Colart de Laon. Prière dans le jardin (1405-1408)
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Patrick AULNAS
Découvert par hasard à Madrid et acquis en 2012 par le musée du Prado, ce tableau de Colart de Laon fait partie des chefs-d’œuvre de la peinture française.
Colart de Laon. Prière dans le jardin avec le donateur Louis Ier d’Orléans (1405-1408)
Tempera grasse sur bois de chêne, 47 × 33,5 cm, musée du Prado, Madrid.
Image HD sur WIKIMEDIA COMMONS et MUSÉE DU PRADO
Contexte historique
L’œuvre se rattache au gothique international, style apparu dans la seconde moitié du 14e siècle et présentant des caractéristiques communes dans toute l’Europe. Les peintures françaises de cette époque sont rares et la qualité exceptionnelle de cette Prière dans le jardin en fait une œuvre majeure pour l’histoire de l’art.
Colart de Laon. Prière dans le jardin avec cadre (1405-1408)
Ce petit tableau sur bois a été découvert en 2012 chez une vieille dame madrilène d’ascendance française. Restauré par les spécialistes du musée du Prado, il a retrouvé son aspect initial comportant une gamme chromatique typique des chefs-d’œuvre de l’époque. L’abondance du lapis-lazuli, extrêmement coûteux, suppose un commanditaire de haut rang, que les recherches du musée du Prado ont identifié : Louis 1er d’Orléans (1372-1407), frère cadet du roi de France Charles VI (1368-1422).
Analyse de l’œuvre
Colart de Laon. Prière dans le jardin avec le donateur Louis Ier d’Orléans (détail)
Le tableau représente une scène issue du Nouveau Testament. Peu avant son arrestation, le Christ se retire la nuit dans le Jardin des Oliviers ou Jardin de Gethsémani pour prier avec les apôtres Pierre, Jean et Jacques le Mineur. La tradition iconographique représente en général le Christ priant et les apôtres endormis, selon une indication figurant dans l’Évangile selon Luc (22,39-46).
Colart de Laon. Prière dans le jardin avec le donateur Louis Ier d’Orléans (détail)
Colart de Laon est l’un des initiateurs de ce modèle de représentation de cette scène biblique, dans le style naïf et idéalisant propre au gothique international. La perspective est absente, bien que le Christ, placé sur un monticule, figure un arrière-plan par rapport aux trois apôtres du premier plan. Ces derniers sont identifiables par leurs attributs : saint Pierre avec ses clés, saint Jean avec un livre et saint Jacques le Mineur avec une épée. Le donateur (commanditaire) a été placé à gauche, agenouillé, protégé par sainte Agnès et tenant dans ses mains un phylactère avec le psaume Miserere. Les spécialistes du musée du Prado l’ont identifié grâce aux feuilles d’orties dorées apparaissant sur les manches de sa houppelande, emblème de Louis d’Orléans, frère du roi de France (voir en annexe le commentaire du Prado).
Colart de Laon. Prière dans le jardin avec le donateur Louis Ier d’Orléans (détail)
Une restauration a permis de retrouver les splendides couleurs d’origine. L’artiste oppose le ciel d’un bleu profond et la terre ocre aux multiples nuances destinées à représenter le contraste ombre-lumière. Les caractéristiques principales du gothique tardif apparaissent nettement : une certaine candeur se conjuguant avec des détails réalistes. Ainsi, Dieu est placé au centre du soleil et des étoiles dorées parsèment le ciel. Le raffinement des figures, à la gestuelle très étudiée et aux longs doigts effilés, caractérise également au gothique international. Mais les motifs végétaux se veulent proches du réel, qu’il s’agisse du feuillage ou des branches.
Le traitement de cette scène biblique par Colart de Laon est particulièrement novateur si on le compare aux autres réalisations du début du 15e siècle. Lorenzo Monaco, à la même date, reste très schématique (voir ci-dessous, autres compositions). Il faut attendre le milieu du 15e siècle pour retrouver une composition du même type.
Autres compositions sur le même thème aux 15e et 16e siècles
Le thème a suscité l’intérêt des peintres jusqu’au 19e siècle. Mais c’est aux 15e et 16e qu’il constitue un sujet fréquent. La scénographie de Colart de Laon a été reprise par la suite avec une grande puissance chez Mantegna, avec plus de quiétude chez Bellini et Van Orley et avec une volonté d’accentuer les effets de clair-obscur chez Altdorfer.
Lorenzo Monaco. Le Christ au jardin des Oliviers ; Les Saintes Femmes au tombeau (1408). Tempera et or sur bois, 66 × 12,7 cm, musée du Louvre, Paris. « Revers des volets latéraux d'un triptyque dont le panneau central est une Déploration du Christ conservée à la Narodni Galerie de Prague. Les deux panneaux ont été réunis à une date tardive dans un montage factice. » (Base Atlas, Louvre). |
Andrea Mantegna. Agonie dans le jardin des Oliviers (1458-60). Tempera sur bois, 63 × 80 cm, National Gallery, Londres. L’épisode de la prière est également qualifié Agonie, au sens ancien du mot : tourment, angoisse. Mantegna ne se limite pas à un jardin mais crée un paysage profond comportant des détails architecturaux. |
Giovanni Bellini. Prière au jardin des Oliviers (v. 1465). Tempera sur bois, 81 × 127 cm, National Gallery, Londres. Bellini reprend le thème quelques années après Mantegna, en conservant un vaste panorama. Alors que les reliefs anguleux de Mantegna accentuent la dramaturgie, les vallonnements plus doux de Bellini produisent un espace paysager beaucoup plus paisible. |
Albrecht Altdorfer. Le Christ dans le Jardin des Oliviers (1509-18). Huile sur bois, 129 × 94 cm, abbaye de Saint-Florian, Linz. Altdorfer utilise un puissant clair-obscur pour faire apparaître les figures dans la nuit. |
Bernard van Orley. Le Christ au jardin des Oliviers (v. 1519). Huile sur bois, 89 × 66 cm, musée du Louvre, Paris. « A dater assez tôt, vers 1519 dans le style tardo-gothique expressionniste, alors en faveur dans les Pays-Bas. » (Notice musée du Louvre) |
ANNEXE
***
Le musée du Prado place un point d’interrogation après le nom de l’artiste pour insister sur l’incertitude de l’attribution. Voici le commentaire très professionnel du musée, qui justifie l’attribution à Colart de Laon (traduction P. Aulnas).
« A en juger par les quatre trous de charnière aux extrémités latérales du cadre, il devait s'agir à l’origine du panneau central d'un petit triptyque. Peinte à la détrempe à l'huile et réalisée avec des matériaux précieux (chêne de la Baltique et une proportion importante de lapis-lazuli), sa petite taille suggère qu'il aurait pu être utilisé comme objet de dévotion privée. Ses caractéristiques confirment que son auteur n'est pas l'un de ceux ayant réalisé les quelques peintures françaises sur panneaux qui ont été conservées pour la première décennie du XVe siècle, ni même d'une période plus longue, entre 1380 et 1415. Le style ne comporte pas d'influence flamande ou bourguignonne, alors dominantes dans les cours de Paris, Dijon ou Bourges. Cette influence n’est présente ni dans la façon de représenter les personnages (stylisés et élégants, dans le plus pur style parisien), ni dans l'incorporation de détails réalistes comme les oiseaux, les fleurs, etc. La façon de construire l'espace doit également être considérée : augmentation de sa profondeur et remplacement du fond or habituel par un ciel bleu couvert d'étoiles dorées, comme le peignait le Maître de Boucicaut dans ses miniatures. La volonté de créer un espace aussi réaliste que possible dans le style gothique international (le nimbe du Christ est traité en raccourci) nous permet de conclure que, soit en raison de sa formation de miniaturiste, soit en raison de ses propres penchants esthétiques, l’auteur a réussi à maîtriser les progrès dans la représentation de l'espace de certains miniaturistes comme Boucicaut. Il les surpasse même dans l’intérêt accordé à la lumière, évident dans la projection de certaines ombres comme celles réfléchies par les feuilles d'orties. L’artiste dépasse ici l’approche du gothique international, dans lequel l'espace représenté n'est pas le réel, les objets exposés à la lumière ne projetant en conséquence pas d'ombres. La présence des ombres portées doit probablement être considérée comme l’interprétation spécifique au peintre du réalisme du gothique international concernant les détails représentés.
Compte tenu du format allongé et de la présence du donateur et de Sainte Agnès dans la partie inférieure gauche du tableau, le peintre a augmenté la distance entre le Christ et les trois apôtres qui l’accompagnent au Mont des Oliviers et a réduit l'échelle des figures. Ainsi, en gagnant en profondeur, l’aplatissement caractéristique de beaucoup de tableaux de l'époque est évité. Conformément au texte de Luc (22, 39-46), le Christ, en plan lointain, est agenouillé, priant devant Dieu le Père. A côté de lui, sur le rocher, se trouve le calice, métaphore de la coupe de fiel qu'il doit boire jusqu'au bout pour que sa mission rédemptrice puisse s'accomplir. Au premier plan, à droite, apparaissent les trois apôtres endormis avec leurs attributs, dans une position inhabituelle, avec mise en évidence de Saint Jean dirigeant son visage vers le donateur.
La clé d'identification du donateur agenouillé, protégé par sainte Agnès, est fournie par les feuilles d'ortie dorées sur les manches de sa houppelande, l’un des emblèmes de Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI. Les accès de folie de ce dernier en 1392 ont amené son frère à exercer la régence. Cet emblème était aussi celui de ses oncles, le duc de Berry et le duc de Bourgogne Philippe le Hardi (mort en 1404), qui l’ont hérité de leur cousin Jean sans Peur. Si le duc d'Orléans utilisait auparavant d'autres emblèmes comme le loup ou le porc-épic, il commença à partir de 1399 à utiliser les feuilles d'ortie, qui l'emportèrent sur les précédents lorsque ses désaccords avec les ducs de Bourgogne s'accentuèrent (d'abord avec Philippe le Hardi et plus tard avec Jean sans Peur, promoteur de son assassinat le 23 novembre 1407), ainsi que ses ambitions politiques.
Il ressort des inventaires de Louis d’Orléans qu'en 1403 il possédait LXV feuilles d`or en façon d`orties, qu'il a dû utiliser pour orner les manches d'un costume similaire à celui de ce tableau. D'après les chroniques et autres témoignages de l'époque, on sait que le duc était le plus fidèle adepte de la mode, dont l’exemple le plus extrême était l'utilisation de ces plaques d'or sur les manches. Nous ne conservons aucune description ou image fidèle nous permettant de savoir à quoi ressemblait Louis d'Orléans. Trois images survivent dans les manuscrits de l'époque avec Christine de Pizan présentant au duc un de ses livres, L'Épitre d’Othéa. Deux d’entre elles sont des miniatures en couleur (British Library, Hartley 4431 et Bibliothèque Nationale de France, ms. fr. 606) et la troisième une image monochrome (Bibliothèque Nationale de France, ms. fr. 848). Dans les trois cas, il porte une large coiffe couvrant ses cheveux, tandis que dans le panneau du Prado, étant en présence de la divinité, sa tête est découverte et laisse apparaître un front large aux cheveux dégarnis comme son père Charles V et son oncle le duc de Berry, que l'on ne retrouve pas chez les autres, bien qu'ils présentent tous un menton et un nez similaires, deux de leurs traits les plus caractéristiques.
L'identification du donateur à Louis d’Orléans permet d'attribuer par hypothèse cette œuvre au peintre Colart de Laon, né vers 1355 et mort avant le 27 mai 1417, date à laquelle il est cité comme décédé. Documenté entre 1377 et 1411, il fut peintre et valet de chambre de Louis d'Orléans de 1391 jusqu'à son assassinat en 1407, puis occupa le même poste jusqu'en 1411 avec son fils Charles d'Orléans. Ce peintre, l'un des plus importants de l'époque, à en juger par les documents, a réalisé de nombreuses œuvres pour Louis d’Orléans et plus tard pour son fils. Malgré le fait qu'elles aient disparu et que, par conséquent, leur style n'est pas connu, rien n’interdit de penser qu’il puisse s’agit d’œuvres du type du panneau du Prado. Le thème représenté et l'incorporation du psaume Miserere dans le phylactère qu'il tient en main apparaît dans certains cas dans des contextes funéraires, où il est justifié que le duc soit seul. Si tel est le cas, les commanditaires des travaux auraient pu être sa femme et son fils aîné Charles d'Orléans, qui fit aussi construire sa tombe après son assassinat en 1407 et qui maintint à son service les mêmes artistes qui travaillèrent pour Louis d'Orléans.
(Texte extrait de Silva, P. dans : Rapport d'activités 2012, Museo Nacional del Prado, 2013, pp. 20-22). »
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