Gérard David. Le repos pendant la fuite en Egypte (v. 1510)
Patrick AULNAS
Gérard David se rattache à la tradition flamande par ses œuvres de jeunesse, mais l'évolution de sa palette est ensuite significative : apparaissent des couleurs plus suaves, une harmonie plus subtile, un traitement mieux maîtrisé de la lumière. Ce grand artiste tisse ainsi un lien entre la peinture flamande du 15e siècle et la première Renaissance italienne.
Gérard David. Le repos pendant la fuite en Egypte (v. 1510)
Huile sur bois, 41,9 × 42,2 cm, National Gallery of Art, Washington.
Image HD sur NATIONAL GALLERY OF ART
La fuite en Égypte de la Sainte Famille
La fuite de la Sainte Famille (Joseph, la Vierge et l’Enfant Jésus) constitue un des grands thèmes classiques de la peinture religieuse à partir du 13e siècle. Giotto, Fra Angelico, Joachim Patinir, Cranach l’Ancien, Corrège, Claude Lorrain, Nicolas Poussin et bien d’autres l’utiliseront pour montrer leur savoir-faire. L’épisode est relaté dans l’Évangile selon saint Matthieu. Le roi Hérode Ier de Palestine, ayant appris la naissance à Bethléem du roi des Juifs, donne l’ordre de tuer tous les enfants de moins de deux ans se trouvant dans la ville. Prévenu par un songe, Joseph s’enfuit en Égypte avec l’Enfant Jésus et sa mère Marie. Ils y resteront jusqu’à la mort d’Hérode.
Le thème est picturalement intéressant car il permet de saisir les trois personnages en fuite dans un cadre paysager. De multiples choix de composition, de couleur et d’éclairage sont envisageables, d’où la constance des artistes à utiliser le sujet jusqu’au 18e siècle avec l’ambition de le renouveler. Deux variantes principales ont été traitées : la Sainte Famille marche, en général accompagnée d’un âne sur lequel se trouve Marie et son fils, ou bien la Sainte Famille se repose après une longue marche. Gérard David a choisi cette seconde variante.
Analyse de l’œuvre
Assise sur un rocher, la Vierge tient une grappe de raisins que l’Enfant s’apprête à manger. Joseph essaie de cueillir des fruits dans un arbre aux branches trop élevées en s’aidant d’un bâton. Ce détail ne figure pas dans la Bible mais provient d’un texte apocryphe du 7e siècle appelé Évangile du Pseudo-Matthieu. D’après ce texte, la Sainte Famille se trouvait sous un palmier dont les fruits étaient inaccessibles. Le Christ ordonna alors au palmier de se courber et Joseph put cueillir les fruits. Ce Miracle du palmier, connu au 16e siècle, inspire vaguement certaines représentations de la fuite en Égypte.
Gérard David. Le repos pendant la fuite en Egypte (1510), détail
La composition de Gérard David respecte les critères picturaux de l’époque par son parfait équilibre. La figure de la Vierge, placée au centre et au premier plan, se découpe de façon pyramidale sur un paysage en trois plans successifs. De nombreux tableaux de David donnent une place importante au paysage, mais à cette époque le paysage n’est que le décor dans lequel se déroule la scène mythologique ou religieuse.
Le plan le plus rapproché du paysage est constitué par les rochers sur lesquels la Vierge est assise. Les jaunes et les blancs dominent. Au tout premier plan, le peintre a placé quelques éléments de végétation basse pour marquer le cadre et accentuer l'effet perspectif. Les arbres et massifs vert sombre forment le second plan du paysage. Enfin, l’arrière-plan comporte un paysage lointain, vert clair, et un ciel bleu qui blanchit en se rapprochant de la ligne d’horizon. Cet effet de perspective atmosphérique permet de donner une grande profondeur de champ à la composition. Le sujet religieux est ainsi intégré dans un vaste environnement naturel.
Gérard David. Le repos pendant la fuite en Egypte (1510), détail
Le personnage de la Vierge se détache du paysage par les choix chromatiques du peintre. Plusieurs nuances de bleu apparaissent : une pour la robe, une pour la cape, une pour le voile recouvrant l’Enfant. Le contrepoint rouge, au bas de la robe et aux poignets, est la signature d’un maître de la couleur. Le traitement des plis des étoffes et surtout celui des voiles qui couvrent l’enfant et la tête de la Vierge n’est pas à la portée de beaucoup d’artistes de l’époque. Filippo Lippi, l’un des plus grands peintres italiens du 15e siècle, maîtrisait parfaitement cet effet dès 1465, avec sa Vierge à l'Enfant et deux anges. Couleurs et raffinement formel marquent l’influence italienne sur la peinture de Gérard David au début du 16e siècle.
Gérard David. Le repos pendant la fuite en Egypte (1510), détail
Les dominantes bleues et vertes soulignent le caractère paisible de l’ensemble. La quiétude du lieu, le visage calme de la Vierge, la douceur de l’Enfant qui cueille délicatement un grain de raisin constituent autant d’éléments élevant cette composition au rang de chef-d’œuvre de l’expression de la sérénité en peinture.
Autres compositions de Gérard David sur le même thème
Gérard David reprenait fréquemment le même thème pour des raisons économiques. Peintre réputé, il ne vendait pas uniquement à la noblesse et au haut clergé, mais aussi à la bourgeoisie flamande. Les petits formats permettaient de placer les tableaux dans n’importe quel intérieur.
Gérard David. Le repos pendant la fuite en Egypte (1512-15). Huile sur bois, 50,8 × 43,2 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. La composition comporte un aspect narratif. A l’arrière-plan, la Sainte Famille sort de la forêt tandis qu’au premier plan la Vierge allaite l’Enfant. |
Gérard David. Le repos pendant la fuite en Egypte (1515). Huile sur bois, 60 × 39 cm, musée du Prado, Madrid. Il s’agit d’une variante de la composition précédente du MET. |
Gérard David. Le repos pendant la fuite en Egypte (1523). Huile sur bois, 81 × 99 cm, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers. « Nous voyons Marie et Jésus dans un paysage rocailleux, à la lisière d'un bois. À quelques pas, Joseph se repose pendant que l'âne pacage. Marie allaite son fils. L'idée que Jésus dépendait du lait maternel fait ressortir son côté humain. La nudité presque intégrale dans laquelle il nous est présenté, montre bien qu'il est un petit garçon comme les autres. Un grand réconfort pour ceux qui aspirent à marcher sur ses traces. » (Commentaire Koninklijk Museum voor Schone Kunsten) |
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