Ingres. Napoléon Ier sur le trône impérial (1806)
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Patrick AULNAS
L’art est parfois au service de la politique, soit pour louer le pouvoir, soit pour le contester. Le portrait de Napoléon Ier sur le trône impérial constitue à cet égard un exemple emblématique. Réussite picturale incontestable, ce portrait permet aussi de prendre conscience que l’hubris des puissants peut aller jusqu’au ridicule. Napoléon reste ainsi pour l’éternité le général cherchant à imiter les rois.
Ingres. Napoléon Ier sur le trône impérial (1806)
Huile sur toile, 260 × 163 cm, musée de l'Armée, Paris.
Image HD sur WIKIMEDIA
Historique de l’œuvre
Napoléon est sacré empereur le 2 décembre 1804, dans la cathédrale Notre-Dame. David réalise à cette occasion un immense tableau. Un souverain devait aussi fournir de lui-même une image officielle, très solennelle, comportant les emblèmes du pouvoir. Napoléon Ier fit appel à plusieurs artistes (voir ci-après, autres compositions) avec des résultats inégaux. Le portrait d’Ingres, commande provenant de l’administration impériale, est exposé au Salon de 1806. Le public ne l’apprécie pas. Après élaboration d’un rapport au ministre de l’Intérieur, il n’est pas offert à l’empereur. L’auteur du rapport, Jean-François Léonor Mérimée, le père de l’écrivain, admet les qualités artistiques de l’œuvre, mais considère qu’elle ne représente pas fidèlement la physionomie de l’empereur.
« Autant que je puis me rappeler les traits de l’Empereur, que je n’ai pas vu depuis trois ans, le portrait de Mr Ingres ne ressemble aucunement […]. Les gens du monde le trouveront gothique et barbare. »
Acheté par le Corps législatif le 26 août 1806, le tableau fut accroché au Palais-Bourbon où siégeait cette assemblée législative. Plus précisément, il ornait le salon du président du corps législatif, où l’empereur venait ouvrir officiellement la session annuelle.
Le tableau est transféré au musée du Louvre en 1815, puis à l’Hôtel des Invalides en 1832 et enfin au musée de l’Armée en 1897.
Analyse de l’œuvre
Napoléon, militaire ayant conquis le pouvoir politique, instaure en France une dictature agressive à l’égard de l’étranger. Il multiplie les guerres de conquête. Il finira comme beaucoup de dictateurs : vaincu et solitaire. Pour asseoir sa légitimité, il imite les traditions royales anciennes. Les rois de France apparaissaient sur un tableau officiel en costume de sacre. Le plus célèbre de ces tableaux a été réalisé par Hyacinthe Rigaud en 1701. Il s’agit du portrait de Louis XIV :
Hyacinthe Rigaud. Louis XIV (1701)
Huile sur toile, 277 × 194 cm, musée du Louvre, Paris.
Un siècle plus tard, Napoléon doit actualiser la pose et l’esthétique d’ensemble. Mais il est clair qu’il ne fait que singer les anciennes pratiques royales. Louis XIV a une certaine allure dans les atours traditionnels de l’ancienne royauté. Napoléon, engoncé dans un monceau de tissus avec une petite tête qui semble artificiellement placée au sommet de l’édifice, est totalement ridicule. Tout au moins pour un regard d’aujourd’hui. Cette glorification naïve du pouvoir politique d’un dictateur est cependant une constante de l’histoire. Nous ne sommes pas encore délivrés de ces portraits laudatifs, qui deviendront des photos ou des films de propagande à partir du 20e siècle (Hitler, Mussolini, Staline, etc.). Il est donc important de juger ce tableau dans ce contexte historique général d’apologie du pouvoir par ceux qui le détiennent. Moins le pouvoir est démocratique, plus l’apologie est appuyée et souvent vulgaire.
En 1806, Ingres est un jeune peintre de vingt-six ans recevant une commande prestigieuse. A cette époque, l’artiste peut être rattaché au néoclassicisme. Le tableau présente toutes les caractéristiques de ce courant : composition très équilibrée et même quasi-symétrique, dessin apparent, couleurs sobres.
L’hiératisme de l’empereur frappe immédiatement. Le peintre propose une image désincarnée du souverain, rappelant le Christ Pantocrator de l’art byzantin. La position frontale et le visage impassible, sur lequel aucune émotion n’apparaît, sont des caractéristiques des figures religieuses antérieures à la Renaissance. On pourrait aussi évoquer Jupiter, qu’Ingres peindra en 1811 (Jupiter et Thétis) dans une position très semblable à celle de Napoléon.
Dans sa main droite, Napoléon tient le sceptre de Charles V (1338-1380), comportant à son extrémité une statuette de Charlemagne. Sa main gauche touche une main de justice. De toute évidence, le peintre a voulu situer l’empereur dans la lignée des souverains de l’Ancien régime. La couronne de lauriers qu’il porte sur la tête était l’attribut des empereurs de la Rome antique. Autre référence à l’Antiquité, l’aigle, qui figure sur les accoudoirs du trône et au sol, sur le tapis.
Le tout nouvel empereur est noyé dans de lourdes étoffes : manteau pourpre, fourrure d’hermine ornée d’abeilles et de broderies d’or.
Le sceptre de Charles V (détail)
La couronne de lauriers (détail)
Ce portrait de Napoléon devait représenter le fondateur d’une nouvelle dynastie. On connaît la suite : guerres incessantes, défaite de Waterloo en 1815, exil et mort à Sainte-Hélène en 1821. L’Empire n’aura duré qu’une dizaine d’années. Avec le recul, le caractère dérisoire de cette glorification du pouvoir politique constitue la caractéristique essentielle de l’œuvre. Fort heureusement, l’hubris des dictateurs les mène à la chute.
Autres compositions sur le même thème
Deux autres tableaux de Napoléon en costume de sacre ont été réalisés. L’aspect imitatif est toujours présent. Il s’agit d’apparaître avec les attributs du pouvoir, comme le faisaient les rois.
François Gérard. Napoléon Ier en costume de sacre (1805) |
Robert Lefèvre. Napoléon Ier en costume de sacre (1807) |
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