Jean-Honoré Fragonard. Les progrès de l’amour (1771-72)

 
 

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 Patrick AULNAS

A la fin du règne de Louis XV (1710-1774), Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) restait attaché au style rococo. Pourtant, l’évolution vers le néoclassicisme apparaissait déjà. Les quatre grands tableaux qu’il peignit pour Jeanne du Barry (1743-1793) constituent le dernier grand cycle de cette peinture cherchant à représenter le rêve de frivolité de la haute aristocratie de l’époque.

 

Jean-Honoré Fragonard. Les progrès de l’amour dans le cœur d’une jeune fille (1771-72)

 

Jean-Honoré Fragonard. La Poursuite (1771-72)

La Poursuite (1771-72)
Huile sur toile, 318 × 216 cm,
The Frick Collection, New York.
Image HD sur WIKIMEDIA

                  Jean-Honoré Fragonard. La Rencontre (1771-72)

La Rencontre (1771-72)
Huile sur toile, 318 × 244 cm,
The Frick Collection, New York.
Image HD sur WIKIMEDIA

Jean-Honoré Fragonard. L'Amant couronné (1771-72)

L'Amant couronné (1771-72)
Huile sur toile, 318 × 243 cm,
The Frick Collection, New York.
Image HD sur WIKIMEDIA

  Jean-Honoré Fragonard. La Lettre d'Amour (1771-72)

La Lettre d'Amour (1771-72)
Huile sur toile, 317 × 217 cm,
The Frick Collection, New York.
Image HD sur WIKIMEDIA

Contexte historique

En 1771, la maîtresse de Louis XV, Mme du Barry, demanda à Fragonard de peindre un cycle de tableaux pour le pavillon de Louveciennes (pavillon de musique de la comtesse) conçu par l’architecte Nicolas Ledoux et qui fut inauguré le 2 septembre 1771. Fragonard proposa quatre scènes sur le thème de l’Amour réveillé dans le cœur d’une jeune fille. Les tableaux furent installés à Louveciennes, mais Mme du Barry finit par les refuser au prétexte qu’ils ne s’accordaient pas avec le style néoclassique du pavillon. Le rococo était un peu passé de mode à cette époque et le néoclassicisme avait le vent en poupe.

Vingt ans plus tard, les troubles révolutionnaires amenèrent Fragonard à rejoindre Grasse, sa ville natale. Comme il restait toujours en possession des tableaux, il les emporta à Grasse. En 1790-1791, il compléta les quatre tableaux initiaux en créant dix nouvelles scènes de style rococo, à caractère purement décoratif. Les quatorze tableaux ornèrent les murs de la bastide provençale d’Alexandre Maubert (1743-1827), cousin du peintre et riche négociant. Cet édifice est devenu aujourd’hui le musée Jean-Honoré Fragonard et des copies des quatorze tableaux y sont exposées.

 

Le musée Jean-Honoré Fragonard à Grasse, aujourd’hui

Le musée Jean-Honoré Fragonard à Grasse, aujourd’hui

 

 

Musée Fragonard à Grasse. Copies des

Musée Fragonard à Grasse. Copies des Progrès de l’Amour

 

Quant aux originaux, ils ont été vendus en 1898, par les héritiers du peintre, au collectionneur américain John Pierpont-Morgan (1837-1913) puis à la Frick Collection en 1915.

 

Deux tableaux de 1771-72 à Frick Madison, New York

Deux tableaux de 1771-72 à Frick Madison, New York

 

VOIR

Les quatorze tableaux sur le site de la Frick Collection

 

Analyse de l’œuvre

Fragonard évoque les jeux de l’amour dans le cadre naturel et architectural où vivait la noblesse de cour. On peut songer au parc du château de Versailles par exemple. L’approche onirique caractérise l’idéal à la fois puéril et tragique de cette classe sociale très restreinte numériquement qui allait bientôt disparaître par suite justement de cette distance maintenue par rapport au réel. La réalité sociale, c’est-à-dire la puissance économique de la bourgeoisie conquérante, allait étouffer les rêves de l’ancienne aristocratie. D’un point du vue artistique, l’évolution vers le néoclassicisme reflète cette rupture historique.

 

Jean-Honoré Fragonard. La Poursuite, détail (1771-72)

Jean-Honoré Fragonard. La Poursuite, détail (1771-72)

 

Sur la première des quatre toiles, La Poursuite, trois jeunes femmes élégantes, somptueusement vêtues, profitent d'un après-midi de printemps ou d’été dans un parc. Apparaît soudain un très jeune homme, caché derrière un socle massif de pierre supportant une urne fleurie de roses. Il salue courtoisement les jeunes femmes avec son chapeau à la main et leur offre une rose. Cette soudaine apparition suscite l’effroi des demoiselles. Le peintre utilise une gestuelle appuyée pour évoquer leur émotion.

La scène couvre à peine la moitié inférieure du tableau, le ciel et la végétation apparaissent au-dessus, constituant l’arrière-plan. Une fontaine monumentale occupe l’angle supérieur droit. Deux cupidons assis sur un dauphin observent les protagonistes. Leurs positions font écho à celle des trois figures féminines en contrebas.

 

Jean-Honoré Fragonard. La Rencontre, détail (1771-72)

Jean-Honoré Fragonard. La Rencontre, détail (1771-72)

 

Le deuxième tableau, La Rencontre, met en scène les deux figures principales de La Poursuite. La jeune fille attend son prétendant dans un autre endroit du parc. Celui-ci a escaladé un mur pour la rejoindre et une échelle est visible à ses côtés. Sa compagne observe les alentours par crainte d’être surprise. La composition reste la même. La scène de rencontre, placée en bas, est surmontée d’une grande statue de marbre représentant Vénus et Cupidon. La pose de Vénus suggère qu'elle est également aux aguets, veillant au secret de la rencontre.

 

Jean-Honoré Fragonard. L'Amant couronné, détail (1771-72)

Jean-Honoré Fragonard. L'Amant couronné, détail (1771-72)

 

La troisième scène, L'Amant couronné, respecte la composition d’ensemble des deux premières mais dans un environnement particulièrement fleuri et coloré correspondant à l’éclosion de l’amour. Nul secret n’est désormais imposé. Les deux amoureux ont passé un long moment ensemble dans le parc et se sont intéressés à une partition musicale ouverte à leurs côtés. Un tambourin a été placé au-dessus de la partition. Un peintre apparaît même sur la droite, dessinant les deux protagonistes. La sculpture placée en arrière-plan est désormais celle de Cupidon, le dieu antique de l’amour. Il s’est endormi, probablement après avoir lancé les flèches suscitant la naissance de ce sentiment.

 

Jean-Honoré Fragonard. La Lettre d'Amour, détail (1771-72)

Jean-Honoré Fragonard. La Lettre d'Amour, détail (1771-72)

 

La scène finale, La Lettre d'Amour, correspond à l’accomplissement de la relation amoureuse, marqué ici par le rapprochement des corps. Le jeune homme enlace la jeune femme lisant une lettre d’amour qu’il lui a adressée. Le couple est entouré de massifs de fleurs comme dans la scène précédente et une statue le domine sur la droite, représentant une déesse antique et Cupidon. La déesse pourrait être Héra, déesse grecque du mariage et de la fécondité (Junon chez les romains).

Dernier grand cycle pictural de style rococo, ces tableaux de Fragonard peuvent apparaître aujourd’hui comme un adieu à un monde finissant. La haute noblesse de la royauté française déclinante n’était même plus émue par cette approche légère, délicate et préromantique du sentiment amoureux. En refusant ces chefs-d’œuvre, tout en les payant à l’artiste, Mme du Barry, guillotinée le 8 décembre 1793, confirmait la droiture et l’aveuglement des siens.

 

L’amour vu par le rococo : quelques autres exemples

L’amour, observé avec légèreté et badinerie, est un thème parfaitement adapté au style rococo. Depuis le début du 18e siècle, le style baroque, souvent dramatisant et grave, a été détourné en France vers une certaine futilité. Le thème des fêtes galantes rencontre le succès avec Watteau et conserve longtemps la faveur des commanditaires. Il s’agit de scènes de genre représentant les loisirs bucoliques rêvés de l’aristocratie, où les messieurs courtisent « galamment » les dames.

 

Watteau. La Proposition embarrassante, 1715-16

Antoine Watteau. La Proposition embarrassante (1715-16). Huile sur toile, 65 × 85 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. Le paysage joue un grand rôle dans les fêtes galantes. Watteau rompt cependant avec le paysage classique français, représenté par Claude Lorrain et Nicolas Poussin en particulier. Stylistiquement, il s'inspire plutôt du paysage nordique (flamand, hollandais) dans lequel il place des personnages de l'aristocratie française, richement vêtus et oisifs. Les nordiques, réalistes, choisissent des personnages occupés à des tâches quotidiennes. Watteau illustre ainsi la quintessence de la légèreté française, mais aussi toute la poésie qu'elle induit.

Jean-Baptiste Pater. Fête champêtre (v. 1730)

Jean-Baptiste Pater. Fête champêtre (v. 1730). Huile sur toile, 56,2 × 66 cm, Norton Simon Museum, Pasadena. « Peinture rococo par excellence, la Fête Champêtre de Pater représente les loisirs de l’aristocratie. Le cadre bucolique de cette réunion ludique dérive finalement de la garden-party, une forme de divertissement prisée à la cour de France. Des hommes, des femmes et des enfants élégamment vêtus conversent, jouent de la musique et apprécient la beauté du cadre naturel. La composition asymétrique, combinant une perspective profonde et une palette sensuelle de couleurs chaudes et pastel, crée une atmosphère légère et rêveuse. Le caractère idyllique de la rencontre est encore souligné par deux putti de marbre et un dauphin, en haut à droite, qui mettent l’accent sur l’insouciance du groupe en contrebas. » (Commentaire Norton Simon Museum)

Boucher. Le Sommeil interrompu, 1750

François Boucher. Sommeil interrompu (1750). Huile sur toile, 82 × 75 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. « Dans les pastorales de Boucher, la rusticité et le travail de la vie paysanne sont mis de côté au profit de l'élégance vestimentaire et du romantisme idyllique popularisés par les pantomimes théâtrales. Ces visions théâtrales sont à l'origine de l'adoption par Marie-Antoinette d'une tenue vestimentaire et de manières simples dans sa maison de plaisance, sorte de faux hameau rustique, au château de Versailles. La simplicité du sujet de Boucher dissimule la complexité de la composition, qui s'articule autour d'une série de diagonales qui se croisent. Très admiré au Salon de 1753, ce tableau faisait partie d'une paire de dessus-de-porte enchâssés dans les boiseries du château de Bellevue de Madame de Pompadour. » (Commentaire MET)

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Fragonard. Les Hasards heureux de l'Escarpolette, 1767

Jean-Honoré Fragonard. Les hasards heureux de l'escarpolette (1767). Huile sur toile, 81 × 64 cm, Wallace Collection, Londres. « Ce tableau est l'œuvre la plus célèbre de Fragonard et l'une des images les plus emblématiques de l'art du XVIIIe siècle. Sa genèse est rapportée par l'écrivain Charles Collé. Selon ses journaux et mémoires de 1767, le peintre d'histoire Gabriel-François Doyen fut chargé par un « gentilhomme de la Cour » anonyme, à la fin de l'année 1767, de peindre sa jeune maîtresse sur une balançoire, poussée par un évêque, et lui-même admirant ses jambes d'en bas […]
Par rapport au projet original, l'homme âgé n'est plus un prêtre dans le tableau achevé, un chien aboyant a été ajouté et la sculpture de Falconet de L'amour menaçant commente l'histoire. Fragonard répond aux intentions libertines de son mécène en choisissant un style rococo. Fragonard a souvent utilisé différents styles ou langages en même temps, et il semble qu'il ait considéré le style rococo comme particulièrement adapté à une scène érotique. » (Commentaire Wallace Collection)

 

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