Jan van Eyck. L’homme au turban rouge (1433)

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Patrick AULNAS

L'apport principal de Jan van Eyck (v 1390-1441), outre la magistrale utilisation de la peinture à l'huile, consiste à s'éloigner radicalement des perspectives enchanteresses du gothique international pour se tourner vers une représentation réaliste. Dans le domaine du portrait, L’homme au turban en est un exemple particulièrement remarquable.

 

Jan Van Eyck. L'homme au turban rouge, autoportrait présumé (1433)

Jan van Eyck. L’homme au turban rouge (1433)
Huile sur bois, 25,5 × 19 cm, avec cadre 33,1 × 25,9 cm, National Gallery, Londres.
Image HD sur NATIONAL GALLERY et GOOGLE ARTS & CULTURE

 

Contexte historique

Ce tableau est peut-être le premier autoportrait de l’histoire de l’art occidental. Jusqu’à la première moitié du 15e siècle, les artistes pouvaient se représenter anonymement comme l’un des personnages d’une scène religieuse. Mais l’autoportrait en tant que tel n’existait pas. L’emprise religieuse sur la société conduisait à une peinture presque exclusivement consacrée aux sujets bibliques et il aurait été considéré comme très immodeste de se représenter soi-même. D’ailleurs, van Eyck lui-même ne présente pas cette peinture comme un autoportrait. Il la signe et indique la date de création, sans plus.

La thèse de l’autoportrait ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes. Le tableau représente un homme de l’âge de Van Eyck, qui avait 43 ans environ en 1433. Mais, selon certains historiens, l’homme n’aurait pas le profil d’un artiste. Il ne sera sans doute jamais possible d’avoir une certitude, mais cela importe peu. Autoportrait ou non, il s’agit d’un chef-d’œuvre du genre.

Jan van Eyck est un de plus grands peintres du début du 15e siècle, rattaché aux primitifs flamands dans les histoires de l’art. Cette peinture se caractérise par son réalisme, qui rompt avec le style gothique international précédent, et par une innovation technique majeure : l’utilisation de la peinture à l’huile.

L’aspect technique est en effet important. Jan van Eyck maîtrise toutes les ressources de la peinture à l’huile. Il utilise en particulier la technique du glacis. Celle-ci consiste à apposer plusieurs couches de peinture peu riches en pigments, donc translucides, sur une couche préalable opaque. Un effet optique de profondeur, de brillance atténuée ou de tonalité plus chaude ou plus froide est alors obtenu. Ces subtiles nuances chromatiques ou de texture sont impossibles à obtenir avec la tempera à l’œuf utilisée auparavant.

 

Analyse de l’œuvre

Le turban

Au premier regard, cet homme semble porter un turban. Mais l’observateur comprend immédiatement qu’il n’en est rien. Un turban est agencé avec précision sur la tête et non replié en désordre. Le visage n’a rien d’oriental. L’homme au turban rouge ne porte donc pas un turban. Dans son commentaire, la National Gallery analyse minutieusement cette coiffure :

« Le plus frappant est son couvre-chef rouge flamboyant – un chaperon, coiffure pour homme à la mode au XVe siècle. Le capuchon, qui pend habituellement sur le cou et les épaules, a été empilé sur la tête du modèle ; on peut voir les lignes parallèles de son bord inférieur qui s'élèvent en une masse froissée dans le haut du tableau. La longue patte a été enroulée autour de l'extérieur et repliée au-dessus de l'œil gauche, peut-être pour ne pas gêner le peintre pendant qu'il peignait. L'extrémité de la patte s'envole vers le haut dans un élan extravagant au-dessus de la tempe droite du modèle. Le fort contraste entre les ombres sombres dans les plis et les reflets brillants là où le tissu plié accroche la lumière est typique de van Eyck. »

Le musée du Louvre possède d’ailleurs un dessin d’un homme portant un tel chaperon et attribué à van Eyck :

 

Jan van Eyck (attribué à). Portrait d'homme coiffé d'un chaperon à patte pendante

Jan van Eyck (attribué à). Portrait d'homme coiffé d'un chaperon à patte pendante.
Pointe d'argent sur papier préparé en gris clair, 9,5 × 12 cm, musée du Louvre, Paris

 

Couleurs et contraste

Le peintre a fait un choix radical : peu de couleurs mais un contraste puissant ombre-lumière. Le visage en pleine lumière surmonté d’un amas de tissus d’un rouge intense émerge d’un arrière-plan très sombre. La houppelande que porte l’homme ne se détache pas du fond du tableau. L’attention se porte ainsi sur le visage, traité avec une minutie extrême de façon à représenter au mieux ce que peut capter du réel le système optique humain. La National Gallery fournit à cet égard des détails intéressants :

« Bien que célèbre pour ses représentations minutieusement réalistes des effets de surface, van Eyck peignait ses tableaux avec beaucoup de rapidité et d'économie. La barbe de l'homme en témoigne. Si vous regardez de près, vous verrez qu'elle est composée de minuscules touches de peinture. Les points bruns plus foncés ont été peints avant les points plus clairs, qui sont pour la plupart blancs. Sur le menton, il a mélangé un peu de bleu au blanc, de sorte que les points semblent accrocher la lumière. »

 

Jan van Eyck. L’homme au turban rouge, détail

Jan van Eyck. L’homme au turban rouge, détail

 

Le cadre

Le panneau de bois du tableau et les deux côtés latéraux du cadre forment un ensemble unique taillé dans la même pièce de bois. Le haut et le bas du cadre sont des pièces de bois séparées et fixées avec des chevilles rondes. L’ensemble du cadre doré a été restauré dans les années 1950. Sur le haut du cadre apparaît en lettres grecques la devise de Jan van Eyck : « ALC IXH XAN » (comme je peux). Une cheville de fixation mord sur le mot IXH :

 

Jan van Eyck. L’homme au turban rouge, détail

Jan van Eyck. L’homme au turban rouge, détail

 

La signature de Van Eyck et la date apparaissent sur la partie inférieure du cadre, en latin et en abrégé car la place manque : « JOHES DE EYCK ME FECIT ANO M° CCCC° 33° 21 OCTOBRIS » (Jan van Eyck m’a fait le 21 octobre 1433).

 

Jan van Eyck. L’homme au turban rouge, détail

Jan van Eyck. L’homme au turban rouge, détail

 

Un portrait hors normes

Ce portrait est unique pour cette époque car il conjugue le souci extrême de réalité et la fantaisie. On pourra le comparer à la production de la première moitié du 15e siècle dont un aperçu est fourni ci-après. L’acuité du regard et la gravité de l’expression, signalant la rigueur du caractère, sont contredits par l’amas de tissus posé sur la tête et imitant vaguement un turban. De toute évidence, l’artiste veut tourner en dérision le portrait solennel valorisant le statut social du modèle, qui était de rigueur au 15e siècle. Faut-il en conclure qu’il s’agit nécessairement d’un autoportrait ? Sans doute pas, mais dans le cas contraire, il faudrait songer à une complicité facétieuse entre le peintre et son modèle et donc chercher parmi les proches de van Eyck.

 

Jan Van Eyck. L'homme au turban rouge, autoportrait présumé,détail (1433)

Jan van Eyck. L'homme au turban rouge, autoportrait présumé, détail

 

Exemples d’autres portraits de la première moitié du 15e siècle

Les Flamands sont très en avance dans la représentation exacte (photographique) du réel. Les Italiens conservent encore les aspirations idéalisantes et décoratives du gothique.

 

Campin. Portrait d'un homme (1430)

Robert Campin. Portrait d'un homme (1430). Huile et tempera sur bois, 40,7 × 28 cm, National Gallery, Londres. Portrait très novateur par la qualité de l'expression du visage et la remarquable réussite du chaperon : volume, souplesse, ombre et lumière.

Jan van Eyck. Portrait de Baudouin de Lannoy (1435)

Jan van Eyck. Portrait de Baudouin de Lannoy (1435). Huile sur bois, 26 × 20 cm, Staatliche Museen, Berlin. Baudouin de Lannoy (1388-1474) fut ambassadeur du duc de Bourgogne Philippe le Bon (1419-1467) à la cour du roi d’Angleterre Henry V (1387-1422)

Pisanello. Portrait d'une jeune princesse (v. 1435-40)

Pisanello. Portrait d'une jeune princesse (v. 1435-40). Huile sur bois, 43 × 30 cm, musée du Louvre, Paris. « Pour l'identification de cette jeune princesse, ce sont les noms de Marguerite de Gonzague, Ginevra et Lucia d'Este qui, à l'heure actuelle, reviennent le plus souvent. Elle porte à la fois la devise de Leonello d'Este, seigneur de Ferrare (un vase enchaîné par une anse) et trois couleurs (rouge, vert et blanc), adoptées notamment par les Gonzague, marquis de Mantoue à cette date. » (Notice musée du Louvre)

Pisanello. Portrait de Leonello d’Este (v. 1444)

Pisanello. Portrait de Leonello d’Este (v. 1444). Tempera sur bois, 29 × 18 cm, Accademia Carrara, Bergame. Leonello d’Este (1407-1450), marquis de Ferrare, dirige Ferrare, Modène et Reggio. Réputé sage et avisé d’un point de vue politique, il est aussi un protecteur des écrivains et des artistes. Ce portrait provient d’un concours qui opposait Pisanello à Iacopo Bellini (1400-1470), peintre vénitien et père de Giovanni Bellini. Bellini remporta le concours, mais son portrait est aujourd’hui perdu

Van der Weyden. Portrait de François d’Este (v. 1460)

Rogier Van der Weyden. Portrait de François d’Este (v. 1460). Huile sur bois, 30 × 20 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. François d’Este, marquis de Ferrare, a été envoyé par son père à la cour de Bourgogne vers 1444 pour y être élevé aux côtés de Charles le Téméraire. Il devint par la suite officier et fut envoyé en Italie comme ambassadeur du duché de Bourgogne.

 

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