Edward Hopper. Summertime (1943)
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Patrick AULNAS
Edward Hopper (1882-1967) est mondialement connu pour ses tableaux évoquant la solitude urbaine, la nostalgie, la mélancolie de l'homme des grandes cités de l’Occident du 20e siècle. Son style très personnel se caractérise par des formes géométriques aux contours parfaitement délimités et des grands aplats de couleurs. Il traite admirablement les effets d'ombre et de lumière pour imprimer à ses compositions une dimension quasi-cinématographique. Au fil du temps, ses tableaux deviendront de plus en plus épurés, tout en conservant une intensité dramatique forte mais contenue. L'œuvre de ce grand artiste restera sans doute un témoignage majeur des incertitudes de la classe moyenne américaine au cours du 20e siècle.
Edward Hopper. Summertime (1943)
Huile sur toile, 74 × 112 cm, Delaware Art Museum, Wilmington
Image HD sur EDWARDHOPPER.NET
Un couple fusionnel et conflictuel
Hopper a souvent représenté une femme solitaire dans une architecture épurée et froide. Il n’a eu qu’un seul modèle, qui fut aussi sa muse : Josephine Nivison, Jo, épousée en 1924. Elle a 41 ans et lui 42. A cette date, il n’a pas encore connu le succès. Au début du siècle il a voyagé en France et apprécié les impressionnistes, dont il s’inspire d’abord. Il parvient à vendre quelques tableaux mais doit travailler comme illustrateur pour vivre. Jo est également peintre et dessinatrice et, avant son mariage, vend régulièrement des dessins au New York Tribune, à l’Evening Post et au Chicago Herald Examiner.
C’est aussi en 1924 que l’exposition Hopper au Brooklyn Museum of Arts de New York est encensée par la critique. La carrière commerciale du peintre débute et le succès ne se démentira plus.
A partir de 1924, et jusqu’à leur mort en 1967 et 1968, les deux époux vont connaître une existence presque érémitique dans l’appartement de New York qu’ils ne quitteront plus. Jo s’efface professionnellement devant son mari et devient son inspiratrice, sa commentatrice, son modèle, sa conseillère. Elle explicite elle-même sa démarche en écrivant : « S’il ne peut y avoir de place que pour l’un d’entre nous, ce ne peut être que lui. » (1) Mais les deux époux sont profondément différents : Edward est introverti et timide, Jo est communicative. Elle en souffre et écrit : « Parfois, parler avec lui était comme jeter un caillou dans un puits, à cette différence près qu’on ne l’entendait pas heurter le fond. » (2) Malgré les conflits, la collaboration professionnelle étroite durera des décennies. Jo ne survivra que dix mois à son mari.
Analyse de Summertime d’Edward Hopper
Une femme solitaire sur un arrière-plan de bâtiment massif et austère peut susciter toutes sortes d’interprétations. Tapez « Summertime de Hopper » sur un moteur de recherche et vous obtiendrez un échantillon des ressentis face à ce tableau. Et il est vrai que chacun peut construire son propre récit à partir de cette image : elle est propice à des narrations variées et subjectives. Cette caractéristique rapproche les œuvres de Hopper de la scène de genre des siècles passés, celles de Vermeer par exemple, qui pouvaient aussi faire rêver l’observateur. Elle les distingue des scènes mythologiques ou religieuses du passé dont l’interprétation ne peut dévier du récit religieux connu de tous. Hopper est ainsi le grand spécialiste de la scène de genre occidentale placée dans un paysage urbain.
Edward Hopper. Summertime, détail
Sa thématique est simple : la solitude des hommes et des lieux, l’incommunicabilité. On ne sait s’il s’agit d’hommes perdus dans des espaces urbains sans âme ou de paysages encadrant des individus esseulés. Hopper peint une humanité statique, non conviviale, en attente mais sans grand espoir. Une humanité résignée en quelque sorte. Il a saisi comme personne la contrepartie du développement économique qui constitue la grande caractéristique des sociétés occidentales du 20e siècle. Ses personnages ne sont pas des miséreux mais des femmes et des hommes de la classe moyenne, bien insérés socialement, ayant une profession et un niveau de vie satisfaisant. Mais, nous dit-il, l’essentiel n’est pas là. Ils ne sont pas heureux. La rationalité contemporaine, la rigueur organisationnelle subie aurait-elle pour contrepartie une certaine forme de déréliction ? Pas de fêtes, pas de jeux, pas de rires chez Hopper mais une attente paisible et sans véritable espérance dans un cadre urbain sécurisant mais absolument pas attachant.
Qu’attend cette femme sortant d’un immeuble dans une robe que la lumière du soleil d’été rend transparente ? Chacun peut imaginer librement ce qu’elle a fait dans ce bâtiment, les personnes qu’elle a rencontrées, de même que les raisons de son attente sur la première marche de l’escalier. Le modèle est, comme toujours, Jo, l’épouse de Hopper. La féminité, mise en évidence par la lumière et le port altier, contraste avec l’architecture rigide et austère. Elle est belle, élégante, et son personnage introduit la vie dans un univers ensoleillé et glacé, mais une vie suspendue car aucune action n’est présente ni même envisagée.
Josephine Nivison, avait l’habitude de décrire les tableaux de son mari avec la plus totale objectivité. Voici ce qu’elle écrit de Summertime :
« Summer Time :
Achevé le 8 mai 1943, en atelier, à New York. Vive lumière du soleil se projetant sur la pierre gris clair. Rideaux blancs à la fenêtre. Grande femme bien plantée, vêtue d’une robe blanche légère, transparente au niveau de la cuisse droite. Bas couleur chair, souliers noirs. Chapeau jaune paille avec bande noire. Elément métallique jaune verdâtre à la base de la porte, à droite. Encadrement de la porte couleur acajou, à droite. Autrement, absence complète de couleur en tant que telle. Blanc de plomb W. & N. Couleurs Blockx et W. & N., huile de lin et térébenthine. Toile - lin irlandais, apprêt fait aux Etats-Unis. » (2)
Quant à la technique picturale de Hopper, le critique et historien de l’art Hector Obalk la juge sommaire. Mais la capacité du peintre de choisir les couleurs pour restituer la lumière le sauve.
« Oui, il fallait à Edward Hopper un soleil sans nuage pour transcender sa très sommaire technique picturale. Quand le pinceau travaille sans modelé, sans transparence, sans glacis, tout son art repose alors sur le choix des couleurs préparées sur la palette, ou directement sorties du tube. Or, Hopper sait les juxtaposer comme personne pour rendre la violente lumière qui frappe de biais le cadre des fenêtres et le flanc des maisons. C’est parce qu’elles jouxtent les teintes franchement bleutées des surfaces d’ombres, que les surfaces jaunasses de la pierre ou des stores n’ont soudain plus rien de laborieux. Car ce n’est plus le rendu de la matière qui compte désormais, mais l’incroyable présence des fiers bâtiments que la lumière a frappés à telle heure de la journée – bâtiments plus fiers encore que cette Veronika Lake aux cheveux roux et à la robe transparente. » (3)
Autres compositions d’Edward Hopper sur le thème du soleil
Edward Hopper. Soleil au premier étage (1945). Huile sur toile, 127 × 101,6 cm, collection particulière. La mode occidentale des séjours au soleil ne pouvait manquer d'intéresser la peinture réaliste. Hopper traite le sujet avec le regard désabusé et légèrement ironique qui lui est habituel. On retrouve la maison isolée dans la campagne avec deux personnages solitaires qui semblent s'étonner d'être là à ne savoir que faire. La société des loisirs n'est pas une société du bonheur.
Edward Hopper. Chambres au bord de la mer (1951). Huile sur toile, 74 × 101 cm, Yale University Art gallery, New Haven, Connecticut. Un petit coin de mer, un rayon de soleil et des pièces vides. La solitude du lieu.
Edward Hopper. Femme au soleil (1961). Huile sur toile, 102 × 155 cm, Whitney Museum of American Art, New York. Que fait cette femme, qui n’est plus jeune, debout dans un rayon de soleil ? Au-delà de la fenêtre apparaît un paysage de collines. Solitude d’une femme dans un lieu isolé.
Edward Hopper. Soleil dans une pièce vide (1963). Huile sur toile, 73 × 100 cm, collection particulière. Les dernières œuvres de Hopper sont de plus en plus dépouillées. Il s’oriente vers l’abstraction. Il ne reste ici que la lumière et un petit élément de paysage extérieur.
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(1) « If there can be room for only one of us, it must undoubtedly be he. », cité par The Guardian
(2) Cité par Dominique Vergnon
(3) Hector Obalk, Aimer voir, éditions Hazan, 2011, p. 127
Commentaires
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- 1. gillou Le 15/01/2019
alors pour commencer c'est un magnifique tableau plein de poésie.
Je vous propose quelque chose....
Inspirez vous de ce tableau pour imaginer une suite, une rencontre entre 2 personnages.
La jeune femme est un de ses 2 personnage.
Bonne chance à tous!!!
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