Stefan Lochner. La Vierge au buisson de roses (v. 1440)
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Patrick AULNAS
Après des siècles d’oubli, Stefan Lochner (v. 1410-1451) réapparaît au 19e siècle dans l’histoire de l’art à la suite des recherches de l’historien allemand Johann Jakob Merlo (1810-1890). Comme tous les grands artistes de son époque, il a créé d’immenses retables mais son œuvre la plus célèbre est une composition de petit format, La Vierge au buisson de roses (Die Muttergottes in der Rosenlaube, soit La Vierge dans la tonnelle de roses, titre au musée de Cologne). Elle nous apparaît encore aujourd’hui spontanément comme un chef-d’œuvre.
Stefan Lochner. La Vierge au buisson de roses (v. 1440)
Technique mixte sur bois, 51 × 40 cm, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne.
Image HD sur WIKIMEDIA
Contexte historique
Le milieu du 15e siècle représente un tournant dans l’histoire de la peinture occidentale. Aussi bien en Italie qu’en Flandre, l’art de peindre évolue rapidement tant sur le plan technique (peinture à l’huile) que d’un point de vue esthétique (humanisation réaliste des sujets religieux). Il peut paraître surprenant de trouver une réalisation majeure en Allemagne, dans la ville de Cologne. Mais cette ville, située sur le Rhin, avait connu un développement commercial important et avait été auparavant l’un des axes de l’évangélisation de l’Allemagne. L’aristocratie et l’opulente bourgeoisie de Cologne ne pouvaient rester à l’écart des évolutions artistiques. Aussi, une École de peinture de Cologne avait-elle pris naissance. Ce terme désigne un courant artistique s’étalant sur deux siècles environ (14e et 15e) et comportant plusieurs générations d’artistes. Le plus connu est Stefan Lochner, dont l’art transitoire entre le gothique international et l’art de la Renaissance conserve l’ingénuité du style ancien mais cherche cependant à utiliser les innovations autorisées par la technique de la peinture à l’huile.
Analyse de l’œuvre
Le thème de La Vierge au buisson de roses repose sur toute une symbolique chrétienne qui était familière aux hommes les plus cultivés du 15e siècle (donc très peu d’entre eux) mais qui nous échappe totalement aujourd’hui. Les symboles utilisés ne relèvent absolument pas de l’approche rationnelle du monde qui domine au 21e siècle. Tout tourne autour d’évocations floues, associées à des « mystères » comme l’immaculée conception, mais porteuses de sens pour les croyants de l’époque, et peut-être encore pour ceux d’aujourd’hui.
La Vierge est placée dans un jardin fleuri, ce qui était courant dans la peinture allemande de l’époque. Le thème du jardin clos et secret s’inspire d’un passage du Cantique des cantiques, l’un des livres de l’Ancien Testament : « Hortus conclusus soror mea, sponsa ; hortus conclusus, fons signatus » (Le jardin clos est ma sœur, ma fiancée ; le jardin clos est une source scellée). L’hortus conclusus (jardin clos) a été associé à la représentation de la Vierge dans l’iconographie occidentale à partir du 15e siècle car il évoque symboliquement la virginité (la source scellée) et constitue un thème particulièrement propice à l’illustration picturale. Ce thème de l’enfermement féminin vertueux est aujourd’hui totalement obsolète d’un point de vue éthique, mais était unanimement admis au 15e siècle. Dans La Vierge au buisson de roses, la figure centrale de la Vierge apparaît donc enfermée dans un cercle formé par les anges musiciens, le muret de pierre auquel elle s’adosse et le buisson de roses en arrière-plan.
Dans la doxa chrétienne de l’époque, la rose est associée à la pureté et donc à la virginité. Il est possible de trouver des emportements littéraires assez surprenants à propos de la rosa mystica (mystica, du grec mystos, mystère) comme cette phrase de saint Bonaventure, qu’il adresse à la Vierge : « Rose pure, rose d'innocence, rose nouvelle et sans épine, rose épanouie et féconde, rose devenue pour nous un bienfait de Dieu, vous avez été établie Reine des cieux ; il n'est personne qui puisse jamais vous être comparé ; vous êtes le salut du coupable, vous êtes le soutien de toutes nos entreprises. »
La composition de Lochner reste influencée par l’art byzantin et celui du Moyen Âge occidental, qui plaçaient les figures sur un fond or. Le buisson de roses reste très schématique d’un point de vue structurel, l’objectif poursuivi n’étant pas la représentation réaliste de la nature. Dans les versions plus tardives du même thème, mais toujours au 15e siècle, les dorures prennent moins de place puis disparaissent totalement (voir ci-après, autres compositions). Caractéristique essentielle du gothique international, les détails naturalistes peuvent être traités avec une grande minutie, comme c’est le cas chez Lochner pour les fleurs et les feuilles des rosiers, qui n’ont rien d’une simple évocation :
Stefan Lochner. La Vierge au buisson de roses, détail
Il en est de même du feuillage au sol :
Stefan Lochner. La Vierge au buisson de roses, détail
La Vierge porte une somptueuse couronne de perles et de pierreries car elle est la reine du ciel. Son visage et celui de l’Enfant Jésus sont entourés du nimbe doré qui caractérise la sacralité du personnage (divinité, sainteté).
Stefan Lochner. La Vierge au buisson de roses, détail
Stefan Lochner. La Vierge au buisson de roses, détail
La figure de la Vierge n’a plus l’aspect hiératique qui était une constante de la peinture byzantine. Elle tient délicatement la main de son enfant comme le ferait n’importe quelle mère. Cette humanisation des personnages saints ou divins commence à l’époque de Giotto (fin 13e, début 14e siècle) et se poursuit jusqu’au 16e siècle.
Stefan Lochner. La Vierge au buisson de roses, détail
Les anges musiciens qui entourent la Vierge constituent une caractéristique de la peinture du 15e siècle. Ils deviendront plus rares ensuite. Ces anges correspondent au développement du culte marial au cours du Moyen Âge, c’est-à-dire de la vénération de la mère de Jésus, qui n’existait pas au début du christianisme. Les anges musiciens permettent en peinture de visualiser les louanges adressées à la Vierge sous forme d’une musique montant vers les cieux. Dieu le Père, sous les traits d’un vieillard à la barbe blanche, et la colombe du Saint-Esprit apparaissent d’ailleurs tout en haut de la composition.
Une exceptionnelle réussite chromatique élève ce petit tableau au niveau du chef d’œuvre. Les couleurs se détachent puissamment sur le fond or, mais le peintre a choisi des couleurs complémentaires pour accroitre encore la luminosité de l’ensemble : vert et rouge du massif de rosiers, bleu et jaune des anges musiciens. En conservant la fraîcheur enfantine des peintres du gothique international associée à un réalisme des détails naturalistes issu de la peinture flamande, Stefan Lochner parvient à une œuvre majeure de la peinture du 15e siècle.
Autres compositions sur le même thème au 15e siècle
Le thème de la Vierge dans un jardin apparaît principalement au 15e siècle dans la peinture germanique et flamande.
Maître du Haut Rhin. Le jardin de Paradis (v. 1410-20). Technique mixte sur bois, 26,3 × 33,4 cm, Städelsches Kunstinstitut und Städtische Galerie, Francfort-sur-le-Main. Cet artiste non identifié, appelé aussi Maître du Haut-Rhin, travaillait en Rhénanie et plus particulièrement à Strasbourg. Le Jardin de Paradis comporte tous les éléments emblématiques du gothique international : couleurs pures, élégance un peu maniérée des gestes, visages idéalisés (les adultes ont des visages d'enfants). L'atmosphère est évidemment très paisible. La Vierge est représentée lisant et l'Enfant Jésus jouant au premier plan. A droite, l'Archange saint Michel porte des ailes. Les personnages baignent dans un jardin luxuriant totalement idéalisé, mais les espèces végétales sont reconnaissables (muguet par exemple au premier plan). Cette association de détails réalistes fondus dans un ensemble cherchant l'idéal caractérise tout particulièrement ce style international. |
Maître du Haut Rhin. La Madone aux fraisiers (v. 1420). Tempera sur bois, 145,5 × 87 cm, Kunstmuseum Solothurn, Soleure, Suisse. La Vierge, assise dans un jardin tend une rose blanche à l'Enfant Jésus. La tête de la Vierge est entourée d'une auréole dorée, survivance de la peinture du Moyen Âge. Le jardin est à fois idéalisé et composé d'espèces végétales reconnaissables : rosiers sur le treillage à l'arrière-plan, muguet, violettes et perce-neige au premier-plan. |
Maître de Cologne. Vierge dans un jardin de roses (v.1420). Tempera sur bois, 96 × 87 cm, Gemäldegalerie, Berlin. Un peintre inconnu de Cologne (Kölner Maler ou Maître de Cologne) reprend, à la même époque, le thème du jardin clos avec une Vierge dans un jardin de roses entourée de saintes et avec les donateurs figurant au premier plan à gauche. |
Martin Schongauer. La Vierge au buisson de roses (1473). Huile et feuille d’or sur bois, 200 × 115 cm, Église des Dominicains, Colmar. Ce thème, courant en Europe du nord à cette époque, représente la Vierge assise dans un jardin, tenant dans ses bras l’Enfant Jésus. L’arrière-plan est constitué d’un treillage supportant des rosiers et sur lequel perchent des oiseaux dont il est possible d’identifier l’espèce. Cette minutie dans la représentation de certains détails caractérise le style gothique international. L’image de cette Vierge rêveuse restitue humilité, délicatesse et tendresse maternelle. Le nimbe d’or surplombant la tête comporte une inscription : « Me carpes genito tu que sanctissima virgo » (Tu me cueilleras pour ton fils, toi aussi, très Sainte Vierge). La finesse, l’équilibre et la réussite chromatique font de cette composition l’un des chefs-d’œuvre du gothique international. |
Hans Memling. Vierge à l'enfant dans un jardin de roses (v. 1480). Huile sur bois, 37,7 × 27,7 cm, Musée du Prado, Madrid. Memling abandonne totalement le fond or des compositions antérieures pour le remplacer par un paysage s’étendant vers l’infini. Le ciel véritable, placé au-dessus de la Vierge, reste symbolique. Les anges musiciens, très humanisés, ne sont plus que deux. Cette œuvre préfigure la peinture du 16e siècle. |
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