Titien. Noli me Tangere (1514)
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Patrick AULNAS
Formé par Giovanni Bellini et Giorgione, le jeune Titien (1488-1576) commence sa carrière par des portraits et des scènes religieuses très connues. Son art de la couleur et du mouvement, qui en feront l’un des artistes majeurs du 16e siècle, est déjà perceptible dans les œuvres de jeunesse.
Titien. Noli me Tangere (v. 1514)
Huile sur toile, 110,5 × 91,9 cm, National Gallery, Londres.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE et NATIONAL GALLERY
L’épisode biblique Noli me Tangere
La tradition chrétienne relate l’épisode Noli me tangere de la façon suivante. Le dimanche de Pâques, c'est-à-dire trois jours après la crucifixion, Marie-Madeleine (Marie de Magdala), disciple de Jésus, se rend au tombeau du Christ afin de se recueillir. Elle se penche à l’intérieur du tombeau et s’aperçoit que le corps de Jésus a disparu. A sa place, se trouvent deux anges vêtus de blanc qui lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? ». Marie-Madeleine répond : « Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis. » A ce moment, Marie-Madeleine se retourne et voit un homme qu’elle prend pour un jardinier car il a une bêche sur l’épaule. L’homme dit : « Marie ! » et elle répond : « Maître ! ». Alors Jésus lui dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : "Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu". » (Évangile selon saint Jean, chapitre 20, versets 11 à 18)
Titien représente le moment où Jésus prononce ces paroles souvent commentées par les exégètes de la Bible, et parfois de façon savante. Mais leur signification première est assez évidente. La vie terrestre du Christ est achevée. N’étant pas un homme ordinaire, mais le fils de Dieu, sa résurrection lui permet de prononcer ces dernières paroles indiquant qu’il reste présent. Marie-Madeleine ne doit pas le retenir car il n’appartient plus au monde des vivants. Elle doit aller prévenir les disciples que le Christ est monté auprès de son Père, leur Dieu.
Analyse de l’œuvre
Titien place la scène biblique dans un paysage profond qui lui permet de déployer son art de la composition et son génie de la couleur. Le jeune artiste (environ 26 ans) a d’ailleurs hésité puisque la National Gallery signale que l’analyse aux rayons X montre un premier Christ coiffé d’un chapeau de jardinier et se détournant de Marie-Madeleine. Le paysage lui-même a été radicalement modifié en cours de réalisation du tableau.
Ce paysage est caractéristique du début du 16e siècle par son découpage en trois zones horizontales associées à des dominantes chromatiques. La terre observable, avec ses constructions, sa végétation et ses troupeaux est placée dans les deux-tiers inférieurs du tableau avec des ocres et des verts. Le paysage lointain est constitué par une bande bleu-gris séparée du ciel ennuagé, troisième zone, par une ligne d’horizon très apparente. Les peintres de cette époque utilisent systématiquement la perspective atmosphérique pour donner de la profondeur à la composition : le paysage devient de plus en plus indistinct vers l’horizon et se transforme en une grisaille s’éclaircissant et se confondant avec le ciel.
Titien. Noli me Tangere, détail
La composition du paysage s’inspire de Giorgione. L’arbre comme élément de verticalité, l’arrière-plan rocheux où apparaissent des constructions, la prairie avec un troupeau et le ciel nuageux permettant de faire baigner l’ensemble dans un clair-obscur remarquablement maîtrisé se retrouvent par exemple dans Le jugement de Salomon.
Giorgione. Le jugement de Salomon (v. 1505)
Huile sur bois, 89 × 72 cm, Galerie des Offices, Florence.
En ce qui concerne la scène religieuse, Titien innove en dénudant le Christ, ce que ne faisaient pas ses prédécesseurs. Jésus porte seulement le linceul blanc qui le recouvrait dans la tombe. Le peintre insiste sur le drapé qui répond à celui du vêtement également très simple de Marie-Madeleine. Un soupçon de maniérisme apparaît dans la position du Christ lorsqu’il cherche à éviter le contact avec sa disciple. Bronzino, en 1561, accentuera le geste jusqu’à l’artifice. La simplicité, presque le dépouillement, caractérise les deux figures, le Christ tenant simplement une houe rappelant que Marie-Madeleine l’avait d’abord pris pour un jardinier.
Titien. Noli me Tangere, détail
La position des corps a été soigneusement étudiée par Titien. Le geste d’évitement conduit le Christ à une position en courbe légère symbolisant parfaitement la douceur du refus. Marie-Madeleine, agenouillée sur le sol en position d’imploration, regarde le visage du Christ au-dessus d’elle. Le peintre l’a placée dans l’axe de la diagonale du tableau.
D’un point de vue chromatique, la partie ciel et horizon contraste avec le reste du paysage : bleu, blanc, gris d’une part ; ocre et vert d’autre part. Les deux personnages se détachent nettement du paysage, sorte de décor de théâtre, par leur position au premier plan et la blancheur des corps et des vêtements, seulement tempérée par le contrepoint rouge de la robe de Marie-Madeleine.
Autres compositions sur le même thème
Le thème Noli me tangere a inspiré de nombreux peintres. La résurrection du Christ est en effet un épisode connu de tous les chrétiens et possède des caractéristiques intrinsèques facilitant une visualisation : simplicité de la composition (deux personnages), postures des deux protagonistes, émotion de Marie-Madeleine, Jésus-Christ ressuscité mais rejoignant le Père, donc gardant une distance avec les humains.
Giotto. Noli me tangere (v. 1320). Fresque, Basilique Saint-François d'Assise, église inférieure. Le pré-Renaissance italienne, dont Giotto est le plus grand peintre, commence à humaniser les personnages bibliques en leur attribuant des émotions humaines, ce qui était proscrit au Moyen Âge
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Fra Angelico. Noli me tangere (1440-41). Fresque, 166 × 125 cm, Couvent San Marco, Florence. Fra Angelico traduit le message spirituel par une composition simple mais ambitieuse par son contenu émotionnel. A gauche, le tombeau ouvert duquel Jésus est sorti, est creusé dans la roche. Les deux personnages ont des postures indiquant un élan interrompu.
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Corrège. Noli me tangere (v. 1525). Huile sur bois, transféré sur toile, 130 × 103 cm, Musée du Prado, Madrid. Le mouvement (les deux bras du Christ et le bras de Marie-Madeleine) suit approximativement la diagonale du tableau. Le paysage en arrière-plan, avec le jour qui se lève, semble inspiré de Léonard de Vinci.
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Agnolo Bronzino. Noli me tangere (1561). Huile sur bois, 291 × 195 cm, musée du Louvre, Paris. Maniérisme oblige, l'essentiel ici est dans les postures des personnages : déhanchement du Christ pour éviter Marie-Madeleine, révérence de cette dernière. Mais la réussite chromatique est totale : figures et arrière-plan.
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Nicolas Poussin. Noli me tangere (1653). Huile sur bois, 47 × 39 cm, musée du Prado, Madrid. Le Christ de Poussin est un bel homme ordinaire par l’apparence, spiritualisé par la posture de dévotion de Marie-Madeleine.
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Claude Lorrain. Paysage avec la scène Noli me tangere (1681). Huile sur toile, 84,5 × 141 cm, Städelsches Kunstinstitut, Francfort. Claude Lorrain, grand paysagiste du 17e siècle, utilisait des épisodes religieux ou mythologiques pour placer des personnages dans ses paysages. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE |
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