Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité (1740)

 
 

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Patrick AULNAS

Jean Siméon Chardin, l’un des plus grands peintres de scènes de genre du 18e siècle, a réalisé quatre versions du Bénédicité. La version du Louvre, datée de 1740, est la plus ancienne. Celle du musée de L’Ermitage, de 1744, est la seule à être signée, en bas à gauche. Le Musée National de Stockholm détient une autre version datée de 1749. Enfin, le musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam possède une variante comportant un personnage supplémentaire sur la gauche.

 

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité (1740). Louvre.

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité (1740)
Huile sur toile, 49,5 × 38,5 cm, musée du Louvre, Paris.
Image HD sur MUSÉE DU LOUVRE

 

 

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité (1744). Ermitage.

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité (1744)
Huile sur toile, 49,5 × 38,4 cm, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

 

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité. Signature (Ermitage)

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité. Signature (Ermitage)

 

 

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité (1749). Stockholm.

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité (1749)
Huile sur toile, 49 × 39 cm, Nationalmuseum, Stockholm.

 

 

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité (1761). Rotterdam.Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité (1761)
Huile sur toile, 66,5 × 50,5 cm, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.

 

Le bénédicité, prière chrétienne

Dans les siècles passés, il était d’usage dans les familles chrétiennes de réciter, avant le repas, une prière appelée bénédicité. Le mot bénédicité est une transposition en français du latin benedicite, soit bénissez. Cette prière, d’origine hébraïque, consiste à remercier la divinité pour la nourriture octroyée. Les chrétiens utilisent l’expression action de grâce pour une telle attitude de reconnaissance envers leur dieu. Ce bénédicité pouvait se résumer à réciter une phrase du type : « Seigneur, bénis ce repas, ceux qui l'ont préparé, et procure du pain à ceux qui n'en ont pas. »

 

Historique de l’œuvre

Le Bénédicité possède un pendant réalisé la même année, La mère laborieuse.

 

Chardin. La mère laborieuse (1740)

Jean Siméon Chardin. La mère laborieuse (1740)
Huile sur toile, 49 cm × 39 cm, musée du Louvre, Paris.

 

Les deux tableaux furent offerts à Louis XV (1710-1774) le 27 novembre 1740 à l’occasion de la présentation au roi de Jean Siméon Chardin par le contrôleur général des Finances Philibert Orry, comte de Vignory (1689-1747). Les deux tableaux sont restés depuis dans les collections nationales, selon les informations fournies par le musée du Louvre.
Quat à la version de Saint-Pétersbourg, elle faisait partie de la collection de Catherine II de Russie (1729-1796) et elle est entrée à l’Ermitage entre 1763 et 1770 selon les informations fournies par le musée. Elle comporte quelques modifications mineures par rapport au tableau du Louvre : par exemple, une casserole à manche long a été ajoutée sur le sol.

 

Analyse de l’œuvre

Chardin a l’habileté de choisir des enfants, éliminant ainsi l’aspect solennel et guindé d’une prière collective. Les enfants récitant une prière sont toujours émouvants par l’extériorisation de leur sincérité. Un jeune garçon, habillé en fille selon l’usage de l’époque, est assis au premier plan, les mains jointes. Une petite fille se tient derrière la table dans la même position. Leur mère, debout, semble servir un potage dans des assiettes creuses. La qualité de l’ameublement permet de situer la scène dans la bourgeoisie. Mais il ne s’agit ni de la haute bourgeoisie fortunée, ni de la haute noblesse, car les enfants auraient été confiés à une gouvernante.

 

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité-Ermitage, détail.

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité-Ermitage, détail

 

La simplicité de la scène, toujours présente chez Chardin, aboutit à une vérité de la représentation très éloignée des scènes religieuses ou mythologiques de la même époque, caractérisées par les fioritures du rococo. Chardin a toujours poursuivi sa route sans être influencé par les modes du moment et les engouements de la cour. Le Bénédicité contraste fortement avec les tableaux de François Boucher, peintre de génie mais peintre de la royauté. Diane sortant du bain (1742) est ainsi à une distance sidérale de Chardin ; mais même lorsque Boucher peint des scènes de genre, il reste marqué par le rococo, par exemple avec Le déjeuner (1739). L’indépendance artistique de Chardin, son indifférence aux courants dominants, pour le dire autrement sa liberté de créateur, constituent des éléments essentiels pour apprécier son travail.

 

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité-Ermitage, détail

Jean Siméon Chardin. Le Bénédicité-Ermitage, détail

 

Mais l’originalité de Chardin au 18e siècle tient aussi au regard qu’il porte sur le monde. Les artistes devaient se plier aux souhaits des commanditaires, royauté, noblesse et haute-bourgeoisie principalement. Il fallait donc représenter ce monde-là ou plutôt la manière dont il souhaitait être représenté. Portraits de marquises en Diane, fêtes galantes aristocratiques, déesses dénudées évoquant les duchesses, voilà l’essentiel de la production non religieuse. Cette légèreté, voire cette frivolité, ne font pas partie des thèmes de Chardin. Il s’intéresse davantage aux blanchisseuses (1735) ou aux pourvoyeuses (1739) qu’aux figures de l’aristocratie. La mère attentionnée du Bénédicité a donc les cheveux cachés sous une charlotte et elle porte un tablier bleu pour ne pas salir son caraco brun en s’occupant des tâches ménagères. La morale sévère de la bourgeoisie se substitue à l’addiction aux plaisirs de l’aristocratie. Le labeur occupe l’essentiel des journées et il n’est pas question de songer à la prochaine soirée mondaine. Un peu plus tard dans le siècle, le néoclassicisme fera triompher ces valeurs, radicalement opposées à celles de l’aristocratie. La bourgeoisie, encore silencieuse en 1740, prendra le pouvoir en 1792 avec la chute de la monarchie. Les scènes de la quotidienneté bourgeoise peintes par Chardin représentent ainsi la classe sociale émergente, celle qui gouvernera au cours des siècles futurs.

L’influence des scènes de genre hollandaises est particulièrement nette dans Le Bénédicité. D’une part, Chardin substitue une finition lissée aux couches épaisses de peinture qu’il utilise couramment pour ses natures mortes. D’autre part, le travail très soigné sur la lumière rappelle la minutie des hollandais à cet égard. La nappe blanche et les vêtements blancs des enfants contrastent puissamment avec le sol et l’arrière-plan sombres. La lumière qui vient de gauche, comme chez Vermeer, produit des ombrages précis sur le sol, la robe du garçon et la nappe. Il en résulte une ambiance vermeerienne d’intimité paisible et peut-être même de bonheur familial. La vie simple et laborieuse de la bourgeoisie conduirait-elle mieux à la félicité que les festivités aristocratiques ?

Il ne faut pas s’y tromper : Le Bénédicité de Chardin est une rareté dans la peinture française du 18e siècle et un chef-d’œuvre de délicatesse.

 

Autres compositions sur le même thème

La prière a souvent suscité l’inspiration des peintres, particulièrement au 17e siècle.

 

Quirijn van Brekelenkam. Le Bénédicité (1648-54)

Quirijn van Brekelenkam. Le Bénédicité (1648-54). Huile sur toile, 55 × 72 cm, musée du Louvre Paris. Van Brekelenkam (1622-après 1669) est un peintre néerlandais de Leyde, spécialisé dans les scènes de genre et les portraits. Cette paysanne ou cette servante récitant le bénédicité, entourée d’un luxe de détails minutieusement représentés, suscite l’émotion par la sincérité de sa prière.

Nicolaes Maes. Le Bénédicité (v. 1656)

Nicolaes Maes. Le Bénédicité (v. 1656). Huile sur toile, 134 × 113 cm, Rijksmuseum Amsterdam. Le Rijksmuseum intitule le tableau  Vieille femme priant, également connu comme "La prière sans fin". « Une vieille femme prie pieusement avant son repas. Elle ne laisse pas le chat, qui tire avec impatience sur la nappe, la distraire. La vertu de la vieille femme réside dans sa maîtrise de soi et son sens du devoir envers Dieu. Tout comme son maître Rembrandt, Maes met en évidence l’essence de la scène par un éclairage restreint. » (Commentaire Rijksmuseum)

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Frères le Nain. Le Bénédicité (1630-1677)

Frères le Nain. Le Bénédicité (1630-1677). Huile sur cuivre, 14 × 18 cm, The Frick Pittsburg. Le musée ne date pas le tableau et l’attribue à Antoine Le Nain. Petit chef-d’œuvre d’observation psychologique, cette composition juxtapose la piété de la femme, la candeur des deux plus jeunes enfants et la malice du plus âgé, qui semble sourire au peintre chargé de le représenter. Une photographie familiale du 21e siècle pourrait offrir un équivalent.

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Charles de Groux. Le Bénédicité (1861)

Charles de Groux. Le Bénédicité (1861). Huile sur toile, 151 × 78 cm, musée d’Orsay. Paris. Le réalisme d'inspiration sociale de Charles de Groux (1825-1870) comporte souvent une dimension spirituelle, comme dans Le Bénédicité. La mélancolie de De Groux et son empathie envers les pauvres ont produit une forte impression sur Vincent van Gogh, qui s’est inspiré de cet artiste pour Les mangeurs de pommes de terre (1885).

 

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