Marie-Victoire Lemoine. L’atelier d’une femme peintre (1789)
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Patrick AULNAS
Devenir peintre au 18e siècle était une gageure pour une femme issue d’une famille de commerçants. Marie-Victoire Lemoine a pourtant vécu de sa peinture (portraits, scènes de genre, natures mortes, miniatures) et le revendiquait. L’un de ses tableaux les plus connus représente l’intérieur de l’atelier d’une femme peintre.
Marie-Victoire Lemoine. L’atelier d’une femme peintre (1789)
Huile sur toile, 116 × 89 cm, Metropolitan Museum of Art, New York.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
Contexte historique
Influencée stylistiquement par Élisabeth Vigée Le Brun, Marie-Victoire Lemoine n’aura pas sa notoriété. N’étant pas introduite dans les cercles de la famille royale et de la haute noblesse, elle pourra rester en France pendant la période révolutionnaire, contrairement à son illustre consœur. L’atelier d’une femme peintre, créé en 1789, ne sera exposé qu’au Salon officiel de 1796, sous le Directoire. La fougue et les exactions révolutionnaires ont alors disparu et l’on tente de mettre en place une démocratie. La période est donc propice à l’émergence d’artistes femmes.
Le tableau reste dans la famille Lemoine jusqu’en 1920. Il est ensuite vendu et sa dernière propriétaire, Mme Thorneycroft Ryle, en fait don au Metropolitan Museum en 1957.
Analyse de l’œuvre
Marie-Victoire Lemoine. L’atelier d’une femme peintre, détail
Une artiste se tient debout, le coude appuyé contre un meuble, une palette dans la main gauche, un appui-main dans la main droite. Cette baguette en bois terminée par une boule recouverte de tissu ou de cuir permettait de poser le poignet pour peindre les détails comme on le voit sur le tableau de Sofonisba Anguissola :
Sofonisba Anguissola. Bernardino Campi peignant Sofonisba Anguissola (v. 1559)
Huile sur toile, 111 × 110 cm, Pinacoteca Nazionale, Sienne.
L’appui-main est appelé mahlstick en anglais, terme provenant du néerlandais maalstok, (de malen, peindre et stok, bâton).
Sur le chevalet, les premières esquisses d’un tableau mythologique apparaissent : une prêtresse présente une jeune femme à une statue d’Athéna, déesse-protectrice des arts. Une boîte à peinture en acajou, celle de Marie-Victoire Lemoine, a été placée à côté du chevalet. Sur la gauche, assise sur un tabouret, une élève dessine.
Marie-Victoire Lemoine. L’atelier d’une femme peintre, détail
L’artiste peintre porte une robe de mousseline, dite à l’époque en gaule, tenue d’intérieur très distincte des robes somptueuses que devaient porter les femmes de la classe dirigeante pour paraître en société. Cette tenue était devenue à la mode lorsqu’Élisabeth Vigée Le Brun avait fait le portrait de Marie-Antoinette ainsi habillée. Le portrait fit scandale au Salon de 1783 et accrut la célébrité de l’artiste. Il dut être remplacé par un autre avec une Marie-Antoinette en fastueuse robe d’apparat. Voici ces deux portraits :
Élisabeth Vigée Le Brun. Marie-Antoinette (v. 1783)
Huile sur toile, 93 × 73 cm, National Gallery of Art, Washington.
Élisabeth Vigée Le Brun. Marie-Antoinette (1783)
Huile sur toile, 93 × 73 cm, National Gallery of Art, Washington.
Deux interprétations non exclusives ont été données de L’atelier d’une femme peintre. Selon la première, il s’agit s’un hommage à Élisabeth Vigée Le Brun par une de ses anciennes élèves. L’artiste représentée serait Élisabeth Vigée Le Brun et l’élève Marie-Victoire Lemoine. Le MET propose une autre interprétation, une allégorie de la peinture :
« Bien qu'il soit tentant de voir dans ce tableau un portrait ou un autoportrait, d'autres caractéristiques suggèrent que Lemoine a délibérément allégorisé les femmes artistes. La figure debout semble incarner l'art de la peinture, tandis que la femme assise sur un tabouret incarne le dessin. Les contours à la craie de la peinture ont commencé à être brossés par la première sur la toile partiellement achevée sur le chevalet. Cette composition fait écho à la scène contemporaine avec la représentation d'une prêtresse présentant une jeune femme à une statue d'Athéna, déesse protectrice des arts. Il s'agit d'une image idéalisée qui déplace le registre vers le domaine de l'allégorie, même si elle les habille des atours de la vie contemporaine, vêtements d’intérieur à la mode et mobilier raffiné. » (Commentaire MET)
Marie-Victoire Lemoine. L’atelier d’une femme peintre, détail
Il est aussi possible d’interpréter ce tableau comme celui d’une femme du 18e siècle ayant choisi l’indépendance économique par son travail d’artiste, situation rarissime à cette époque. Il serait sans doute anachronique d’y voir une revendication féministe, eu égard au sens actuel de l’expression. Mais la fierté de figurer sur la toile en femme talentueuse disposant de la liberté créative ne fait pas de doute. Le tableau étant resté longtemps dans la famille Lemoine, il n’était pas destiné à la vente mais peut apparaître comme une image que l’artiste voulait laisser d’elle.
Autres compositions représentant des femmes peintres au travail
Le femmes peintres se sont fréquemment représentées au travail, parfois en utilisant le détour de l’allégorie, parfois aussi en associant tenue mondaine et instruments de travail.
Sofonisba Anguissola. Autoportrait au chevalet (v. 1556). Huile sur toile, 66 × 57 cm, Muzeum-Zamek, Lancut. L'artiste est en tenue de travail très simple. Elle peint une Vierge à l'Enfant ayant un geste d'affection. |
Artemisia Gentileschi. Autoportrait en allégorie de la peinture (1630). Huile sur toile, 96,5 × 73,7 cm, collection Royale, Windsor. Le cadrage serré et la position de l’artiste résultent de l’influence baroque. |
Elisabetta Sirani. Allégorie de la peinture. Autoportrait (1658). Huile sur toile, 95 × 76 cm, musée Pouchkine, Moscou. Le caractère allégorique explique la somptuosité des étoffes. Il ne s’agit pas d’une représentation réaliste de l’artiste au travail. |
Adélaïde Labille-Guiard. Autoportrait avec deux élèves (1785). Huile sur toile, 198 × 142 cm, Metropolitan Museum of Art. Là encore, le réalisme de l’artiste au travail a été abandonné au profit d’un autoportrait avec robe et chapeau d’apparat. |
Angelica Kauffmann. Autoportrait (1787). Huile sur toile, 128 × 94 cm, Galerie des Offices, Florence. Autoportrait avec quelques instruments et une tenue de travail de l’époque. |
Elisabeth Vigée Le Brun. Autoportrait (1790). Huile sur toile, 100 × 81 cm, Galerie des Offices, Florence. La jeune artiste de 35 ans, déjà célèbre, pose avec pinceaux et palette. |
Marie Bashkirtseff. Dans l’atelier (1881). Huile sur toile, 188 × 154 cm, Musée d'Art de Dnipro. Le tableau représente un cours donné à un public féminin à l’Académie Julian à Paris. Crée en 1866 par le peintre Rodolphe Julian, cette école de peinture ouvre en 1876 un cours réservé aux femmes. Comme on le voit sur le tableau de Marie Beshkirtseff, les hommes (ici un jeune garçon) pouvaient poser à demi-nu, ce qui, pour la mentalité de l’époque, était d’une audace folle… L’artiste s’est représentée au premier plan à gauche, de dos. |
Georges Achille-Fould. Rosa Bonheur dans son atelier (1893). Huile sur toile, 91 × 124 cm, musée des Beaux-arts de Bordeaux. Tableau très près du réel de la grande artiste animalière. |
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