Lorenzo Lotto. Vierge à l'Enfant avec sainte Catherine et saint Thomas (1527-28)
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Patrick AULNAS
L’œuvre de Lorenzo Lotto (1480-1556) comporte, dans sa jeunesse, des polyptyques encore inspirés de la Première Renaissance, mais elle évolue considérablement, en particulier sous l’influence maniériste. La Vierge à l’Enfant avec sainte Catherine et saint Thomas constitue un bon exemple du point d’aboutissement de cette évolution.
Lorenzo Lotto. Vierge à l’enfant avec sainte Catherine et saint Thomas (1527-28)
Huile sur toile, 114 × 152 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
Contexte historique
Le tableau se situe dans une trajectoire historique de renouvellement de la Conversation sacrée au début du 16e siècle. Ce thème pictural consiste à placer autour d’une Vierge en majesté ou d’une Vierge à l’Enfant un ensemble de personnages, principalement des saints, censés converser avec la Vierge. Au 15e siècle, la scène se situait dans un ensemble architectural lui donnant un caractère très solennel. La taille inférieure des saints permettait de marquer la hiérarchie.
Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole (1423-24)
Tempera et or sur bois, 212 × 237 cm, San Domenico, Fiesole.
L’évolution du début du 16e siècle comporte deux aspects. D’une part, la scène est désormais placée en extérieur, dans un paysage. D’autre part, la solennité disparaît, les artistes souhaitant au contraire suggérer une certaine intimité. La distance focale se réduit afin que les personnages apparaissent proches de l’observateur du tableau. Mais de ce fait, ils sont aussi plus proches l’un de l’autre.
Palma Vecchio. Vierge à l’enfant avec saints et donateur (1518-20)
Huile sur bois transféré sur toile, 105 × 136 cm, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.
Sur le tableau ci-dessus, autour de la Vierge à l’Enfant, apparaissent, de gauche à droite, Marie-Madeleine, Jean-Baptiste, le donateur Francesco Priuli, mécène vénitien, et Catherine d’Alexandrie. Jacopo d'Antonio Negretti (v. 1480-1528), dit Palma Vecchio ou Palma il Vecchio (Palma le Vieux), fut un des initiateurs de cette évolution de la Conversation sacrée. Les historiens spécialisés s’accordent sur l’influence de cet artiste sur Lorenzo Lotto, attestée également par la biographie de Giorgio Vasari. Dix ans plus tard, la composition de Lorenzo Lotto apparaît très proche de celle Palma Vecchio.
Cette évolution vers l’intimité et la tendresse n’est d’ailleurs pas réservée à la Conservation sacrée mais caractérise toute la peinture religieuse.
Analyse de l’œuvre
La Vierge à l’Enfant, assise à même le sol à l’ombre d’un grand arbre, semble participer à un divertissement à la campagne.
Lorenzo Lotto. Vierge à l’enfant avec sainte Catherine et saint Thomas, détail
Le paysage en arrière-plan demeure très schématique car les figures occupent presque toute la composition. Pour donner de la profondeur, Lorenzo Lotto utilise l’effet de perspective atmosphérique en éclaircissant progressivement la palette sur la ligne d’horizon.
Quatre personnages, très proches l’un de l’autre, occupent l’espace. A gauche, l’ange s’apprête à ceindre d’une couronne la tête de la Vierge.
Lorenzo Lotto. Vierge à l’enfant avec sainte Catherine et saint Thomas, détail
Sainte Catherine d’Alexandrie est représentée à droite de la Vierge avec l’un de ses attributs, un livre, symbole d’érudition et de sagesse. Ce personnage de légende aurait, au 4e siècle, tenté de convertir au christianisme l’empereur romain Maximien (vers 250-310). Catherine étant réputée très savante, l’empereur la mit à l’épreuve en lui demandant de convertir cinquante savants. Elle réussit. Il les fit exécuter et proposa le mariage à Catherine. Après son refus, il la fit torturer puis décapiter. Ce récit est un résumé sommaire de celui de Jacques de Voragine, figurant dans La Légende dorée (13e siècle), mais il n’a rien d’historique.
Lorenzo Lotto. Vierge à l’enfant avec sainte Catherine et saint Thomas, détail
Saint Thomas, un des douze apôtres, apparaît à l’extrême-droite avec son attribut, la lance. Selon la légende, Thomas aurait été tué en Inde en l’an 72 d’un coup de lance dans le dos pendant qu'il priait. Mais la lance fait aussi allusion à un épisode plus célèbre de sa vie. Alors que la nouvelle de la résurrection de Jésus se répandait à Jérusalem, Thomas refusa d’y croire. Jésus se présenta alors à lui et l’invita à glisser son doigt dans les plaies que la crucifixion avait laissées sur son corps, plus particulièrement dans celle occasionnée par le coup de lance d’un soldat dans son flanc.
Lorenzo Lotto. Vierge à l’enfant avec sainte Catherine et saint Thomas, détail
La richesse chromatique du tableau (multiples nuances de vert, de gris, de bleu) associée à un travail exceptionnel sur le rendu des étoffes (plis, ombrages) indique que l’artiste a atteint sa maturité artistique et dispose de toutes ses capacités techniques. Mais apparaissent déjà certains accents maniéristes. La gestuelle s’éloigne de la retenue classique, qu’il s’agisse de l’ange, de la Vierge qui présente l’Enfant ou des attitudes des deux saints. L’élongation des doigts de la Vierge et de Catherine relèvent aussi de cette orientation.
Lorenzo Lotto. Vierge à l’enfant avec sainte Catherine et saint Thomas, détail
Lorenzo Lotto s’éloigne donc dès la décennie 1520 de la quiétude classique. Sa composition insiste sur les échanges de regards, l’expressivité des corps et des visages. La Conversation sacrée se rapproche de la réunion animée d’un groupe d’amis. Elle n’est plus la cérémonie majestueuse du siècle précédent.
Conversation sacrée et Mariage mystique du 15e au 16e siècle
Conversation sacrée et Mariage mystique se confondent parfois en une seule représentation. Le Mariage mystique est une cérémonie de la tradition chrétienne au cours de laquelle un saint ou une sainte s’unit symboliquement à Jésus-Christ enfant. En général, dans l’iconographie, l’Enfant glisse une bague au doigt du saint ou de la sainte.
Domenico Veneziano. Retable Magnoli. La Vierge à l'Enfant et les saints (v. 1445). Tempera sur bois, 209 × 216 cm, Galerie des Offices, Florence. Ce retable provient de l'église Santa Lucia dei Magnoli de Florence mais il est actuellement conservé à la Galerie des Offices. La Vierge et l'Enfant Jésus sont entourés de saints qui semblent bavarder entre eux. Les personnages représentés ne sont pas contemporains l'un de l'autre. De gauche à droite : saint François d'Assise, saint Jean-Baptiste, saint Zénobe de Florence et sainte Lucie de Syracuse. Lumière douce et naturelle, tons pastel, perspective maîtrisée font de ce retable une grande réussite de la première Renaissance. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
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Hans Memling. Triptyque Saint Jean, ouvert (1474-79). Huile sur bois, 173,6 × 173,7 cm (centre), 176 × 78,9 cm (chaque aile), Memlingmuseum, Sint-Janshospitaal, Bruges. Le panneau central représente une Conversation sacrée dans une sorte de loggia de style antique ouverte sur un paysage en arrière-plan. Cette scène est également appelée Le mariage mystique de sainte Catherine. Sainte Catherine, à gauche de l’enfant, reçoit de lui une bague, simulant ainsi un mariage. Le panneau de gauche représente la décollation de Jean-Baptiste. Il s’agit d’un épisode biblique : Jean-Baptiste, prophète ayant annoncé la naissance du Christ, est décapité sur ordre du roi Hérode. Sur le volet de droite, Jean l’Évangéliste regarde vers le ciel et a une révélation.
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Andrea del Verrocchio. Vierge avec saint Jean-Baptiste et Donatus (1475-83). Tempera sur bois, 189 × 191 cm, Duomo, Pistoia. Donatus Magnus (4e siècle) est un évêque d’Afrique du nord qui déclencha un schisme. Cette composition complexe sert de retable dans le Duomo de Pistoia. Elle met l’accent sur le cadre architectural et décoratif, avec la présence notable d’éléments de nature morte. Le dallage au sol et le tapis oriental permettent de matérialiser la perspective linéaire.
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Giovanni Bellini. Retable San Zaccaria (1505). Huile sur bois, 402 × 273 cm, San Zaccaria, Venise. Bellini propose ici une composition très solennelle axée sur la perspective architecturale, à la manière de Masaccio. A gauche de la Vierge, Saint-Pierre avec sa clef et le livre, Sainte-Catherine avec la palme du martyre et la roue cassée ; à droite de la Vierge, Sainte Lucie et Saint Jérôme, qui a traduit la Bible en latin ; aux pieds de la Vierge, un ange musicien.
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Gérard David. Le mariage mystique de sainte Catherine (1505-10). Huile sur bois, 106 × 144 cm, National Gallery, Londres. Même scène que celle traitée par Memling en 1479 (ci-dessus), mais avec moins de solennité. Nous nous sommes rapprochés des personnages et le cadre architectural se fait moins pesant. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
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Corrège. Le mariage mystique de Sainte Catherine (1526-27). Huile sur bois, 105 × 102 cm, musée du Louvre, Paris. « Peint pour un ami du peintre, le docteur Francesco Grillenzoni de Modène, sans doute aux alentours de 1526-1527 ; resté à Modène tout au long du XVIe siècle, avant de devenir au XVIIe siècle un des joyaux de la collection du cardinal Barberini à Rome puis du cardinal Mazarin à Paris. Acquis par Louis XIV en 1665. » (Notice musée du Louvre).
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Véronèse. Mariage mystique de sainte Catherine (1547). Huile sur toile, 58 × 91 cm, Yale University Art Gallery, New Haven. Sainte Catherine d’Alexandrie apparaît au premier plan avec la Sainte Famille : Joseph, la Vierge tenant le Christ enfant et sainte Anne. Le maniérisme accentue les postures : Catherine approche son visage de celui de l'enfant et tend la main gauche d'une façon improbable mais jugée élégante. |
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