Giovanni Segantini. Triptyque des Alpes (1896-99)
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Patrick AULNAS
La vie brève de Giovanni Segantini (1858-1899) lui permit cependant d’accomplir son destin de grand artiste. Né dans une famille très pauvre, resté longtemps analphabète, il assimile l’art de peindre avec une facilité déconcertante. Maîtrisant rapidement les tendances émergentes de son époque (impressionnisme, divisionnisme, symbolisme), il parvient à un style très personnel dont ses trois dernières œuvres, qualifiées Triptyque des Alpes ou Triptyque de la vie, représentent l’aboutissement.
Giovanni Segantini. La vie (1896-99)
Huile sur toile, 193 × 322 cm, Segantini Museum, Saint-Moritz.
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Giovanni Segantini. La nature (1897-99)
Huile sur toile, 236 × 403 cm, Segantini Museum, Saint-Moritz.
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Giovanni Segantini. La mort (1896-99)
Huile sur toile, 193 × 322 cm, Segantini Museum, Saint-Moritz.
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Contexte historique
La seconde moitié du 19e siècle est une période d’effervescence artistique se traduisant par la remise en cause de l’académisme et l’émergence de nombreux courants picturaux n’ayant parfois qu’une durée très courte. Segantini est attiré par le symbolisme, qui apparaît déjà dans certaines scènes de genre paysannes de ses débuts. Mais le peintre se situe également dans le courant impressionniste, qui influence fortement le milieu artistique. Il choisira d’ailleurs en général un dérivé de l’impressionnisme, le divisionnisme ou pointillisme, technique apparaissant nettement dans le Triptyque des Alpes.
En 1897, Segantini forme le projet d’un vaste panorama des Alpes destiné à être présenté en 1900 à l’Exposition universelle de Paris, dans un pavillon conçu par l’artiste. Ce Panorama de l’Engadine devait comporter sept toiles monumentales, mais faute de moyens financiers, le projet ne pourra être mené à son terme. Trois toiles subsistent, dénommées Triptyque des Alpes ou Triptyque de la vie, de la nature et de la mort.
Analyse de l’œuvre
L’artiste cherche dans les vastes paysages alpins une symbolique spirituelle autour des thèmes du devenir (La vie), de l’être (La nature) et de la disparition (La mort). Le travail exceptionnel sur la lumière, associé à un divisionnisme très maîtrisé, hisse ces œuvres au plus haut niveau de l’art du paysage. Ancrées dans la ruralité, les trois scènes évoquent les cycles de la nature auxquels l’homme a été soumis de toute éternité : le jour et la nuit, les saisons, la vie et la mort. Comme dans Les saisons, dernière œuvre de Nicolas Poussin, cette harmonie parfaite entre l’homme et la nature suppose une immanence de Dieu qui se rapproche du panthéisme : Dieu est le monde, l’univers, le tout.
La vie
Le peintre a choisi la fin du jour pour opposer la vallée déjà dans l’ombre et les cimes neigeuses recevant les derniers rayons du soleil. Il s’agit d’un paysage réel et non d’une recomposition paysagère, comme les appréciaient les néoclassiques. Le réalisme et l’impressionnisme du 19e siècle valorisaient la peinture sur le motif. Cette vallée se situe sur l’ancienne commune de Soglio, aujourd’hui fusionnée avec Bregaglia, dans le canton suisse des Grisons. La chaîne de montagnes Sciora et le glacier Bondasca apparaissent en arrière-plan.
Ce cadre naturel est celui de la vie humaine, animale et végétale. Segantini représente donc les travaux et les jours. Une jeune femme avec un enfant est assise sur les racines d’un grand arbre ; un berger utilise son bâton pour mener un veau vers le troupeau ; deux femmes portant leurs bébés montent un escalier de pierres. La présence des enfants symbolise la vie en tant que devenir. La lune, non visible dans le ciel, se reflète déjà dans l’étang. Selon Segantini, la scène évoque « la vie de toutes les choses qui ont leurs racines dans Mère Nature ».
Giovanni Segantini. La vie, détail
La composition classique comporte plusieurs plans horizontaux (vallée, chaîne de montagne, ciel) reliés entre eux par un élément de verticalité : l’arbre placé à gauche.
La nature
Le concept sous-jacent consiste à évoquer la nature comme être, dans sa permanence. La composition oppose nettement le ciel immense, symbolisant l’univers et la divinité, et la terre avec les hommes et les animaux. La scène vespérale se place à la fin d’une journée de travail, à l’heure où un couple de paysans rejoint sa maison avec son troupeau. Là encore, il s’agit d’un paysage réel situé sur le Schafberg (Mont aux moutons) au-dessus de Pontresina. Les lacs de la Haute-Engadine et la chaîne de la Bernina apparaissent à l’arrière-plan.
Giovanni Segantini. La nature, détail
La luminosité à la fois déclinante et puissante constitue la grande réussite de cette composition. Le ciel, réalisé avec la technique pointilliste, est constitué de points jaunes, bleus, blancs et rouges. Le jaune et le blanc dominent au centre. Le bleu et quelques points rouges viennent atténuer la luminosité sur les côtés.
La mort
Segantini choisit un matin d’hiver pour évoquer la mort. La vue se situe sur la commune de Maloja dans la région de Bregaglia. Un cadavre enveloppé dans un linceul est sorti d’une maison pour être emmené au cimetière sur un traîneau tiré par un cheval. Trois femmes et un enfant attendent pour accompagner le mort.
Giovanni Segantini. La mort, détail
Le soleil matinal illumine les montagnes mais il est inapparent. Le peintre a placé un gros nuage blanc masquant le soleil et symbolisant la divinité et la vie qui se poursuit mystérieusement après la mort. Ce tableau est inachevé car Segantini est mort avant de l’avoir terminé.
La montagne en peinture : quelques exemples
Le paysage n’est d’abord qu’un élément accessoire d’un tableau traitant un sujet religieux ou relatif au pouvoir politique. Puis, à partir de la fin du 15e siècle, le thème du paysage émerge lentement et devient un sujet à part entière dans le courant du 16e siècle.
Ambrogio Lorenzetti. Effets du bon gouvernement sur la campagne, détail (1337-39). Fresque, Palazzo pubblico, Sienne. Lorenzetti ne cherche pas à restituer la réalité de la vie campagnarde. Il fait coexister des activités qui sont en réalité dissociées : semailles, moisson, battage du grain, vendanges. Le lien entre ville et campagne est symbolisé par le groupe de cavaliers à gauche qui sort de la ville pour aller chasser (un faucon est perché sur le bras tendu d'un cavalier). Il s'agit également de marquer le pouvoir de la noblesse sur le territoire : elle seule possède le droit de chasser. |
Domenico Ghirlandaio. L'appel des premiers apôtres (1481). Fresque, 349 × 570 cm, chapelle Sixtine, Rome. Cette fresque fait partie d'un vaste ensemble auquel ont collaboré plusieurs peintres dont Le Pérugin et Botticelli. Ghirlandaio était chargé du thème consacré à l'appel de saint Pierre et de saint André. Les deux apôtres, agenouillés au premier plan, répondent à l'appel du Christ qui les bénit. Le Christ apparaît encore deux autres fois, sur la berge, à l'arrière-plan. Selon la Bible, il appelle les deux apôtres, qui sont des pêcheurs, en leur disant : « Suivez-moi, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes. ». Le groupe situé à droite est constitué de portraits de personnages appartenant à de grandes familles florentines. Ce chef-d'œuvre qui allie narration, émotion (visages du Christ et de Pierre et André), réalité contemporaine (portraits) et paysage grandiose dans un ensemble chromatique exceptionnel, est unique dans l'œuvre de Ghirlandaio. On peut considérer ce paysage comme une préfiguration du paysage-monde qui se développera dès le début du 16e siècle. |
Albrecht Dürer. Vue de Trente (1494). Aquarelle sur parchemin, 23,8 × 35,6 cm, Kunsthalle, Brême. Peinte au cours du premier séjour de Dürer en Italie en 1494-95, la ville de Trente (Trento en italien) est située sur les rives de l'Adige. Dürer a peint un certain nombre d’aquarelles représentant des paysages, des animaux ou des végétaux. Mais il ne considérait pas ces petits formats comme des œuvres d’art car une œuvre d’art devait pour lui avoir une dimension religieuse. Il s’agissait d’esquisses qui pouvaient ensuite être utilisée dans un tableau. Nous avons aujourd’hui une autre approche et voyons dans les aquarelles paysagères de l’artiste des œuvres à part entière d’une originalité rare à cette époque |
Joachim Patinir. Paysage avec saint Jérôme (1515-19). Huile sur bois, 74 × 91 cm, Musée du Prado, Madrid. « C'est là que l'on retrouve en dix fois plus petit (sur la toile) mais en cent fois plus vaste (dans la réalité figurée), les mêmes buissons de velours, les mêmes falaises abruptes, les mêmes ports, viaducs, églises et maisons, qui, dans un bleu particulier qu'on pourrait appeler bleu Patinir, se répandent par grappes sur les bords irréguliers d'un plan d'eau toujours clair – qui n'est ni celui de la mer, ni celui d'un fleuve, mais celui d'un estuaire improbable s'élargissant en océan. Comment alors ne pas penser à la répartition des eaux à la surface de la Terre, dont on observerait les méandres vus du ciel ? Le propos de Patinir est cosmogonique, nous faisant passer sans transition du paysage à la géographie, et de la géographie à l'imaginaire. » (Hector OBALK, Aimer voir, Hazan, Paris 2011) |
Le Greco. Vue de Tolède (1597-99). Huile sur toile, 121 × 109 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Le paysage était à l'époque un genre secondaire et incluait toujours des personnages. Le personnage est ici la ville de Tolède, magnifiée et spiritualisée par le regard d'un grand artiste. Il ne s'agit ni d'un paysage topographique visant à décrire la réalité géographique, ni d'un paysage-monde incluant le plus d'éléments possibles, mais de la vision très personnelle de la ville par Greco, de l'impression qu'elle produisait sur lui. Ce chef d'œuvre, sans aucun équivalent à l'époque, se place cependant dans la filiation de l'œuvre de Titien par la prépondérance accordée à la couleur. Le Greco avait d'ailleurs été l'élève de Titien de 1568 à 1570, date à laquelle il part pour l'Espagne. |
Jan Asselijn. Paysage de montagne avec des bergers (1648-50). Huile sur bois, 43 × 67 cm, Akademie der Bildenden Künste, Vienne. Jan Asselijn (v. 1610-1652) appartient à la tendance italianisante qui s'était développée à la suite de voyages en Italie de certains peintres. Il propose ici un paysage correspondant à ses souvenirs d'Italie, sans restituer les détails. Des bandes horizontales sombres ou éclairées suggèrent l'étendue. Le soleil derrière les nuages menaçants accentue le caractère dramatique de la composition. Les figures du premier plan semblent perdues dans l'immensité de l'espace naturel accentuée par le choix de composition : aucun encadrement sur les bords latéraux du tableau (arbre, rocher, etc.) comme il était fréquent. |
Jean-Joseph-Xavier Bidauld. Vue de l'île de Sora (1793). Huile sur toile, 113 × 144 cm, musée du Louvre, Paris. « Exposé sous ce titre au Salon de 1793, ce tableau représente en fait le village d'Isola del Liri et le château de Buoncompagni, près de Sora. Il a été peint à la suite d'un prix d'encouragement décerné par la Nation en 1792 pour pallier l'absence des clients habituels des artistes, exilés ou ruinés sous la Révolution. » (Notice musée du Louvre) Les paysages néoclassiques de Bibauld connurent un grand succès et il fut le premier artiste à entrer à l'Académie des Beaux-arts en 1823 dans la spécialité de peintre de paysages. |
Caspar David Friedrich. Voyageur contemplant une mer de nuages (1818). Huile sur toile, 95 × 75 cm, Kunsthalle, Hambourg. De nombreuses interprétations ont été données de ce tableau emblématique du romantisme. On peut y voir de multiples symboles et se perdre dans une savante exégèse. Mais, de toute évidence, il s'agit pour nous aujourd'hui du héros romantique face aux splendeurs de la nature. Pour le reste l'interprétation est libre. Solitude face à l'immensité ? Emerveillement face à la beauté ? Petitesse de l'homme face à la grandeur et à la puissance ? Quête de spiritualité ? |
Albert Bierstadt. The Rocky Mountains, Lander's Peak (1863). Huile sur toile, 186,7 × 306,7 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Le peintre américain Albert Bierstadt (1830-1902) est le fils d'une famille d'immigrants allemands qui étudia à l'Académie de Düsseldorf. Ce tableau a été réalisé à la suite de deux expéditions dans les Montages rocheuses. Il s'agit d'un paysage imaginaire dans lequel l'artiste restitue les impressions recueillies. Ce paysage grandiose avec une lumière éclatante venant du ciel permet de faire apparaître le mode de vie des indiens d'Amérique. |
Paul Cézanne. Montagne Sainte-Victoire (1904). Huile sur toile, 70 × 92 cm, Philadelphia Museum of Art. Après une période impressionniste, Cézanne (1839-1906) chercha à analyser la structure de la représentation picturale. Alors que les impressionnistes utilisent de petites touches, il recourt à des empâtements et fait ressortir les formes géométriques. L'évolution du peintre est saisissante dans les représentations successives de la Montagne Sainte-Victoire, située à l'est d'Aix-en-Provence. Dans le tableau de 1904, il est sur la voie du cubisme |
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