Diptyque de la Vierge à l’Enfant et de la Crucifixion (1280)
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Patrick AULNAS
Ce diptyque a probablement été créé par un artiste inconnu dans le Royaume de Jérusalem. Il est intéressant de l’analyser en relation avec l’art byzantin de l’époque et la pré-Renaissance italienne.
Inconnu. Diptyque de la Vierge à l’Enfant et de la Crucifixion (1275-80)
Tempera sur bois, 38 × 59 cm, Art Institute of Chicago.
Image HD sur ART INSTITUTE OF CHICAGO & GOOGLE ARTS & CULTURE
Contexte historique
Le royaume de Jérusalem naît en 1099, date de la prise de Jérusalem à l’issue de la première croisade. Cette croisade a été organisée pour s’opposer à la décision des Turcs seldjoukides d’interdire le libre passage vers Jérusalem, accordé en 717 par le pacte d'Umar aux pèlerins venus d'Occident. Ce royaume aura une histoire mouvementée. A la date présumée de réalisation du diptyque (1280), Jérusalem a été perdue par les chrétiens et la capitale du royaume se trouve à Saint-Jean d’Acre, aujourd’hui Acco, au nord d’Israël.
L’Empire byzantin, quant à lui, constitue le prolongement historique de l’Empire romain d’Orient, apparu entre le 3e et le 4e siècle, période de déclin de l’Empire romain. La superficie de cet empire s’est beaucoup réduite à partir de l’émergence de l’Islam au 7e siècle. A la fin du 13e siècle, l’Empire byzantin encadre la mer Égée (Turquie et Grèce actuelles), mais a perdu tous les territoires formant Israël et la Palestine actuels.
L’Empire byzantin au 13e siècle
L’influence de l’art de Byzance sur la production artistique du Royaume de Jérusalem apparaît cependant clairement. Le Diptyque de la Vierge à l’Enfant et de la Crucifixion, chef-d’œuvre de la fin du 13e siècle, en est un exemple particulièrement significatif.
Analyse de l’œuvre
Ce diptyque était destiné à des actes de dévotion privée. Il ornait peut-être un oratoire, par exemple une chapelle. Il pouvait aussi, vu sa petite taille, être emporté par son propriétaire au cours de ses déplacements. Sans en avoir la certitude, les historiens situent sa réalisation dans le royaume de Jérusalem, sans doute à Saint-Jean d’Acre, qui en était la capitale.
Volet gauche
Les caractéristiques stylistiques du diptyque étant proches de l’art italien de cette époque, il est probable qu’un artiste italien ayant suivi les croisés en est l’auteur. La comparaison de la figure de la Vierge avec, d’une part l’art italien le plus novateur de la fin du 13e siècle, d’autre part la production purement byzantine, révèle la double influence. La Vierge à l’Enfant de Cimabue (musée du Louvre) et la Vierge à l’Enfant en majesté (National Gallery of Art) permettent d’appréhender cette dualité stylistique.
Cimabue. La Vierge et l'Enfant en majesté entourés d'anges, détail, musée du Louvre (v. 1280)
Détail de la Maestà du musée du Louvre. Tempera sur bois, 427 × 280 cm.
Inconnu. Vierge à l’Enfant en majesté (v. 1250-75)
Tempera sur bois, 125 × 71 cm, National Gallery of Art, Washington.
La chevelure de la Vierge est toujours dissimulée sous une coiffe. Seuls le visage et le cou sont visibles. La Vierge est vêtue d’une robe très ample apparentée au scapulaire des moines ou au maforii, la coiffe faisant partie du vêtement. Les plis du vêtement, simplement représentés par des stries dorées dans la tradition byzantine, sont beaucoup plus travaillés chez Cimabue afin de faire apparaître un élément de tridimensionnalité. Le diptyque de Jérusalem apparaît intermédiaire.
Inconnu. Diptyque de la Vierge à l’Enfant et de la Crucifixion, détail
Le hiératisme de la Vierge est plus prononcé sur le diptyque avec une Vierge posant face à l’observateur. La Vierge à l’Enfant byzantine et celle de Cimabue ont une posture quasiment identique, l’Enfant étant porté sur le bras ou le genou gauche de la Vierge et celle-ci posant sa main sur le genou de son fils. La Vierge du diptyque est ainsi moins humanisée que les deux autres, ce que confirme son regard fixe et impersonnel.
Inconnu. Vierge à l’Enfant en majesté, détail
Le fond or et l’auréole de la Vierge, communs aux trois œuvres, sont cependant plus élaborés sur le diptyque. Cimabue se concentre sur l’expressivité du visage et de la gestuelle alors que l’auteur du diptyque s’intéresse à l’aspect décoratif avec un encadrement de volutes dorées enchevêtrées.
Inconnu. Diptyque de la Vierge à l’Enfant et de la Crucifixion, détail
Volet droit
En Italie, le thème de la crucifixion abandonne le formalisme byzantin à partir de la fin du 13e siècle avec une animation de la scène comportant de nombreux personnages, une forte expressivité gestuelle et une libération de la couleur. Cette crucifixion de Giotto du début du 14e siècle en offre un exemple :
Giotto. La crucifixion du Christ (1315-20)
Tempera sur bois, 60 × 36 cm, Gemäldegalerie, Berlin.
Sur le diptyque, au contraire, la composition de la Crucifixion reste très proche des canons de l’art byzantin avec les deux figures de la Vierge et Marie Madeleine au pied de la croix.
Inconnu. Icône de la crucifixion (14e siècle)
Tempera sur bois, Musée Byzantin et Chrétien, Athènes.
Pour représenter le corps du Christ, le peintre du diptyque s’est limité à la convention de figuration de la musculature sous forme de stries. Il n’a pas cherché le réalisme, qui aurait nécessité sans doute une capacité technique qu’il ne possédait pas. Les émotions ne sont pas absentes comme le montrent les deux femmes accablées par le supplice. Mais cette émotivité doit rester contenue, alors qu’elle devient plus démonstrative dans la peinture italienne.
Inconnu. Diptyque de la Vierge à l’Enfant et de la Crucifixion, détail
Par sa sobriété chromatique, le diptyque ne s’éloigne pas de l’art de Byzance. Seuls le rouge et le rose parsemés de stries dorées ou blanches viennent contraster avec le fond or et les vêtements sombres. Mais l’éclat de l’ensemble de la composition résultant du fond or devait apparaître aux hommes très pieux de 13e siècle comme un signe adressé par Dieu.
Evolution du thème sur le long terme historique
Voici quelques exemples qui permettront d’apprécier l’évolution du thème de la Vierge à l’Enfant du 12e au 17e siècle.
Inconnu. Vierge en Majesté. (v. 1123). Fresque transférée sur toile, Musée national d'art de Catalogne, Barcelone. Cette Vierge d'inspiration byzantine (appelée Nikopoia en Grec, soit porteuse de la victoire), parfaitement symétrique, ornait l'église Sant Climent de Taüll en Catalogne. Il s'agit, comme on le voit, d'une Vierge hiératique, presque guerrière. Le Christ n'est pas l'enfant d'une femme mais le symbole de la puissance. |
Inconnu. Notre-Dame de Vladimir (début 12e siècle). Tempera sur bois, 104 × 69 cm, galerie Tretiakov, Moscou. Notre-Dame de Vladimir est une icône, c’est-à-dire une image représentant une figure religieuse et faisant l’objet d’une vénération dans la tradition chrétienne orthodoxe. Cette icône proposant une image très maternelle de la Vierge fut peinte par un artiste inconnu dans le premier tiers du 12e siècle. |
Filippo Lippi. Vierge à l'enfant et deux anges (1465). Tempera sur bois, 95 × 62 cm, Galerie des Offices, Florence. Voici le plus célèbre tableau de Lippi et le plus populaire. Cette œuvre magistrale influencera Botticelli et bien d'autres peintres et elle annonce Léonard de Vinci. Le paysage à l'arrière-plan est un tableau dans le tableau qui permet un effet de profondeur. La lumière délicate, le voile transparent de la Vierge et les deux anges portant l'Enfant Jésus animent l'image sans la priver de sa douce quiétude. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE |
Raphaël. Madone à la prairie (1506). Huile sur bois, 113 × 88 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne. Aussi appelé Madone du Belvédère, ce tableau représente la Vierge, l'Enfant Jésus et saint Jean-Baptiste enfant à gauche. La composition pyramidale des personnages s'inspire de Léonard de Vinci, de même que le paysage à l'arrière-plan qui devient indistinct et monocolore dans les lointains. L'artiste a réalisé plusieurs œuvres de ce type, très semblables, à cette époque. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE |
Laurent de la Hyre. Vierge à l’Enfant (1642). Huile sur toile, 114 × 92 cm, musée du Louvre, Paris. Placée dans des ruines antiques, cette Vierge à l’Enfant est parvenue, après plusieurs siècles d’évolution de la peinture, à devenir une simple figure maternelle. Rien ne rappelle la religion, mais tout l’évoque pour les observateurs de l’époque. Le rendu de la pierre, la lumière atténuée, le chromatisme retenu, seulement ponctué par le bleu et le rouge de la tunique de la Vierge signent l’œuvre d’un grand classique en pleine possession de ses moyens. Image HD sur MUSÉE DU LOUVRE |
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