Jacques-Louis David. Madame Récamier (1800)
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Patrick AULNAS
Le portrait de Juliette Récamier par Jacques-Louis David connaît une célébrité rare. Pourtant, l’artiste l’a abandonné sans jamais le terminer.
Madame Récamier, née Julie (dite Juliette) Bernard (1777-1849)
Huile sur toile, 174 × 244 cm, musée du Louvre, Paris.
Image HD sur WIKIMEDIA
Juliette Récamier
Comme l’indique le titre du tableau sur le site du musée du Louvre, Jeanne Françoise Julie Adélaïde Bernard (1777-1849) se faisait appeler Juliette. Elle naît à Lyon dans une famille de notaires. Nommé receveur des Finances sous le règne de Louis XVI, son père, Jean Bernard, s’installe à Paris avec sa famille en 1786. Ce poste lui permet de fréquenter les milieux financiers, dont le riche banquier Jacques-Rose Récamier (1751-1830).
Portrait présumé de Jacques-Rose Récamier
A l’âge de 15 ans, en avril 1793, la belle Jeanne Bernard épouse le banquier, qui a alors 42 ans. Selon certains biographes, Récamier, également originaire de Lyon, serait le père biologique de Jeanne. Mais d’autres biographes, comme Catherine Decours (Juliette Récamier, l’art de la séduction, 2013, Perrin), contestent cette affirmation. L’hypothèse du mariage blanc est généralement admise, une simple relation affectueuse existant entre le banquier et son épouse.
Eulalie Morin. Juliette Récamier (v. 1798)
Huile sur toile, 115 × 87 cm, musée national du château de Versailles
Devenue Juliette Récamier, la jeune épousée entame une vie mondaine. Sa grâce naturelle et son intelligence attirent de nombreux admirateurs. Elle danse admirablement, joue du piano et de la harpe. Le salon de Juliette Récamier se tient dans un hôtel particulier de la rue du Mont-Blanc (rue de la Chaussée-d’Antin aujourd’hui), acquis en octobre 1798 par Jacques Récamier. Il s’agit de l’ancien hôtel de Jacques Necker. Juliette devient d’ailleurs l’amie de la fille de celui-ci, Germaine de Staël (1766-1817). Benjamin Constant (1767-1830), amant de cette dernière, est également un fidèle du salon.
François Gérard. Juliette Récamier (v. 1805)
Huile sur toile, 257 × 183 cm, Musée Carnavalet, Paris.
L’opposition à Napoléon 1er conduira le couple Récanier vers l’exil, mais il sera de retour à Paris en 1814. En 1817, Juliette Récamier rencontre François-René de Chateaubriand (1768-1848). Celui-ci devient le grand ami et peut-être l’amant de la belle Juliette. Il préside souvent les réunions mondaines qu’elle organise. Ils échangeront une correspondance fournie jusqu’à la mort de l’écrivain en 1848. Juliette Récamier ne lui survivra que quelques mois. Elle meurt à Paris le 11 mai 1849 à l’âge de 71 ans.
Joseph Chinard. Buste de Juliette Récamier (1805-06)
Marbre, 80 × 42 × 30 cm, musée des Beaux-arts de Lyon.
Contexte historique
David peint Madame Récamier à l’acmé du néoclassicisme pictural. Le rococo, qui avait dominé le 18e siècle en France, perd de son aura dès la fin du règne de Louis XV (1710-1774). La République romaine de l’Antiquité suscite l’admiration des révolutionnaires français et de Napoléon, leur successeur. On loue le retour à l’Antique et la rigueur esthétique ; on condamne la frivolité et même l’immoralité du rococo.
David, d’abord peintre d’histoire, a cependant réalisé des portraits remarquables, sans doute supérieurs à ses grandes scènes solennelles (voir par exemple Portraits des Sériziat, 1795). Le Portrait de Madame Récamier veut manifestement renouveler l’art du portrait pour l’adapter aux impératifs néoclassiques. L’artiste choisit donc de conjuguer féminité et rigorisme esthétique. Il trouve incontestablement une formule, mais François Gérard peint également Juliette Récamier au même moment (voir portrait ci-dessus). Lui aussi trouve une formule néoclassique avec architecture antique en arrière-plan. Mais en y plaçant une figure beaucoup plus tendre et voluptueuse de la belle Juliette, il édulcore habilement le rigorisme néoclassique et se rapproche davantage de l’image attendue de Juliette Récamier. David abandonne la partie et ne finira jamais son tableau.
Ce portrait est donc une simple ébauche que le peintre conserva. David meurt en 1825 et les œuvres se trouvant dans son atelier sont vendues. Le Portrait de Madame Récamier est acquis par l’État en 1826 et conservé au musée du Louvre.
Analyse de l’œuvre
Le format horizontal représente un choix tout à fait atypique pour un portrait. Il fallait nécessairement allonger le modèle. David choisit donc de placer Juliette Récamier sur une méridienne. Ce meuble, qui se trouvait dans l’hôtel particulier des Récamier, a été conservé :
Méridienne de Juliette Récamier
Habillé et coiffé à l’antique, le modèle prend une pose semi-allongée permettant d’harmoniser la courbe du corps et celle du meuble. Le bras droit, également en courbe, repose sur la jambe de façon assez artificielle. Juliette fixe le peintre. Le candélabre pompéien placé à gauche a pour fonction de marquer la diagonale. Le haut du candélabre et la courbe du corps se trouvent approximativement dans la diagonale du tableau. Seul un petit tabouret vient compléter le décor.
Cette austérité aurait-elle subsisté si David avait achevé son tableau ? Probablement en grand partie. Il s’agit en effet de créer une représentation idéale d’une des plus belles femmes de l’époque dans un cadre correspondant à la mode du moment : une certaine rigidité, jugée antique, correspondant au goût du militaire qu’était Napoléon.
Fort heureusement, la grâce naturelle du modèle vient tempérer les ardeurs spartiates de l’artiste, qui devait complaire au prince. David transforme Juliette Récamier en une patricienne romaine telle que l’imaginait l’élite de l’époque. La Juliette de David nous observe d’ailleurs avec hauteur et sévérité quand celle de Gérard nous regarde avec tendresse.
Jacques-Louis David. Madame Récamier, détail
François Gérard. Juliette Récamier, détail
Pour les spécialistes, l’inachèvement du tableau présente un grand intérêt car il permet d’apprécier la technique de David. Les touches de peinture restent parfaitement visibles. La célébrité de ce portrait est due à son originalité formelle, le format horizontal, à la grâce de Juliette Récamier et à l’adulation dont elle fit l’objet dans la gent masculine. Ce format se rencontre fréquemment dans les portraits de groupe, mais rarement dans les portraits individuels. Ce choix de composition ne rencontre d’ailleurs pas fréquemment l’adhésion du modèle. Juliette Récamier elle-même a préféré le portrait de François Gérard.
Autres portraits de Juliette Récamier
Ils sont nombreux et il existe également beaucoup de gravures. Petite sélection avec l’âge de Juliette Récamier.
Jean-Baptiste Jacques Augustin. Portrait de Juliette Récamier (1801)
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William Quiller Orchardson. Le salon de Juliette Récamier (v. 1802)
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Firmin Massot. Portrait de Juliette Récamier (1807)
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Antoine-Jean Gros. Madame Récamier (1825)
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François-Louis Dejuinne. La chambre de Madame Récamier à l'Abbaye-aux-Bois (1826) |
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