Pierre Patel. Le repos pendant la fuite en Égypte (1635)
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Patrick AULNAS
Spécialisé dans le paysage, Pierre Patel (1605-1676) travailla à de vastes compositions décoratives pour Simon Vouet et Eustache Le Sueur. Mais il conquit peu à peu une célébrité qui attira les commanditaires. Il reste dans l’histoire pour ses paysages avec ruines.
Pierre Patel. Le repos pendant la fuite en Égypte (1635)
Huile sur cuivre, 41 × 50 cm, musée du Louvre, Paris.
Contexte historique
La peinture de paysage italienne et française du 17e siècle vise à créer un paysage idéal en s’inspirant de l’observation de la nature. Annibal Carrache, Le Dominiquin, Nicolas Poussin, Claude Lorrain sont, depuis la fin du 16e siècle, les grands maîtres du genre. Un sous-courant de ce classicisme fut baptisé par certains historiens atticisme. Le mot provient du terme Attique, qui désignait le territoire de la cité antique d’Athènes, mais aussi d’un courant littéraire de l’Antiquité grecque recherchant une expression fine et épurée. En peinture, l’atticisme est épris de pureté des lignes et de limpidité de l’atmosphère. La référence à l’Antiquité se manifeste par la présence de ruines dans les paysages. La modération esthétique et expressive, la rigueur de la composition caractérisent ce courant dont les représentants principaux furent Eustache le Sueur et Laurent de la Hyre.
Le repos pendant la fuite en Égypte de Pierre Patel s’inscrit parfaitement dans cette tendance.
Analyse de l’œuvre
Ce paysage idéal présente l’originalité d’associer un épisode biblique et des ruines antiques. La fuite de la Sainte Famille (Joseph, la Vierge et l’Enfant Jésus) constitue un des grands thèmes classiques de la peinture religieuse à partir du 13e siècle. L’épisode est relaté dans l’Évangile selon saint Matthieu. Le roi Hérode Ier de Palestine, ayant appris la naissance à Bethléem du roi des Juifs, donne l’ordre de tuer tous les enfants de moins de deux ans se trouvant dans la ville. Prévenu par un songe, Joseph s’enfuit en Égypte avec l’Enfant Jésus et sa mère Marie. Ils y resteront jusqu’à la mort d’Hérode.
Le thème religieux ou mythologique était indispensable pour figurer parmi les peintres les plus prestigieux de l’époque. Pour justifier le titre du tableau, Patel place donc quelques petits personnages dans un paysage grandiose. La Vierge apparaît au premier plan, assise avec son fils sur un élément de colonne tombé à terre. Joseph lui apporte de l’eau.
Pierre Patel. Le repos pendant la fuite en Égypte, détail
A gauche de la Saint Famille, les ruines d’un palais ou d’un temple permettent de relier la scène à l’Antiquité et d’évoquer le passage inéluctable du temps, synonyme de déclin dans les mentalités de l’époque. La scène biblique se situant historiquement dans l’Antiquité, il y a une certaine incohérence à l’associer à des ruines de la même époque. D’autant qu’un édifice de type château fort moyenâgeux a été placé sur la droite du tableau. La quiétude la plus parfaite règne dans cette vallée où paissent des animaux, comme si le locus amoenus des poètes antiques avait survécu à la chute de leur civilisation symbolisée par les ruines.
Cette rationalité n’effleurait évidemment pas les contemporains, la licence artistique dominant tout aspect chronologique. Cette peinture paysagère recherche l’intemporalité. En plaçant dans un même paysage des éléments historiques éclectiques, le peintre suscite dans l’esprit du spectateur des émotions provenant de plusieurs millénaires d’histoire. Le temps ne compte pas pour célébrer la beauté de la nature.
La composition, de facture typiquement classique, encadre la perspective centrale de deux éléments de verticalité : les ruines à gauche, les arbres et le château fort à droite. Le peintre utilise la perspective atmosphérique afin de simuler une profondeur infinie. Cette technique, couramment utilisée depuis le siècle précédent, consiste à éclaircir progressivement la palette avec l’éloignement vers l’horizon et à passer à des formes indistinctes.
Pierre Patel. Le repos pendant la fuite en Égypte, détail
Le support cuivre utilisé par Patel pour ce tableau est assez courant du 15e au 18e siècle pour des tableaux de petits formats. Le petit format métal présente l’avantage d’être transportable et peu fragile par rapport à la toile ou au bois. La plaque de cuivre doit être préparée et il existe de nombreuses façons de le faire.
Au 17e siècle, la surface de cuivre était d’abord poncée finement puis traitée avec du jus d’ail pour améliorer l’adhérence de la peinture. Une couche d’apprêt de peinture à l’huile blanche ou grise était ensuite appliquée. Après séchage, la plaque de cuivre était prête. La surface parfaitement lisse du métal permet d’obtenir des détails fins et des effets visuels.
Les paysages arcadiens avec ruines des grands peintres du classicisme ne disparaîtront qu’au 19e siècle. Les capricci italiens du 18e siècle en sont un prolongement, puis le néoclassicisme renouera complètement avec le goût des ruines antiques, Hubert Robert en étant le spécialiste français.
Paysage et fuite en Égypte : autres compositions
Giotto. La fuite en Egypte (1315-20). Fresque, Basilique Saint-François d'Assise, église inférieure. Devant un paysage accidenté au ciel bleu sombre, Giotto place la s Saint Famille en route vers l’Égypte. Son apport est essentiel car il humanise les personnages bibliques, qui se comportent comme des humains ordinaires. Seule l’auréole encadrant la tête indique la sainteté. |
Lorenzo Monaco. Annonciation Bartolini Salimbeni, La fuite en Égypte (1420-24). Il s’agit de la quatrième scène de la prédelle du retable Bartolini Salimberi de basilique Santa Trinita de Florence. Le paysage n’est ici qu’un décor de théâtre placé en arrière-plan de la Sainte Famille. |
Vittore Carpaccio. La fuite en Égypte (v. 1515). Huile sur bois, 72 × 111 cm, National Gallery of Art, Washington. Sur un arrière-plan paysager servant de décor grandiose à la scène biblique, Carpaccio place au premier plan la Sainte Famille en fuite pour l’Égypte. Les vêtements permettent de libérer la couleur, la tenue somptueuse de la Vierge étant une exception dans la représentation très fréquente de cette scène à la Renaissance. |
Joachim Patinir. Le repos pendant la fuite en Egypte (v. 1520). Huile sur bois, 121 × 177 cm, Musée du Prado, Madrid. La Vierge et l'Enfant Jésus sont ici au premier plan tandis que Joseph, à gauche, ramène une cruche d'eau. Il s'agit d'une vue plus rapprochée que dans la plupart des paysages de Patinir, mais le peintre n'a pas manqué de laisser en haut et à droite un espace vers l'infini. La richesse chromatique est exceptionnelle : multiples nuances de vert associées au dégradé gris-bleu vers les lointains. |
Le Dominiquin. Paysage avec la fuite en Égypte (1620-23). Huile sur toile, 164 × 213 cm, musée du Louvre, Paris. « Cité en 1623 et en 1633 dans l'inventaire des tableaux du cardinal Ludovico Ludovisi, ce tableau fut acquis dès 1646 par le cardinal de Mazarin. Son sujet a été longtemps méconnu alors que la Sainte Famille apparaît en bas à droite. » (Commentaire Base Atlas, musée du Louvre) |
Claude Lorrain. La fuite en Egypte (1635). Huile sur toile, 71 × 98 cm, Museum of Art, Indianapolis. La fuite en Egypte n’est pour Claude Lorrain qu’un prétexte pour peindre un vaste paysage. Il fallait en passer par là à l’époque pour être considéré comme un artiste de premier plan. Les sujets mythologiques et religieux constituaient le sommet de la hiérarchie des genres. |
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