Étienne Jeaurat. Les Écosseuses de pois de la Halle (1759-65)

 
 
 

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Patrick AULNAS

Étienne Jeaurat (1699-1789) apparaît comme un cas particulier dans la peinture française du 18e siècle. Bien que spécialiste des scènes de genre, il devint académicien, professeur et même Garde des Tableaux du roi. Ses peintures se vendaient très bien. Il nous a légué un riche panorama des mœurs de son époque.

 

Étienne Jeaurat. Les Écosseuses de pois de la Halle (1759-65)

Étienne Jeaurat. Les Écosseuses de pois de la Halle (1759-65)
Huile sur toile, 120 × 145 cm, musée Carnavalet, Paris.

 

Contexte historique

La convention de légèreté du style rococo est à son apogée au milieu du 18e siècle. Les scènes mythologiques et religieuses restent au sommet de la hiérarchie des genres. Le portrait féminin vaporeux et très idéalisé est particulièrement prisé de l’aristocratie. Pourtant, Jeaurat s’inspire de la vie quotidienne de ses contemporains pour peindre des scènes de genre qui rencontrent le succès. Au Salon de 1763, la marquise de Pompadour elle-même, sans doute lasse des ressassements antiques, s’intéressa davantage à une œuvre de Jeaurat qu’aux Grâces enchaînées de Van Loo, comme l’indiquait un biographe en 1862 :

« Nous puisons dans L’Art et les femmes en France par M. A. de la Figelière, l’anecdote suivante : au salon de 1763 Mme de Pompadour désola Van Loo. Il l’escortait et s’empressait de lui expliquer les tableaux ; quand ils arrivèrent devant Les Grâces enchaînées par l’amour, La marquise passa sans les remarquer. Quelqu’un lui dit : " Quoi, Madame, ne faites-vous donc pas attention aux Grâces enchaînées par l’amour de M. Van Loo ? – Ça, des Grâces ? fit-elle dédaigneusement ; ça, des Grâces ! " et elle pirouetta sur ses talons pour aller admirer une seconde fois Les Citrons de Javotte. » (Le peintre Étienne Jeaurat, essai historique et biographique, par Sylvain PUYCHEVRIER, 1862)

Jeaurat savait en effet trouver l’anecdote caractéristique des travers de l’époque ou la scène urbaine connue de tous mais traitée avec l’acuité du regard de l’artiste.

 

Analyse de l’œuvre

La dimension du tableau n’est pas courante à l’époque pour une scène de genre. Une peinture de presque un mètre cinquante de largeur était plutôt réservée aux scènes mythologiques ou religieuses. Jeaurat veut donc représenter une vaste scène de la vie quotidienne, que chacun connaît : un marché en plein air. Il choisit la place des Halles à Paris. La composition s’articule en trois plans horizontaux : au premier plan la scène de marché proprement dite, au second plan le pilori et la fontaine, en arrière-plan des maisons encadrant l’ensemble, en pierre (à gauche), à colombage (à droite).

Le pilori (haute construction à toiture pointue, au centre) permet de situer le lieu avec exactitude. Il se trouvait à l’angle de la rue Rambuteau et de la rue Pirouette (aujourd’hui rue Mondétour).

 

Emplacement du pilori de la rue Rambuteau

Emplacement du pilori de la rue Rambuteau

 

Une autre peinture de la fin du 18e siècle représente ce pilori :

 

Philibert-Louis Debucourt. Les Halles (1782)

Philibert-Louis Debucourt. Les Halles (1782)
Huile sur toile, 90 × 117 cm, musée Carnavalet, Paris.

(Réjouissances données par la Ville de Paris aux Halles, le 21 janvier 1782, à l’occasion de la naissance du dauphin.)

 

Ce pilori, construit sous le règne de Saint-Louis (1214-1270), servait à exposer des condamnés, attachés aux fenêtres de façon à permettre aux passants de les invectiver et de leur jeter des ordures. Le bourreau logeait au rez-de-chaussée. L’édifice placé à droite du pilori, surmonté d’une fleur de lys, est une fontaine.

La scène elle-même offre un petit panorama des activités et des comportements sur un marché. L’écosseuse de pois est bien présente, en pleine discussion avec un homme et trois femmes :

 

Étienne Jeaurat. Les Écosseuses de pois, détail

Étienne Jeaurat. Les Écosseuses de pois, détail

 

Le marché est aussi une occasion de se distraire. Un violoniste et un danseur semble intéresser particulièrement le public féminin :

 

Étienne Jeaurat. Les Écosseuses de pois, détail

Étienne Jeaurat. Les Écosseuses de pois, détail

 

L’abus d’alcool peut conduire au sommeil :

 

Étienne Jeaurat. Les Écosseuses de pois, détail

Étienne Jeaurat. Les Écosseuses de pois, détail

 

Par la gestuelle et l’expressivité des visages, Jeaurat parvient à transmettre l’animation et même le caractère bruyant d’un marché. Cette image de la rue parisienne sous le règne de Louis XV (1710-1774) mêle commerce et divertissement en idéalisant une réalité plus contrastée. La misère omniprésente n’apparaît pas. Les mendiants et les miséreux en haillons n’existent pas. La rue parisienne apparaît ainsi comme un lieu d’échange, de discussion, de spectacle, où chacun semble trouver son bonheur.

Ce tableau d’Étienne Jeaurat a été gravé sur cuivre par Jacques Aliamet et tiré sur papier avec, en prime, quelques vers brocardant les personnages représentés.

 

Jacques Aliamet. La place des Halles (1772)

Jacques Aliamet. La place des Halles (1772)
Estampe sur papier, 35 × 42 cm, d’après Les Écosseuses de pois de la Halle (1759-65) d’Étienne Jeaurat,
Bibliothèque nationale de France.

(Las de la bonne compagnie,
Aux Halles, ces jeunes farauds,
Par une bizarre manie,
Viennent faire assaut de gros mots.
Ces mignons d'humeur si gausseuse
Comptent en vain sur leur caquet.
Gare que Margot l'Ecosseuse
Ne donne à chacun son paquet.)

 

Quelques scènes de genre au 18e siècle

Demeurant un genre mineur au 18e siècle, la scène de genre a cependant ses spécialistes, considérés parfois comme des artistes de premier plan par les historiens de l’art.

 

Chardin. La Blanchisseuse (1735)

Jean-Siméon Chardin. La Blanchisseuse (1735). Huile sur toile, 38 × 43 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. On connaissait déjà chez Vermeer cette attitude d'un personnage dont le regard est attiré par un évènement hors champ. Le spectateur peut ainsi imaginer ce que bon lui semble.

William Hogarth. Quatre moments de la journée. Le matin (1736-38)

William Hogarth. Quatre moments de la journée. Le matin (1736-38). Huile sur toile, 74 × 61 cm, National trust Bearsted Collection, Upton House, Warwickshire.
Four Times of the Day (Quatre moments de la journée) est une série de quatre tableaux  représentant des scènes humoristiques des rues de Londres. Comme les autres séries de Hogarth, celle-ci a été reproduite en gravures afin d’augmenter la diffusion.
La scène ci-dessus, la première, se situe sur le côté ouest de la place de Covent Garden. Tôt le matin des fêtards terminent leur soirée en sortant d’un café avec des prostituées. Une dame se rendant à l’église semble choquée par la scène et manipule son éventail. En arrière-plan, des marchands déposent leurs fruits et légumes pour le marché du jour.

Greuze. L’accordée de village (1761)

Jean-Baptiste Greuze. L’accordée de village (1761). Huile sur toile, 92 × 117 cm, musée du Louvre, Paris. Premier grand succès de Greuze, cette composition théâtrale privilégie les émotions affichées sur les visages et les comportements individuels lors d'un évènement familial important : un père accorde sa fille en mariage. Diderot a minutieusement analysé chaque personne représentée.

Joseph Wright of Derby. La forge (1772)

Joseph Wright of Derby. La forge (1772). Huile sur toile, 121 × 132 cm, Tate Britain, Londres. « Wright était un portraitiste et un peintre de scènes de genre qui a passé la majeure partie de sa vie dans sa ville natale de Derby. À partir du milieu des années 1760, il commence à peindre des scènes scientifiques et industrielles, dont La forge est l’une des plus frappantes.
Parmi ses explorations des nouvelles technologies, de nombreuses ont été peintes comme des scènes nocturnes avec de forts contrastes ombre-lumière. La forge est l’une des cinq scènes nocturnes que Wright a réalisées entre 1771 et 1773, prenant pour sujet les forges du Derbyshire. Dans cette scène d’une petite forge au travail, un fondeur et sa famille sont baignés dans la lumière chaude projetée par une barre de fer nouvellement forgée, chauffée à blanc, extraite du four voisin par un ouvrier. Wright a adapté l’échelle afin de produire un effet dramatique, comprimant la scène pour accueillir le matériel et les figures. En réalité, la chaleur et les étincelles auraient rendu cette proximité impossible. » (Commentaire Tate).

Jean-Honoré Fragonard et Marguerite Gérard. Les premiers pas (1780-85)

Jean-Honoré Fragonard et Marguerite Gérard. Les premiers pas (1780-85)
Huile sur toile, 44 × 55 cm, Harvard Art Museums, Cambridge, USA.

 

Jean-Honoré Fragonard et Marguerite Gérard. L’enfant chéri (1780-85)

Jean-Honoré Fragonard et Marguerite Gérard. L’enfant chéri (1780-85)
Huile sur toile, 44 × 55 cm, Harvard Art Museums, Cambridge, USA.

« Les premiers pas et L’enfant chéri datent d’une période d’étroite collaboration entre Fragonard et Marguerite Gérard, son élève et belle-sœur. L’étanchéité du feuillage et des figures, ainsi que la structure compositionnelle suggèrent la formation académique de Fragonard, qui est encore plus évidente dans son dessin pour Les premiers pas, également dans les collections de Harvard Art Museums. Cependant, le rendu somptueux des tissus et la touche délicate sur le visage maternel révèlent la main de son élève, qui est devenue une artiste indépendante en 1790. Les deux tableaux célèbrent les joies de la maternité, un thème exploré dans les écrits de Jean-Jacques Rousseau. » (Commentaire Harvard Art Museums)

Images miniatures et références

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