de l'église Sant'Egidio. Ces fresques ont également été détruites.
Entre 1445 et 1447, Domenico Veneziano réalise la principale œuvre qui nous soit parvenue de lui : un retable pour l'église Santa Lucia dei Magnoli, appelé couramment retable Magnoli ou Santa Lucia. Le panneau central, une Vierge à l'enfant avec quatre saints, est conservé à Florence mais les panneaux de la prédelle ont été dispersés entre des musées de Washington, Cambridge et Berlin (voir ces peintures ci-dessous).
Domenico Veneziano. Retable Magnoli. La Vierge à l'Enfant et les saints, détail (v. 1445)
Selon Vasari, dès qu'il eut terminé le retable Magnoli en 1447, Domenico partit pour les Marches, région d'Italie centrale. Une nouvelle fois, il travaille avec Piero della Francesca à des fresques destinées à décorer la voûte de l'église Santa Maria de la petite ville de Loreto. Mais une épidémie de peste s'abat sur les Marches et les deux compères repartent pour Florence. Les fresques de Loreto ne furent jamais terminées et les parties peintes furent détruites par la suite.
La dernière œuvre qui nous soit parvenue de Veneziano est une fresque de 1454 environ représentant saint Jean-Baptiste et saint François. Initialement, elle fut peinte dans la chapelle Cavalcanti à proximité du chœur de l'église Santa Croce de Florence puis, en 1566, un projet de modernisation de l'église dirigé par Vasari conduisit à transplanter le mur support de la fresque. Elle est aujourd'hui conservée au musée Santa Croce de Florence.
En 1454, après avoir terminé les fresques de Santa Croce, Domenico est appelé à Pérouse. Il s'agit d'une consultation concernant des fresques réalisées par Benedetto Bonfigli (1420-1496) dans la nouvelle chapelle du Palais public et commandées par les Prieurs de la ville. Fra Angelico et Filippo Lippi sont également consultés. Enfin, un document mentionne une consultation de Domenico Veneziano en 1457 à propos du retable de l'église Santa Trinita de la ville de Pistoia (Toscane) peint par Francesco Pesellino (1422-1457) et Filippo Lippi (1406-1469). Nous savons ainsi que Domenico Veneziano jouissait à cette époque d'une réputation exceptionnelle et qu'il conservait une activité. Mais de 1454 à 1461, date de sa mort, aucune œuvre de lui ne nous est parvenue.
Œuvre
Georgio Vasari présente Domenico Veneziano comme « le célèbre Domenico de Venise, qui était venu pratiquer à Florence la peinture à l’huile ». Ses peintures suscitaient l’admiration de tous. Vasari relate longuement la haine qu’éprouvait à son encontre Andrea del Castagno (1419-1457), jaloux des éloges adressés à Domenico. Reprenant un écrit anonyme du 16e siècle, Vasari transforme Andrea en assassin de Domenico. Mais nous savons aujourd’hui qu’Andrea est mort quatre ans avant Domenico et que cette anecdote est fausse. Voici ce qu’écrit Vasari à propos de Domenico Veneziano :
« La faveur dont jouissait Domenico ne tarda pas à allumer la rage d’Andrea, qui, malgré sa supériorité incontestable comme dessinateur, maudissait cette rivalité […] Déjà Domenico avait peint, en compagnie de Pietro della Francesca, la sacristie de Santa-Maria-di-Loreto, et exécuté divers travaux dont nous ne citerons qu’une salle de la maison Baglioni, aujourd’hui détruite, lorsqu’il fut appelé à Florence. Il débuta dans cette ville par une Madone entourée de plusieurs saints, qu’il fit à fresque dans un tabernacle des Carnesecchi […] Les éloges que tous les citoyens et tous les artistes d’alors se plurent à prodiguer à cette fresque excitèrent l’envie maudite d’Andrea […] Il gagna par de perfides caresses l’amitié du confiant Domenico […] L’affection que Domenico portait à Andrea était si vraie, qu’il ne fut pas longtemps sans lui dévoiler les secrets de la peinture à l’huile, que l’on ne connaissait point encore en Toscane. » (*)
Veneziano. Vierge à l'Enfant (après 1447)
Tempera sur bois, 83 × 57 cm, National Gallery of Art, Washington
Analyse détaillée
La légende de la rivalité haineuse entre Andrea del Castagno et Domenico Veneziano correspond cependant à l’émergence de deux tendances dans la peinture florentine de l’époque. Les dessinateurs comme Paolo Uccello (1397-1475) ou Andrea del Castagno s’opposent aux coloristes comme Fra Angelico (v. 1400-1455) et Domenico Veneziano. Mais le courant dominant était celui des dessinateurs et l’influence de Veneziano sur son époque en a été amoindrie. C’est ainsi qu’il faut interpréter les propos de Vasari écrits au 16e siècle avec un manque de recul historique. Comme on le verra ci-après, le coloriste Veneziano utilise magistralement les tons clairs pour donner à ses œuvres une douce luminosité. Les arrière-plans sont constitués de larges espaces naturels ou architecturaux offrant une perspective vaste et profonde. Ayant assimilé l’art de Masaccio, Veneziano saura infléchir la monumentalité un peu solennelle du grand maître vers un univers poétique qui le rapproche de Fra Angelico.
Vierge à l'enfant ou Tabernacle Carnesecchi (1435). Fresque transférée sur toile, 241 × 120 cm, National Gallery, Londres. Cette fresque, qui a été endommagée, reste proche de Masaccio par son effet de perspective appuyé et la monumentalité du trône de la Vierge. Le tabernacle sur lequel était peinte la fresque appartenait à la famille Carnesecchi. |
Vierge à l'enfant (1435-37). Tempera sur bois, 86 × 61 cm, Berenson Collection, Florence. La solennité laisse place ici à la douceur et à la délicatesse du geste de la Vierge qui propose une fleur à l'Enfant Jésus. Le peintre a choisi des couleurs lumineuses, y compris pour l'arrière-plan. |
L'Adoration des Mages (1440-43). Tempera sur bois, diamètre 84 cm, Staatliche Museen, Berlin. Selon la mythologie chrétienne, trois mages (astronomes) auraient suivi une étoile vers le lieu de naissance de Jésus-Christ. Arrivés près de Jésus, ils lui offrent l'or, l'encens et la myrrhe. Veneziano associe une foule nombreuse au premier plan et un paysage profond à l'arrière-plan. Noter la somptuosité des costumes. Les « primitifs flamands » ont souvent représenté la scène mais de façon beaucoup plus resserrée : Gérard David, Gérard de Saint-Jean, Quentin Metsys. |
Retable Magnoli. La Vierge à l'Enfant et les saints (v. 1445). Tempera sur bois, 209 × 216 cm, Galerie des Offices, Florence. Ce retable provient de l'église Santa Lucia dei Magnoli de Florence mais il est actuellement conservé à la Galerie des Offices. Il s'agit d'une conversation sacrée, thème qui se développait à l'époque. La Vierge et l'Enfant Jésus sont entourés de personnages de saints qui semblent bavarder entre eux. Les personnages représentés ne sont pas contemporains l'un de l'autre. Ici de gauche à droite : saint François d'Assise, saint Jean-Baptiste, saint Zénobe de Florence et sainte Lucie de Syracuse. Lumière douce et naturelle, tons pastel, perspective maîtrisée font de ce retable une grande réussite de la première Renaissance. |
Retable Magnoli. La Vierge à l'Enfant et les saints, détail 1 (v. 1445). La Vierge est placée dans l'arche centrale et éclairée depuis la droite du tableau (la partie gauche du visage est dans l'ombre). |
Veneziano. Retable Magnoli. La Vierge à l'Enfant et les saints, détail 2 (v. 1445). Saint François d'Assise (à gauche) se serait rendu à l'église Santa Lucia en 1211. Saint Jean-Baptiste (à droite) est le saint patron de la ville de Florence. Le visage de Jean-Baptiste est un autoportrait du peintre. |
Retable Magnoli. La Vierge à l'Enfant et les saints, détail 3 (v. 1445). Saint Zénobe de Florence (à gauche) est le saint patron du diocèse. L'église de Santa Lucia, comme son nom l'indique, est dédiée à sainte Lucie (à droite). |
Retable Magnoli, prédelle. La stigmatisation de saint François (v. 1445). Tempera sur bois, 27 × 31 cm, National Gallery of Art, Washington. A la fin de sa vie, François d'Assise (v. 1181-1226) se retire dans un monastère où, selon la légende, il aurait reçu des stigmates, c'est-à-dire des traces de plaies semblables à celles du Christ après la crucifixion. |
Retable Magnoli, prédelle. L'Annonciation (v. 1445). Tempera sur bois, 27 × 54 cm, Fitzwilliam Museum, Cambridge. L'archange Gabriel annonce à la Vierge Marie la naissance prochaine du Christ (maternité divine de la Vierge selon le dogme chrétien). |
Retable Magnoli, prédelle. Le martyr de sainte Lucie (v. 1445). Tempera sur bois, 25 × 29 cm, Staatliche Museen, Berlin. Lucie de Syracuse était issue d'une riche famille sicilienne. Elle est née au 3e siècle et morte en martyr au début du 4e siècle. Sous le règne de l'empereur Dioclétien (v. 244-311), elle fut mise en demeure d'abjurer sa foi chrétienne. Selon la légende elle résista à tous les supplices et on finit par lui enfoncer une épée dans la gorge. |
Retable Magnoli, prédelle. Le miracle de saint Zénobe (v. 1445). Tempera sur bois, 28 × 32 cm, Fitzwilliam Museum, Cambridge. Zénobe ou Zenobius, Zenobio, Zanobi (v.337-v.417) est considéré comme le premier évêque de Florence. Originaire d'une famille non chrétienne, il se convertit et devint religieux. La légende lui attribue de nombreux miracles, en particulier la résurrection d'un enfant mortellement blessé par un chariot. Botticelli lui consacrera quatre tableaux. |
Retable Magnoli, prédelle. Saint Jean au désert (v. 1445). Tempera sur bois, 28 × 32 cm, National Gallery of Art, Washington. Saint Jean se dépouille de ses vêtements pour vivre en ermite dans le désert. Paysage vaste et profond, luminosité apportée par les couleurs très claires. |
Vierge à l'Enfant (après 1447). Tempera sur bois, 83 × 57 cm, National Gallery of Art, Washington. Cette douce et élégante Vierge aux couleurs tendres est l'un des derniers tableaux de Veneziano. On remarque la tapisserie fleurie constituant le fond, qui devient courante au milieu du 15e siècle. |
Saint Jean-Baptiste et saint François (1454). Fresque, 190 × 115 cm, Museo dell'Opera di Santa Croce, Florence. Ces deux saints figuraient déjà sur le retable Magnoli (tempera sur bois), mais il s'agit ici d'un morceau de fresque qui a été conservé. Les couleurs d'origine ont été fortement altérées. La quiétude des deux saints du retable fait place à une mise en scène dramatisant la représentation : visage émaciés, vêtements en haillon pour Jean-Baptiste. Visiblement, cette dernière œuvre met en évidence une évolution stylistique de l'artiste. |
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(*) Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (première édition 1550, remaniée en 1568)
Commentaires
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- 1. Godefroy Dang Nguyen Le 08/07/2019
Merci beaucoup pour cette très belle synthèse sur un peintre méconnu car beaucoup de ses oeuvres, notamment des fresques, ont disparu. Il était pourtant très apprécié de ses contemporains.
Votre analyse de la Vierge à l'enfant est superbe, j'avais oublié ce tableau vous me l'avez fait redécouvrir. Merci!
Petit ajout: dans l'annonciation de la prédelle Magnolia, la porte close au fond du jardin fait allusion à la virginité de Marie
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