Sébastien Bourdon. Paysage classique (17e siècle)

 
 

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Patrick AULNAS

Peintre exceptionnellement doué, Sébastien Bourdon fut influencé dans sa jeunesse par Nicolas Poussin, qu’il rencontra à Rome. Ses paysages composés s’inspirent de ceux du grand maître, mais il parvient à un style original s’appuyant sur une structuration apparente de l’image.

 

 

Sébastien Bourdon. Paysage classique (17e siècle)

Sébastien Bourdon. Paysage classique (17e siècle)
Huile sur cuivre, 20,3 × 31,8  cm, The Fitzwilliam Museum, Cambridge


La gravure et la peinture sur cuivre

Ce petit paysage de Sébastien Bourdon a été peint sur cuivre. Le support cuivre était rarement utilisé pour créer un tableau. Par contre, il était courant pour effectuer des tirages sur papier ou estampes.  L’image était gravée sur la plaque de cuivre en utilisant un outil (burin par exemple) ou un mordant (acide nitrique par exemple, dit eau forte dans les textes anciens). La plaque de cuivre ainsi gravée servait ensuite à un imprimeur pour reproduire l’image sur papier avec de l’encre. Les gravures anciennes ne comportaient pas de couleurs.

La plaque de cuivre fut également utilisée, mais très rarement, comme support d’une peinture à l’huile à partir du 15e siècle. Cette technique se développe surtout du 16e au 18e siècle en Europe du nord. La préparation de la plaque de cuivre suppose un ponçage préalable destiné à la rendre rugueuse et à améliorer l’adhérence de la peinture. Les artistes imprégnaient ensuite la plaque de jus d’ail afin de former une base collante. Une ou plusieurs couches préparatoires à base d’huile de lin et de pigments blancs ou gris étaient alors appliquées. Ces couches devaient être très fines afin d’éviter l’écaillement ultérieur de la peinture.

Pourquoi les peintres adoptaient-ils le cuivre comme support ? Le cuivre permet des effets visuels particuliers car il n’absorbe pas la peinture. Le résultat peut s’apparenter à l’émail, avec des couleurs saturées et brillantes donnant au tableau un aspect d’objet précieux. Un facteur historique a également joué un rôle. Le goût des tableaux de petites dimensions se développe au 16e siècle avec la mode aristocratique des cabinets de curiosités, petites pièces où étaient exposés des objets précieux et rares (antiquités, médailles, armes, fossiles, etc.). Un tableau sur cuivre particulièrement réussi pouvait figurer parmi ces raretés à montrer aux visiteurs.

 

Analyse de l’œuvre

Le Fitzwilliam Museum ne date pas le tableau, mais il est caractéristique du style de Bourdon à partir de 1650. L’artiste utilise un modèle en plans horizontaux formant un paysage idéal et presque théorique par sa structure géométrique. La composition, parfaitement classique, rappelle beaucoup Paysage par temps calme de Nicolas Poussin :

 

 

Nicolas Poussin. Paysage par temps calme (1651)

Nicolas Poussin. Paysage par temps calme (1651)

Huile sur toile, 97 × 131 cm, The J. Paul Getty Museum, Los Angeles.
Analyse détaillée

 

Il n’est pas exclu que Bourdon ait pu voir le tableau de Poussin, qui avait été commandé par Jean Pointel, un marchand de soie et banquier installé à Paris. Après un séjour à Rome de trois ans, Bourdon arrive à Paris en 1737 et y vivra le reste de sa vie, à l’exception d’une période de deux ans (1652-1654) où il deviendra Premier peintre de la reine Christine de Suède. Les similitudes de composition n’impliquent pas que Bourdon se soit inspiré du tableau de Poussin, car il s’agit d’un paysage classique type. Mais il existe malgré tout une troublante analogie de plans horizontaux quasiment identiques : berge avec personnages et animaux au premier plan, étang au second plan, architecture schématique au troisième plan, massif montagneux et ciel nuageux à l’arrière-plan.

 

 

Sébastien Bourdon. Paysage classique, détail

Sébastien Bourdon. Paysage classique, détail

 

Poussin a voulu traiter la quiétude, l’harmonie entre l’homme et la nature. Il éclaire fortement l’étang et la construction par un jeu de clair-obscur laissant la berge du premier plan dans l’ombre. Le ciel est légèrement ennuagé. Le même schéma se retrouve chez Bourdon, mais les nuages deviennent menaçants et le sentiment de temps calme ne domine pas. Les contrastes ombre-lumière ont été fortement accentués par Bourdon. Le château blanc placé en plein soleil s’oppose au château gris foncé et aux nuages sombres annonçant l’orage.

Toute l’originalité du tableau de Sébastien Bourdon réside dans la géométrisation très accentuée. Le peintre semble rechercher la structure sous-jacente du paysage et ignore donc les détails naturalistes. Les promontoires rocheux de droite ont pour fonction de délimiter la vue paysagère, conformément aux normes classiques. Mais ils restent schématiques, ne comportant aucune végétation identifiable, à l’exception de deux arbres. L’artiste suggère par des tâches verdâtres la présence végétale mais se garde de toute précision.

Il en est de même des ensembles architecturaux placés derrière la partie aquatique. Ils ne constituent qu’une suggestion visuelle de château médiéval, aucun détail n’étant représenté. Les nuages eux-mêmes s’étagent en couches horizontales et sont dépourvus de volume. La volonté de se concentrer sur la structure sous-jacente apparente cette composition aux évolutions vers le cubisme du début du 20e siècle, en particulier les recherches de Paul Cézanne sur la Montagne Sainte-Victoire. Le paysage est aplati car l’artiste rejette le modèle perspectiviste, nettement chez Cézanne, modérément chez Bourdon.

 

 

Sébastien Bourdon. Paysage classique, détail

Sébastien Bourdon. Paysage classique, détail 

 

Il peut paraître surprenant qu’un peintre du 17e siècle s’engage dans une telle recherche. En réalité, il n’en est rien. Bourdon devait peindre intuitivement, selon sa fantaisie du moment, pour aboutir en définitive à une théorisation du paysage. Cet artiste était techniquement un virtuose qui, dans sa jeunesse romaine, étonnait les amateurs d’art par sa capacité à imiter avec génie Nicolas Poussin et Claude Lorrain. 

 

 

Sébastien Bourdon. Paysage classique, détail

Sébastien Bourdon. Paysage classique, détail 

 

Autres exemples de tableaux sur cuivre

La peinture sur cuivre concernait tous les genres (mythologie religieuse, portraits, paysages, scènes de genre et natures mortes). Voici un petit échantillon de cette production. Les portraits miniatures, que l’on pouvait garder sur soi, étaient réalisés sur parchemin, porcelaine, cuivre ou ivoire.

 

Benjamin Foulon. Gabrielle d’Estrées (fin 16e s.)

Benjamin Foulon. Gabrielle d’Estrées (fin 16e s.). Huile sur cuivre, turquoise, 4,3 × 3,5 cm, musée Condé, Chantilly. Benjamin Foulon (1551-1612), portraitiste français, est un neveu de François Clouet. Gabrielle d'Estrées (1573-1599) est la favorite d’Henri IV, roi de France de 1589 à 1610.

 

Brueghel. Paysage avec le jeune Tobie (1598)

Jan Brueghel de Velours. Paysage avec le jeune Tobie (1598)
Huile sur cuivre, 36 × 55 cm, Musée Liechtenstein, Vienne.

 

 

Brueghel. Paysage avec le jeune Tobie, détail (1598)

Jan Brueghel de Velours. Paysage avec le jeune Tobie, détail

 

Le livre de Tobie fait partie de l'Ancien Testament. Après de multiples péripéties, le jeune Tobie parvient à guérir la cécité de son père avec du fiel de poisson. L’anecdote biblique n’est qu’un prétexte permettant de créer un paysage qui emprunte encore beaucoup aux paysages-mondes du 16e siècle par sa profondeur infinie résultant de la perspective atmosphérique (flou et éclaircissement vers les lointains).
Le détail, dont la largeur réelle est inférieure à 20 cm, permet de percevoir l’extrême minutie du travail. Les vêtements, la gestuelle et même les mimiques de chaque petit personnage ont été étudiés individuellement. Par rapport au travail plutôt rapide de Sébastien Bourdon, on voit qu’ici l’artiste n’a pas été avare de son temps.

 

 

Brueghel. Bouquet de fleurs avec bijoux, pièces et coquilles (1606)

Jan Brueghel de Velours. Bouquet de fleurs avec bijoux, pièces et coquilles (1606). Huile sur cuivre, 65 × 45 cm, Pinacoteca Ambrosiana, Milan. Brueghel laisse toujours au pied du vase quelques fleurs ou objets épars. Cette peinture a été commandée par le cardinal archevêque de Milan Federico Borromeo (1564-1631).

 

Clara Peeters. Nature morte aux fleurs entourée d'insectes et d'un escargot (1615-18)

Clara Peeters. Nature morte aux fleurs entourée d'insectes et d'un escargot (1615-18). Huile sur cuivre, 16,6 × 13,5 cm, National Gallery of Art, Washington. Les natures mortes de Clara Peeters représentaient en général des aliments (poisson, gibier, etc.) et des objets. Il s’agit ici de l’une de ses rares natures mortes florales, au caractère décoratif marqué.

 

Gérard Dou. Le médecin (1653)

Gérard Dou. Le médecin (1653). Huile sur cuivre, 54 × 38 cm, collection particulière. Gérard (ou Gerrit) Dou est un peintre néerlandais spécialisé dans les scènes de genre sur panneau de bois. Il utilise ici la plaque de cuivre pour représenter un médecin du 17e siècle examinant les urines d’un malade.

 

Jacques Stella. La Sainte Famille (après 1650)

Jacques Stella. La Sainte Famille (après 1650). Huile sur cuivre, 45 × 35 cm, musée des Augustins, Toulouse. Jacques Stella (1596-1657) traite essentiellement des scènes religieuses ou mythologiques. Dans la mythologie chrétienne, la Sainte Famille comporte Jésus de Nazareth et ses parents, Marie et Joseph. Un quatrième personnage apparaît ici, probablement Jean le Baptiste ou Jean-Baptiste, le prophète qui annonce la venue du Christ et par la suite le baptisera.

 

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