François Boucher. L’Odalisque blonde (1751-52)
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Patrick AULNAS
François Boucher (1703-1770) fut l’un des grands maître du style rococo sous le règne de Louis XV (1710-1774). Protégé par la marquise de Pompadour, peintre officiel de la royauté, travailleur acharné et extrêmement doué, il réussit dans tous les genres, depuis les scènes mythologiques et religieuses jusqu’aux portraits, sans négliger les scènes de genre et les paysages avec personnages.
Pour les nus féminins, il ose ce que peu d’artistes de l’époque ont osé, ce qui lui vaudra une réputation de libertin et un ostracisme de la part les historiens de l’art, dont il ne sortira qu’à la fin du 19e siècle. Voici donc un tableau qui fit scandale et bouleversa le destin d’une jeune fille promise à la prostitution.
François Boucher. L’Odalisque blonde ou Jeune fille allongée (1751)
Huile sur toile, 59.5 × 73.5 cm, Wallraf-Richartz Museum, Cologne.
Image HD sur WIKIMEDIA
François Boucher. L’Odalisque blonde ou Jeune fille allongée (1752)
Huile sur toile, 59 × 73 cm, Alte Pinakothek, Munich.
Image HD sur WIKIMEDIA
NB : Dans l’Empire ottoman une odalisque était une esclave attachée au service des femmes du Sultan.
Le fabuleux destin de Marie-Louise O’Murphy
Le tableau représente Marie-Louise O’Murphy à l’âge de quatorze ans. Née à Rouen le 21 octobre 1737, elle devient par un enchaînement de circonstances la petite maîtresse du roi Louis XV (1710-1774).
La famille de Marie-Louise est d’origine irlandaise. Son grand-père, Daniel Morfil était un soldat du roi d’Angleterre Jacques II (1633-1701), roi catholique battu par le roi protestant Guillaume III d’Orange (1650-1702) à la bataille de la Boyne, le 10 juillet 1690. Jacques II et son armée s’exilent alors en France. Daniel Morfil deviendra maître cordonnier. Son fils, également prénommé Daniel, épouse en 1714, à Rouen, Marguerite Iquy. Douze enfants naîtront de cette union, dont sept survivront. Marie-Louise est la petite dernière.
L’orthographe du nom de famille varie selon des documents d’archive français: Morfil, Morfi ou Morphy. Quant à O’Murphy, appellation la plus courante aujourd’hui, elle correspond au nom irlandais d’origine de la famille. Murphy est l’un des patronymes les plus fréquents en Irlande.
Les parents de Marie-Louise étaient bien connus des services de police. Son père fut embastillé le 23 février 1735 pour une affaire de chantage à l’encontre de Jacques III Stuart, fils de Jacques II et prétendant au trône d’Angleterre, qu’il n’obtiendra jamais. Sa mère est connue pour se livrer à la prostitution. Les sœurs aînées de Marie-Louise suivent le même chemin.
Giacomo Casanova (1725-1798) est à Paris vers 1750-51. Il revendique dans ses mémoires la découverte de Marie-Louise O’Murphy. Subjugué par la beauté de la jeune fille, il aurait demandé à un peintre de faire son portrait et d’écrire en-dessous O-Morphi qui, selon lui, « veut dire belle » en grec. Mais les Mémoires de Casanova ne constituent pas un document historique fiable.
En réalité, Madame de Pompadour (1721-1764), qui n’avait plus de relations intimes avec le roi, mais entendait rester la favorite, organisait avec son entourage les plaisirs du roi. Son frère, le duc de Marigny (1727-1781), eut une part importante dans l’ascension de la petite Louison, diminutif familial utilisé pour Marie-Louise O’Murphy. Marigny est en effet le commanditaire du tableau et ce sont probablement les sœurs de Marie-Louise qui ont présenté le modèle à François Boucher. C’est la seconde version du tableau, exécutée en 1752, qui est montrée au roi. Louis XV est saisi par la beauté de la jeune fille mais pense que le peintre a beaucoup flatté son modèle et demande donc à voir « la petite Morfi ». Dominique-Guillaume Lebel, son premier valet de chambre, est chargé de la lui ramener. Il procèdera par l’intermédiaire d’une « couturière-maquerelle », La Fleuret, liée à la mère de la petite Louison.
La jeune fille rencontre le souverain à la fin de l’année 1752 dans les jardins du château de Choisy, où Louis XV reçoit habituellement ses favorites. Pour prix de son « acquisition », le roi fait remettre 200 louis aux parents et 100 louis à l’entremetteuse. Marie-Louise vivra désormais dans un quartier nouveau de Versailles, qui était encore sous Louis XIV un enclos permettant d’élever du gibier, d’où son appellation de Parc-aux-cerfs. Ce pied-à-terre royal héberge les petites maîtresses de Louis XV, qui n’ont pas le statut de favorite officielle. Le roi ne se rendant que très rarement au Parc-aux-Cerfs, les petites maîtresses sont amenées au château dans le plus grand secret. Cette organisation permet de répondre au goût de Louis XV pour les jeunes vierges. Celles-ci considéraient d’ailleurs leur relation avec le roi comme une réussite exceptionnelle et un honneur. Louis XV est un dépressif, délicat avec les femmes, absolument pas violent, qui recherche tout autant une compagnie amusante que le plaisir sexuel (*).
Les courtisans ne connaissent pas l’existence de Marie-Louise pendant les premiers mois de la relation, mais le secret est vite éventé. A la cour elle est surnommée Morphise ou La Belle Morphise. La relation dure seulement deux ans et demi, au cours desquels Marie-Louise O’Murphy donne naissance à une fille, Agathe Louise de Saint-Antoine, dite Adélaïde de Saint-André (1754-1774). Lorsque le roi répudie ses petites maîtresses, il les marie moyennant finances. L’entourage de la marquise de Pompadour trouve un jeune noble sans fortune, militaire dans les armées royales, Jacques de Beaufranchet, seigneur d’Ayat (1731-1757). Pour ménager les susceptibilités de la famille de l’époux, la petite Louison est devenue pour la circonstance Marie-Louise Morphy de Boisfailly, fille de Daniel Morphy de Boisfailly, gentilhomme irlandais. Le mariage est célébré à Paris le 27 novembre 1755 dans le plus grand secret, les familles étant absentes. La dot de la mariée s’élève à 200 000 livres, outre tous les bijoux et cadeaux offerts auparavant par le roi. Deux enfants naîtront de cette union.
Veuve dès 1757, Marie-Louise O’Murphy se remarie en 1759 avec François Nicolas Le Normant de Flaghac (1725-1783), receveur des finances à Riom. Il possède plusieurs domaines estimés à plus de 300 000 livres, un bel hôtel et plusieurs maisons à Riom. Il est apparenté aux Le Normant d’Étiolles, la belle famille de la marquise de Pompadour. En se remariant, Marie-Louise conserve son ancienne fortune, en privant les Beaufranchet, qui lui intenteront un procès. Une fille, Victoire Le Normant de Flaghac (1768-1830) naîtra de cette nouvelle union. Pendant ce mariage, Marie-Louise O’Murphy augmente considérablement sa fortune. Les receveurs des finances royales captaient en effet des sommes considérables et disposaient d’opportunités financières connues d’eux seuls.
En 1795, à l’âge de cinquante-huit ans, Marie-Louise O’Murphy se marie pour la troisième fois. Elle épouse Louis-Philippe Dumont (1765-1853) député du Calvados à la Convention (1792-95), de vingt-huit ans son cadet, ce qui lui assure une protection pendant les troubles révolutionnaires et permet au député de profiter de l’immense fortune accumulée par son épouse. Le calme politique étant revenu avec le Directoire (1795-99), elle divorce deux ans plus tard. Marie-Louise meurt le 11 décembre 1814, à Paris, à l’âge de soixante-dix-sept ans. Elle s’était retirée chez sa fille Victoire, la seule de ses enfants encore vivante. Mais elle laisse de nombreux petits-enfants.
La fille d’un soldat perdu de l’armée de Jacques II et d’une mère se livrant à la prostitution est ainsi devenue à la fois riche et célèbre parce que sa beauté a été magnifiée par l’un des plus grands peintres du siècle. Le détour de deux années par le bon plaisir du roi a transformé la triste vie qui attendait la petite Louison en un fabuleux destin. Marie-Louise O’Murphy est désormais un personnage historique. Un aperçu de sa nombreuse descendance peut être consulté sur Geneatnet.
Analyse de l’œuvre
Avec L’Odalisque blonde, Boucher n’innove pas. Il revisite une composition datant approximativement de 1745, L’Odalisque brune.
François Boucher L’Odalisque brune (v. 1745)
Huile sur toile, 53 × 64 cm, musée du Louvre, Paris.
Comme l’indique le commentaire du musée du Louvre, le peintre utilise le mythe du harem oriental, déjà présent dans l’esprit des hommes occidentaux, pour oser une représentation érotique du corps féminin :
« Le titre évoque l’Orient des harems, objet de fascination érotique pour les peintres. Un délicieux exotisme de boudoir règne dans cette image qui pourrait représenter Madame Boucher. Le spectacle impudique du corps abandonné au désordre des étoffes confère un caractère délibérément licencieux à ce tableau. » (Base Atlas, musée du Louvre)
Diderot (1713-1784) a critiqué l’acceptation au Salon officiel de ce tableau, au nom des bonnes mœurs :
« N’en déplaise à Boucher qui n’avait pas rougi de prostituer lui-même sa femme d’après laquelle il avait peint cette figure voluptueuse, je dis que, si j’avais eu voix dans ce chapitre-là, je n’aurais pas balancé à lui représenter que, si grâce à ma caducité et à la sienne, ce tableau était innocent pour nous, il était très propre à envoyer mon fils, au sortir de l’Académie, dans la rue Fromenteau qui n’en est pas loin, et de là chez Louis ou chez Keyser ; ce qui ne me convenait nullement. »
Diderot fait allusion, à la fin de sa phrase, à des établissements parisiens de prostitution. Ce texte est écrit en 1767, mais à l’époque du Salon en question, le philosophe avait moins de quarante ans. Il prête visiblement à son fils ses propres pulsions. Les odalisques de Boucher étaient donc très osées pour l’époque et provoquaient l’émoi de la gent masculine.
Avec L’Odalisque blonde, Boucher réutilise le caractère suggestif de l’oreiller en désordre et du drap froissé, mais il rajeunit nettement le corps puisque Marie-Louise O’Murphy avait environ quatorze ans. Alors que l’odalisque brune a le regard tourné vers l’observateur du tableau, le visage de l’odalisque blonde est présenté de profil. Elle observe une scène hors cadre, à gauche du tableau.
François Boucher. L’Odalisque blonde, détail
Ces compositions se situent dans la filiation des nus de Titien, en particulier l’un des plus célèbres, La Vénus d’Urbino.
Titien. La Vénus d'Urbino (1534-38)
Huile sur toile, 119 × 165 cm, Galerie des Offices, Florence.
La Vénus de Titien est particulièrement provocante, son regard défiant ostensiblement le spectateur. En passant de la déesse antique à la femme du 18e siècle, Boucher retourne le modèle et perd le regard, élément essentiel.
L’Odalisque blonde, comme tous les nus de la peinture occidentale, reflète la perception masculine du corps féminin. Si le tableau paraît aujourd’hui bien sage, il n’en allait pas de même au siècle des Lumières. Boucher bouscule en effet les conventions picturales encore largement respectées. La nudité féminine avait besoin d’un prétexte mythologique pour apparaître en image. Les nymphes et les déesses grecques ou romaines pouvaient, depuis la Renaissance, montrer leur corps. Réalisme oblige. Chacun sait que les déesses antiques vivaient plus ou moins habillées et parfois totalement nues. Il était donc légitime de les représenter ainsi. Ces conventions, aussi naïves puissent-elles nous paraître, étaient acceptées par les amateurs d’art, qui ne constituaient qu’une proportion infime de la population. Seuls les très riches bourgeois et les nobles fortunés accédaient à ces tableaux, qui n’étaient pas destinés à être exposés en public, mais à orner les appartements privés. Le paysan breton ou savoyard ne pouvait même pas imaginer qu’une telle peinture puisse exister.
L’Odalisque blonde fait donc partie des toiles les plus audacieuses du 18e siècle. Il existe beaucoup de dessins érotiques d’époque se voulant réalistes à propos des relations sexuelles, mais la peinture à l’huile représente un travail long, exigeant et coûteux, qui n’était entrepris que sur commande, sauf rare exception. Dans le cas présent, tout se passe dans le cercle des proches de la marquise de Pompadour. Son peintre préféré, François Boucher, vend le tableau au frère de la marquise, le marquis de Marigny, qui ne se doute pas à cet instant que le modèle deviendra la maîtresse du roi. Marigny est à cette époque directeur général de Bâtiments du roi. Il s’agit d’un poste important car la royauté possède un grand nombre de châteaux et édifices prestigieux qu’il s’agit d’entretenir et de décorer par des commandes d’œuvres d’art. Cette administration emploie plusieurs centaines de personnes. Un personnage comme le marquis de Marigny a donc une influence notable sur la production artistique et il ne faut pas s’étonner qu’il soit devenu le propriétaire de cette sulfureuse odalisque.
Cette Jeune fille allongée, typiquement rococo, appartient aussi au registre de la jeune ingénue, très apprécié des peintres, et donc des hommes de l’époque. Greuze utilise déjà, au même moment, le thème de la jeune fille « innocente » qui séduit les hommes sans le savoir, mais tout en le sachant (La simplicité, 1759). Boucher va au bout de la logique en déshabillant l’ingénue, qui devient ainsi, sans ambiguïté, l’objet du regard et du désir masculin. Le roi lui-même n’y a pas résisté.
Bref aperçu historique de la représentation de la nudité féminine
Le nu féminin existe dès la préhistoire, sous forme de statuettes, avec une fonction magique visant à célébrer la fécondité. L’Antiquité verra naître une ambition esthétique, en général associée à une religion. Il s’agit de magnifier la beauté des déesses.
Au Moyen Âge, le christianisme prohibe l’image de la nudité des corps, associée au mythe de la chute d’Adam et Ève, au péché originel. Les rares nus féminins représentent précisément la tentation du couple originel du récit chrétien.
Cette position du dogme chrétien persistera au moins jusqu’au 19e siècle, mais sera de moins en moins respectée par les peintres. Dès la Renaissance (15e siècle et surtout 16e), les puissants, qui sont aussi les commanditaires des œuvres d’art, utiliseront, avec l’aide de la créativité des artistes, le subterfuge des déesses antiques pour représenter la nudité féminine. Le corps de Vénus (Aphrodite chez les grecs), déesse de l’amour, sera ainsi étudié et réétudié au fil des siècles. Mais d’autres déesses ou nymphes peuvent aussi apparaître.
C’est le 18e siècle, le siècle des Lumières, qui bouscule légèrement ces conventions, comme on l’a vu ci-dessus avec l’odalisque de Boucher. Mais le subterfuge discursif à propos de l’œuvre subsiste : l’odalisque étant une esclave orientale, on passe occasionnellement des déesses antiques aux beautés mystérieuses d’un Orient fantasmé.
Il faudra attendre la deuxième partie du 19e siècle pour dépasser la mythologie antique et l’orientalisme. Des femmes contemporaines au bain ou couchées, des prostituées, des lesbiennes apparaissent alors, faisant évidemment scandale dans un premier temps.
C’est seulement au 20e siècle, que la liberté des artistes devient progressivement complète, avec toutes les dérives qu’entraîne inéluctablement cette liberté. Il existe ainsi des nus abstraits, comme des paysages abstraits. Ils ont été passés sous silence.
Vénus de Willendorf. Statuette en calcaire oolithique, hauteur 11 cm, 24 000 à 22 000 BP (before present), Naturhistorisches Museum, Vienne, Autriche. Cette statuette préhistorique met l’accent sur la procréation humaine. Elle symbolise la fécondité et peut aussi représenter la déesse mère.
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Danseuses et flûtistes (1400-1350 av. J.-C.). Tombe de Nébamon, Fresque, British Museum, Londres. La peinture égyptienne est l’œuvre d’artisans respectant scrupuleusement certaines normes intangibles. Seuls les esclaves sont représentés nus. Le dessin reste schématique et la représentation de profil est utilisée pour faciliter le travail. Par rapport à la préhistoire, une ambition esthétique apparaît.
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Aphrodite, dite Vénus de Milo (v. 100 av. J.-C.). Marbre, hauteur 202 cm, musée du Louvre, Paris. La nudité masculine (guerriers, athlètes, dieux) est plus fréquente que la nudité féminine dans l’Antiquité grecque et romaine. Les dieux eux-mêmes peuvent désormais être nus. Par rapport à l’art égyptien, la principale évolution se situe dans le réalisme de la représentation, comme on le voit pour cette statue de la déesse Aphrodite, caractérisée par le mouvement du corps et le glissement du drapé sur les hanches. L’objectif est désormais de magnifier la beauté du corps. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
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La chute (1225-1250). Tempera sur bois, église Saint-Michel, Hildesheim. La représentation de la nudité est proscrite par l’église au Moyen Âge. Elle symbolise la chute. Selon la légende chrétienne, Adam et Ève, auraient désobéi aux prescriptions divines en mangeant le fruit défendu de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Les successeurs, c'est-à-dire l'humanité entière, se trouvent ainsi en situation de péché. On trouve cependant quelques représentations d’Adam et Ève soumis à la tentation, dans un cadre très décoratif.
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Sandro Botticelli. La Naissance de Vénus (v. 1485). Tempera sur toile, 172,5 × 278,5 cm, Galerie des Offices, Florence. Le nu féminin réapparaît à la Renaissance, principalement pour représenter des déesses antiques. Il s’agit d’un prétexte utilisé par les peintres, et admis par leurs commanditaires, pour enfreindre l’interdiction religieuse de l’image de la nudité, considérée comme immorale par le dogme chrétien (et également par les dogmes juif et islamique). Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
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Titien. Vénus anadyomène (v. 1520). Huile sur toile, 76 ×57 cm, National Gallery of Scotland, Edimbourg. Titien a peint de nombreux nus féminins. Il s’agit toujours de déesses. Cette Vénus anadyomène (surgie des eaux) est un prétexte pour proposer un idéal de la beauté féminine.
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Cranach l'Ancien. Les trois Grâces (1531). Huile sur bois, 37 × 24 cm, musée du Louvre, Paris. Ce peintre allemand s’était fait une spécialité des nus féminins longilignes aux très grandes jambes. Ces jeunes femmes, censées représenter des déesses antiques, prennent des poses, ondulent, portent chapeau et voile transparent. Il s’agit évidemment d’une peinture érotique destinée à orner les appartements privés des aristocrates fortunés. Avec la complicité de la haute noblesse, les artistes se libèrent peu à peu du carcan moral religieux.
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Agnolo Bronzino. Allégorie avec Vénus et Cupidon (v. 1545). Huile sur bois, 146 × 116 cm, National Gallery, Londres. Probablement commandé par Cosme 1er de Médicis, ce tableau a été offert au roi de France François 1er. Cette Vénus enlacée qui tient la flèche lancée par Cupidon est menacée par des personnages inquiétants et maléfiques surgissant des profondeurs du tableau. L'intention érotique est évidente, mais le mal, défini par la religion, est omniprésent dans les esprits de l'époque. Il s'agit ainsi d'une allégorie de la luxure. Les nus à la carnation parfaite et à l'élégance maniériste se détachent sur un superbe fond bleu outremer.
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Guido Reni. Bacchus et Ariane (1619-20). Huile sur toile, 96 × 86 cm, Los Angeles County Museum of Art. Ariane est, dans la mythologie grecque, la fille de Minos et de Pasiphaé. Elle aide le héros Thésée à sortir du labyrinthe. Bien qu’éprise de Thésée, elle suit Dionysos (Bacchus pour les romains) sur l’île de Lemnos et a plusieurs enfants de lui. Sur un fond bleu représentant la mer et le ciel, Reni place les figures maniéristes de Bacchus en jeune éphèbe et d’Ariane au bord de la pâmoison. L’influence de Michel-Ange n’est pas douteuse. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
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Diego Vélasquez. Vénus à son miroir (1647-51). Huile sur toile, 122,5 × 177 cm, National Gallery, Londres. L’inquisition et la pesante tutelle de l’église catholique sur la société espagnole rendaient ce type de tableau très rare. C’est le seul nu féminin qui nous soit parvenu de Vélasquez, bien qu’il en ait peint quelques autres. Vénus reste encore le prétexte mythologique. Mais le corps de cette femme, svelte et musclé, est étonnamment moderne et particulièrement réaliste… pour une déesse.
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François Boucher. Diane sortant du bain (1742). Huile sur toile, 56 × 73 cm, musée du Louvre, Paris. Outre ses odalisques, Boucher a peint de nombreux nus mythologiques. Ce tableau est un chef-d’œuvre rococo du genre. Diane (Artémis pour les grecs) est la déesse de la chasse et de la lune. Elle est la fille de Jupiter (Zeus) et de Latone (Léto) et la sœur jumelle d’Apollon.
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Ingres. La Grande Odalisque (1814). Huile sur toile, 91 × 162 cm, musée du Louvre, Paris. Cette œuvre orientaliste représente une nudité féminine idéalisée et un Orient fantasmé par les occidentaux de l’époque. Le dos particulièrement long (trois vertèbres supplémentaires selon certains…) a été considéré à l’époque comme « une faute » ! Il s’agit évidemment pour Ingres d’accentuer ainsi l’élégance de la pose.
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Edouard Manet. Olympia (1863). Huile sur toile, 130 × 190 cm, musée d’Orsay, Paris. « Le sujet autant que le langage pictural expliquent le scandale que l'œuvre provoqua au Salon de 1865. Même si Manet multiplie les références formelles et iconographiques : la Vénus d'Urbin du Titien, la Maja desnuda de Goya et le thème de l'odalisque à l'esclave noire traité par Ingres notamment, il traduit avant tout picturalement la froideur et le prosaïsme d'un sujet bien contemporain. La Vénus est devenue une prostituée qui défie de son regard le spectateur. Face à cette remise en cause du nu idéalisé, fondement de la tradition académique, la violence des réactions fut considérable. Les critiques vilipendèrent "cette odalisque au ventre jaune" dont la modernité fut pourtant défendue par quelques contemporains avec à leur tête Zola. » (Commentaire musée d’Orsay) Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
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Gustave Courbet. Le Sommeil (1866). Huile sur toile, 135 × 200 cm, Musée du Petit Palais, Paris. Nous franchissons une étape avec la représentation de l’amour saphique. « Peint à la demande du diplomate Khalil-Bey, Le Sommeil entre directement dans une collection privée, sans avoir à affronter la censure du Salon […] Flattant le goût de son commanditaire, le peintre reprend un sujet de boudoir emprunté aux gravures licencieuses et aux évocations littéraires de l’amour lesbien. Jouant sur le contraste des carnations et des chevelures, il représente deux types de beauté qui s’enlacent dans un désordre de draps soyeux. L’aspect contemporain de la scène traitée grandeur nature, fait écho à L’Olympia de Manet (Paris, musée d’Orsay), tableau d’un format très proche de celui du Sommeil et objet de tous les scandales au Salon de 1865. » (Commentaire Musée du Petit Palais)
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Auguste Renoir. Les Grandes Baigneuses (1884-87). Huile sur toile, 118 × 171 cm, Philadelphia Museum of Art. Le tournant stylistique de Renoir atteint ici son point culminant. La touche lissée et la parfaite délimitation des formes renvoient au grand maître du néoclassicisme et de l’académisme, Ingres. Renoir montre l’étendue de son registre en s’inspirant, pour le thème, d’une sculpture en plomb de François Girardon (le bain des nymphes, 1672) réalisée pour une fontaine du parc de Versailles. L’artiste recherche la pureté et l’intemporalité des fresques vaticanes de Raphaël (Raphaël, L’incendie du bourg, détail, 1514). Les deux modèles principaux sont la brune Suzanne Valadon (1865-1938), également peintre, au premier plan, et la blonde Aline Charigot, au second plan, que Renoir épousera en 1890. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
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Paul Gauguin. Fatata te Miti (1892). Huile sur toile, 67,9 × 91,5 cm, National Gallery of Art, Washington. Fatata te Miti ou Au bord de la mer. Gauguin arrive à Papeete en 1891 avec dans la tête l’image idéalisée de l’exotisme décrite par Pierre Loti dans Le Mariage de Loti. Bien qu’il prenne conscience de la réalité coloniale, il peint ici le rêve de liberté et de bonheur que Rousseau voyait dans « l’état de nature ». Des tahitiennes enlèvent leur paréo pour se baigner nues, alors qu’un homme pêche au harpon à proximité. Cette situation, totalement inenvisageable dans la prude Europe, imprégnée de morale victorienne et de dogmes religieux répressifs, offre à l’artiste une image de l’éden « primitif » qu’il évoque avec des formes simples, de grands aplats de couleurs pures et complémentaires et sans aucun souci de perspective. La composition elle-même constitue ainsi une révérence au paradis perdu et retrouvé. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
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William Bouguereau. La vague (1896). Huile sur toile, 121 × 160,5 cm, collection particulière. L’artiste utilise une technique classique et parfaitement maîtrisée pour composer le portrait d’une jeune femme nue prenant un plaisir sensuel à se baigner dans la mer. Le sujet est provocateur à la fin du 19e siècle. Les bains de mer féminins avaient lieu dans des cabines spécialement aménagées et les baigneuses étaient habillées. Un tel tableau constitue donc pour le bourgeois de l’époque une œuvre particulièrement érotique.
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Amedeo Modigliani. Nu endormi avec bras ouverts (1917). Huile sur toile, 60 × 92 cm, collection particulière. Amedeo Modigliani (1884-1920), à qui reste associée l’image du peintre maudit, se rendit célèbre avec ses nus longilignes desquels émanent sensualité et tristesse. Ils firent d’abord scandale pour atteindre ensuite des cotes très élevées sur le marché de l’art.
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Diego Rivera. Danseuse au repos (1939). Huile sur toile, 95 × 166 cm, Museo Dolores Olmedo Patino, Mexico. Diego Rivera (1886-1957), peintre mexicain de vastes fresques internationalement célèbres, a aussi réalisé des nus réalistes à la forte sensualité.
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Lucian Freud. Bénéfices du sommeil (1995). Huile sur toile, 151,3 × 219 cm, collection particulière. Lucian Freud (1922-2011) est un peintre anglais et le petit-fils de Sigmund Freud (1856-1939), le fondateur de la psychanalyse. Sa peinture doit beaucoup au surréalisme et propose une vision angoissante de la condition humaine. Il n'hésite pas à peindre la déchéance physique.
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Hubert de Lartigue. Facettes (2005). Acrylique sur toile, 120 × 60 cm, collection particulière. Hubert de Lartigue (né en 1963) appartient au courant hyperréaliste. Cette peinture, qui peut sembler proche de la photographie, permet à l’artiste une subjectivation subtile des poses, de l’éclairage, des mimiques et des corps. Hubert de Lartigue excelle dans les nus et les portraits à l'acrylique. |
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(*) Marie-Louise a quinze ans lorsqu’elle rencontre le roi. Avant la Révolution, l’âge du mariage était fixé à douze ans pour les filles. Il n’y avait rien d’anormal dans la relation d’une jeune-fille de quinze ans et d’un homme beaucoup plus âgé. Le mot pédophile ne peut absolument pas être employé. Il renvoie en principe à une attirance sexuelle pathologique pour les enfants. Mais le sens du mot a complètement dérivé récemment, pour des raisons complexes, et a tendance à s’appliquer à de jeunes adolescents, qui ne sont pas physiologiquement des enfants. Il ne faut surtout pas juger le 18e siècle avec le regard du 21e.
Commentaires
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- 1. georges Le 24/02/2024
Hubert de Lartigues, un grand artiste de Nu, c'est une belle jeune femme dont la position et le regard est peut -être une invitation à l'amour charnel d'un homme, "viens, j'ai envie d'un homme". -
- 2. Dang Nguyen Le 02/04/2020
Je faisais allusion à l'exposé sur le nu. Dans cas, les félicitations sont encore plus méritées! -
- 3. Dang Nguyen Le 01/04/2020
Fascinante histoire et remarquable exposé, d'une tres grande clarté. C'est tres instructif. Quelles sont vos sources, Kenneth Clark? Quelque chose de plus recent?
En tout cas bravo, on apprend toujours a la lecture de votre blog et c'est ce qui le rend si intéressant-
- rivagedebohemeLe 02/04/2020
Merci pour ces compliments, toujours agréables à lire.
Le livre de référence sur Marie-Louise O'Murphy est celui de Camille Pascal : Le goût du roi : Louis XV et Marie-Louise O'Murphy (Perrin). En ce qui concerne le petit historique sur le nu féminin, je n'ai eu recours qu'à ma petite culture, en incorporant des éléments déjà présents par ailleurs sur le site. Malgré tout, au fil des ans, on parvient à émerger un peu des ténèbres de l'ignorance.
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