Francesco Zuccarelli. L'enlèvement d'Europe (1740-50)
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Patrick AULNAS
Francesco Zuccarelli (1702-1788), l’un de plus grands paysagistes du 18e siècle, poursuit la grande tradition du paysage arcadien. L’enlèvement d’Europe est considéré comme l’un de ses chefs-d’œuvre.
Francesco Zuccarelli. L'enlèvement d'Europe (1740-50)
Huile sur toile, 142 × 208 cm, Galerie de l’Académie, Venise.
Image HD sur WIKIMEDIA COMMONS
Contexte historique
L’œuvre de Francesco Zuccarelli se situe dans la lignée du paysage arcadien qui avait pris naissance dès le 16e siècle avec des artistes comme Giorgione ou Titien. Au 17e siècle, le genre sera formalisé et porté à son acmé par les artistes du classicisme français, en particulier ceux ayant vécu à Rome, Claude Lorrain et Nicolas Poussin. Zucccarelli nous offre donc une nature idéalisée et très accueillante comportant des personnages en parfaite harmonie avec le milieu naturel. Il adapte au goût du 18e siècle le paysage classique de Claude Lorrain avec le souci constant du détail et l'art de la couleur propre aux vénitiens.
Le mythe de l’enlèvement d’Europe
Le thème de l’enlèvement d’Europe est issu de la mythologie grecque. Le poète Ovide (43 av. JC-18 ap. JC) a décrit cet épisode dans son recueil de poèmes Métamorphoses.
Europe est la fille du roi de Tyr, ville de Phénicie (actuel Liban). Zeus, métamorphosé en taureau, la rencontre sur une plage de Sidon. Europe s'approche de lui et est alors emmenée sur l'île de Crète. Sous un platane, elle s’accouple à Zeus (redevenu humain pour la circonstance…). Des enfants naissent et les péripéties divines se poursuivent. De nombreux peintres (Lorrain, Rubens, Rembrandt par exemple) ont représenté cette scène mythologique car elle comporte un narratif animé et riche en éléments visuels (la princesse, le taureau, le dieu).
Bien que certains l’aient tenté au fil des siècles, il n’y a pas lieu de donner aujourd’hui une signification précise à ce mythe antique. Il s’agit, comme toutes ces anciennes légendes, de récits correspondant à des sociétés très éloignées des nôtres et imprégnées de religiosité naïve. Le continent baptisé Europe n’a pas de rapport précis avec le mythe antique. Des poètes en ont cependant établi un. La liberté des créateurs n’a pas de limites.
Analyse de l’œuvre
Francesco Zuccarelli est d’abord un peintre de paysages. Il s’agit donc pour lui de créer un paysage arcadien en l’animant avec une scène mythologique bien connue. La composition classique place la scène de l’enlèvement au centre et l’encadre verticalement par deux massifs végétaux. Trois plans horizontaux peuvent être distingués : au premier plan, la scène mythologique ; au second, un paysage éloigné avec un troupeau, son gardien et quelques constructions ; enfin, le ciel nuageux constitue l’arrière-plan.
Le travail sur la lumière est complexe. Les leçons de Claude Lorrain conduisent Zuccarelli à choisir un contrejour, une lumière douce provenant de l’arrière-plan. Mais le peintre veut aussi mettre en valeur la scène mythologique. Il l’éclaire donc avec une lumière provenant verticalement du ciel. Le peintre dispose d’une grande latitude et de toute la licence artistique nécessaire pour construire son paysage idéal et il ne respecte pas nécessairement les contraintes physiques concernant la lumière solaire.
La scène de l’enlèvement d’Europe est traitée avec toute l’émotion attendue, mais sans dramatisation excessive comme pouvaient le faire les peintres baroques. L’omniprésence des putti (on en dénombre sept) a pour fonction d’introduire une dimension chrétienne dans une scène mythologique antique et d’évoquer l’amour, celui de Zeus pour Europe. L’un des putti, dans l’arbre de droite, tient d’ailleurs dans ses mains un arc et une flèche, attributs habituels de Cupidon ou Eros.
Francesco Zuccarelli. L'enlèvement d'Europe, détail
Ce sont aussi les putti qui conduisent le taureau emmenant la princesse vers son destin. Elle semble étonnée mais pas du tout effrayée. Sans doute a-t-elle le goût de l’aventure :
Francesco Zuccarelli. L'enlèvement d'Europe, détail
Les suivantes ou les compagnes restées sur la rive se lamentent et clament leur impuissance devant la volonté divine :
Francesco Zuccarelli. L'enlèvement d'Europe, détail
Les animaux eux-mêmes sont perturbés par l’évènement :
Francesco Zuccarelli. L'enlèvement d'Europe, détail
Ce chef-d’œuvre de Zuccarelli conjugue ainsi le paysage arcadien et une interprétation légère d’une scène mythologique qui peut être mise en parallèle avec la composition de François Boucher sur le même thème à la même époque :
François Boucher. L’enlèvement d’Europe (1747)
Huile sur toile, 160 × 193 cm, musée du Louvre, Paris.
La scène est traitée chez Boucher avec la légèreté propre au style rococo. Europe, rêveuse, semble conduire elle-même le taureau. Pas de drame, pas d’enlèvement, juste ce qu’il faut d’étonnement. Boucher s’adresse aux amateurs de peinture au second degré : voici, leur dit-il, mon Europe rococo, ravie de son enlèvement. Cet exercice de style extrêmement brillant est donc un clin d’œil aux contemporains, qui connaissaient l’épisode mythologique et certaines de ses déclinaisons picturales plus anciennes.
Autres compositions sur le même thème
Le thème de l’enlèvement d’Europe a séduit les peintres pendant des siècles et ceci jusqu’au 20e siècle avec des dérives stylistiques qui seront ici passées sous silence. Le baroque et le rococo se sont particulièrement intéressés au sujet, sans doute parce qu’il comporte mouvement, voire même violence, et se prête ainsi à une accentuation de la dramatisation.
Rembrandt. L’enlèvement d'Europe (1632). Huile sur bois, 64 × 79 cm, J.P. Getty Museum, Los Angeles. L’influence baroque apparaît dans le contraste ombre-lumière très appuyé qui permet de souligner visuellement l’effet dramatique. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE |
Guido Reni. L’enlèvement d’Europe (1637-39). Huile sur toile, 177 × 129 cm, National Gallery, Londres. Précurseur du classicisme du 17e siècle, Guido Reni (1575-1642) éclaircit beaucoup sa palette à la fin de sa carrière. Les couleurs pâles et la luminosité étaient appréciées, de même que les poses sculpturales et le regard extatique de cette Europe tenant son dieu-taureau par l’encolure. |
Giambattista Tiepolo. L’enlèvement d’Europe (v. 1725). Huile sur toile, 160 × 193 cm, Galerie de l’Académie, Venise. Le peintre a choisi pour modèle d’Europe sa propre épouse Maria Cecilia Guardi. |
Francisco de Goya. L’enlèvement d’Europe (1772). Huile sur toile, 47 × 68 cm, collection particulière. Le jeune Goya (1746-1828) reste marqué par le baroque, avec une scénographie dramatique, un taureau noir et une approche onirique liée à un style libre et axé sur l’évocation et non sur la représentation. |
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