Jean de Beaumetz. Calvaire avec un moine chartreux (1389-95)
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Patrick AULNAS
Trois tableaux français très proches sur le thème du calvaire avec un moine chartreux ont été conservés. Les deux premiers, de la fin du 14e siècle, sont attribués à Jean de Beaumetz (v. 1335-1396). Le troisième n’est pas attribué et date de la décennie 1430-1440. Voici un aperçu comparatif de ces œuvres.
Jean de Beaumetz. Calvaire avec un moine chartreux (1389-95)
Fond or sur panneau de chêne, 60 × 48 cm, musée du Louvre, Paris.
Image HD sur MUSÉE DU LOUVRE
Jean de Beaumetz. Calvaire avec un moine chartreux (1389-95)
Huile sur panneau de chêne, 57 × 46 cm, The Cleveland Museum of Art, Cleveland.
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Anonyme. Calvaire au moine chartreux (1430-40)
Huile sur bois, 57 × 47 cm, musée des Beaux-arts de Dijon.
Image HD sur MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE DIJON
Contexte historique
Jean de Beaumetz devient le peintre officiel de la cour du duc de Bourgogne, Philippe II le Hardi (1364-1404), vers 1376. Celui-ci va engager un vaste projet architectural : la construction de la chartreuse de Champmol près de Dijon.
Chartreuse de Champmol, vue actuelle
Jean de Beaumetz est chargé de la réalisation des peintures dans cet édifice. En 1388, le duc lui commande une série de 26 tableaux destinés aux cellules des moines de Champmol. Il ne subsiste que deux exemplaires de ces œuvres, intitulés Calvaire avec un moine chartreux et conservés à Paris et à Cleveland. Par leurs caractéristiques stylistiques, on peut rattacher ces œuvres au courant pictural désigné en général par l’expression gothique international.
Le troisième tableau, beaucoup plus tardif et d’un style différent, résulterait de la création à Champmol de deux nouvelles cellules de chartreux en 1433, à la demande d’Isabelle du Portugal (1397-1471), l’épouse de Philippe III de Bourgogne, dit Philippe le Bon (1396-1467). La duchesse Isabelle voulait ainsi célébrer la naissance de son troisième fils qui deviendra Charles le Téméraire (1433-1477). Il s’agit là d’une hypothèse, assez largement acceptée, de l’historien Charles Sterling (1901-1991).
L’ordre des Chartreux ou ordre cartusien est un ordre religieux contemplatif fondé au 11e siècle par Bruno de Cologne (1030-1101). En construisant la chartreuse de Champmol Philippe le Hardi poursuivait un double objectif : faire acte de piété et apparaître comme un mécène. Il devait aussi y être inhumé. Les Chartreux resteront à Champmol jusqu’à 1791. La Chartreuse devient alors un bien national.
Analyse des œuvres
Les moines chartreux restant longuement isolés dans leurs cellules, ces tableaux avaient pour but de rendre la scène de la crucifixion omniprésente. Le sacrifice du Christ est présenté en mettant en évidence l’émotion de ceux qui l’ont accompagné. Les deux compositions de Dijon et de Cleveland sont très proches. A gauche de la croix, la Vierge Marie, mère de Jésus-Christ, s’évanouit. Elle est soutenue par les deux Marie : Marie de Magdala ou Marie Madeleine et l’autre Marie signalée dans l'Évangile selon Matthieu, mais mal identifiée. L’apôtre Jean a été placé à droite de la croix. Il incline la tête pour marquer sa tristesse. Un Chartreux en prière est agenouillé au pied de de la croix. Sur le tableau de Dijon, les deux Marie n’ont pas été représentées.
Jean de Beaumetz. Calvaire avec un moine chartreux, Louvre, détail
Jean de Beaumetz. Calvaire avec un moine chartreux, Louvre, détail
L’état de conservation de l’exemplaire de Cleveland, meilleur que celui du Louvre, permet d’observer le fond or sur lequel sont représentés « les arbres de la vie et de la connaissance, soulignant le lien biblique entre Adam et le Christ » (*). Le maniérisme appuyé des postures est caractéristique du style gothique international. Cet « art courtois », destiné aux amateurs d’art des cours européennes, met l’accent sur l’élégance et le raffinement des personnages ainsi que sur leur capacité à ressentir des émotions. L’élongation des doigts est fréquente. Le peintre accentue l’expressivité des visages.
Jean de Beaumetz. Calvaire avec un moine chartreux, Cleveland, détail
Jean de Beaumetz. Calvaire avec un moine chartreux, Cleveland, détail
On ne retrouve que partiellement ces caractéristiques sur le tableau plus tardif de Dijon. Le commentaire de Sophie Jugie pour le musée des Beaux-arts de Dijon met en évidence les différences stylistiques :
« Même si les saintes femmes n’entourent pas la Vierge, la composition générale est la même, et semblable est l’insistance sur le corps torturé du Christ et sur la longue coulée de son sang. Le fond or, les grands nimbes poinçonnés, les plis fluides de l’éclatant manteau azur de la Vierge sont issus de la même tradition. En revanche, la solidité de la figure de saint Jean, l’écriture beaucoup plus nerveuse qui casse le bas de la coule du chartreux et esquisse son visage ingrat et fervent, l’irruption du paysage urbain derrière les personnages attestent une mentalité étrangère au style courtois des années 1400, plus douloureuse et énergique. »
Autres compositions sur le même thème
La peinture étant principalement religieuse, la crucifixion de Jésus-Christ est un thème majeur aux 14e et 15e siècles. La composition reste globalement la même, avec un Christ en croix au centre, entouré de personnages plus ou moins nombreux. La vue en contreplongée permet d’accentuer la dimension monumentale de la figure du Christ.
Giotto. Crucifixion (1304-06). Fresque 200 × 185 cm, Chapelle Scrovegni, Padoue. On retrouve le style de beaucoup d’autres réalisations du grand artiste : nuée d'anges dans les cieux, personnages exprimant leur émotion, tons chauds pour les figures sur fond de ciel bleu outremer. Mais la composition, parfois asymétrique, devient ici parfaitement symétrique. La croix située exactement au centre sépare deux groupes de personnages. Les dix anges célestes sont répartis de façon quasi-géométrique en deux groupes de cinq de chaque côté de la croix. |
Lorenzo Monaco. La Crucifixion (1387-88). Tempera sur bois, 67,5 × 34,3 cm, musée du Louvre, Paris. Selon le Nouveau Testament, Jésus de Nazareth fut condamné à mort par le préfet romain Ponce Pilate, puis exécuté par le supplice de la croix aux côtés de deux voleurs. Pilate fit inscrire sur la croix de Jésus l’acronyme INRI : Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum (Jésus le Nazaréen roi des Juifs). |
Henri Bellechose. Retable de saint Denis (v. 1416). Tempera et or sur toile marouflée sur panneau, 162 × 211 cm, musée du Louvre, Paris. « Encore fidèle à l’esthétique médiévale notamment par l’omniprésence des ors, ce retable surprend néanmoins par certains accents réalistes qui témoignent de préoccupations nouvelles : la figure du bourreau est d’une vigueur plastique et d’une caractérisation physionomique sans précédents. La variété du coloris, renforcée par le riche fond d’or, est également remarquable, dominée par le bleu intense des manteaux du Christ et des saints. Le Christ crucifié placé au centre est présenté par Dieu le Père et le Saint-Esprit, tandis que deux épisodes de la vie de saint Denis sont figurés de part et d’autre de la Croix. À gauche, la dernière communion reçue par saint Denis de la main du Christ même et, à droite, le martyre de saint Denis, qui fut décapité avec ses deux disciples, Rustique et Éleuthère. Selon Grégoire de Tours, saint Denis fut évangélisateur des Gaules et premier évêque de Paris (vers 250). Décapité à Montmartre, il est souvent représenté avec l’attribut de son martyre, tenant sa tête qu’il aurait ramassée après sa décollation. » (Commentaire musée du Louvre) |
Masaccio. Polyptyque de Pise, crucifixion (v. 1426). Tempera sur bois, 83 × 63 cm, Museo Nazionale di Capodimonte, Naples. Le Christ en croix est entouré de La Vierge Marie, sa mère, et de l'apôtre Jean. Marie-Madeleine est agenouillée. Il s’agit de la partie la plus haute du polyptyque. Cette image n'était donc pas destinée à être vue de face mais d'en bas, d'où la déformation volontaire du corps du Christ (pas de cou, déhanchement). Avec un regard en contre-plongée, tout reprend sa place (anamorphose perspective). |
Rogier Van der Weyden. Triptyque de la crucifixion (v. 1445). Huile sur bois, 101 × 70 cm (centre), 101 × 35 cm (chaque aile), Kunsthistorisches Museum, Vienne. Volet gauche : Marie-Madeleine. Panneau central : le Christ en croix avec la Vierge Marie (en bleu) et saint Jean (en rouge). Les donateurs sont représentés priant au pied de la croix. Volet droit : Sainte Véronique. |
Andrea Mantegna. Polyptyque de saint Zénon. Crucifixion (1457-60). Tempera sur bois, 67 × 93 cm, musée du Louvre, Paris. Panneau central de la prédelle conservé au musée du Louvre à Paris (dénommé aussi Le Calvaire). Le choix de la vue en contre-plongée permet d'accentuer l'effet dramatique et de jouer sur le contraste chromatique entre le ciel, le décor et les personnages. Le graphisme des croix, se détachant sur fond de ciel bleu, devait plonger les fidèles dans l'ébahissement. L'association des couleurs chaudes et des couleurs froides dans une harmonie d'ensemble parfaitement maîtrisée était déjà présente dans L'adoration des bergers et Saint Sébastien. |
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(*) Commentaire Cleveland Museum of Art
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