Albrecht Altdorfer. Paysage du Danube près de Ratisbonne (1520-1525)
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Patrick AULNAS
Albrecht Altdorfer (v. 1480-1538) est le principal représentant de l’École du Danube. Peintre et graveur comme Albrecht Dürer, dont il est le contemporain, il peut être considéré comme l’un des fondateurs de la peinture de paysage. Avec Paysage du Danube, il réalise le premier paysage connu de l’art occidental ne comportant aucun personnage et réalisé avec la technique de la peinture à l’huile.
Albrecht Altdorfer. Paysage du Danube près de Ratisbonne (1520-1525)
Huile sur vélin monté sur bois de hêtre, 30,5 × 22,2 cm, Alte Pinakothek, Munich.
L’École du Danube
Ce courant pictural, aussi appelé style du Danube, se développe dans la première moitié du 16e siècle, en Allemagne du sud, le long du Danube. Son influence locale s’étend de Ratisbonne (Regensburg en allemand) à Vienne en Autriche. Mais son influence historique sera importante car il s’agit du premier mouvement artistique s’intéressant tout particulièrement au paysage.
Une profonde sensibilité à la beauté et aux mystères de la nature caractérisent les peintres du Danube. L’homme, omniprésent dans les paysages du 15e siècle, devient un simple élément de la composition, alors qu’auparavant le paysage n’était que le décor d’une scène historique ou religieuse. Certains tableaux, en particulier Paysage du Danube, comportent une véritable dimension préromantique. Wolf Huber (v. 1485-1553) fut l’autre grand maître de l’École du Danube.
Analyse de l’œuvre
Le tableau représente un paysage connu situé près de Ratisbonne. L’édifice visible dans les lointains est identifié : il s’agit du château de Wörth an der Danau (Wörth sur Danube) datant du 10e siècle mais reconstruit et agrandi aux 16e et 17e siècles. Il appartenait aux princes de Ratisbonne et constituait une forteresse d’importance stratégique. Le château de Wörth est aujourd’hui en excellent état et peut-être visité.
Vue actuelle du château de Wörth an der Danau
Si le paysage local inspire l’artiste, celui-ci ne cherche nullement à le reproduire fidèlement. Les peintres de l’École du Danube veulent traduire les états d’âme que produisent sur eux fleuves, vallées, forêts profondes et éléments d’architecture. Aussi leurs paysages n’ont-ils aucun caractère topographique. Il s’agit de paysages recomposés en atelier à partir de dessins.
La créativité germanique dans le domaine du paysage est à cette époque tout à fait exceptionnelle. Albrecht Dürer s’était orienté vers le paysage topographique, en réalisant des études de petit format à la gouache ou à l’aquarelle, par exemple L’Église Saint-Jean à Nuremberg (v. 1489). Quant aux paysages-monde des flamands, ils cherchaient à synthétiser le réel en un seul panorama comportant toujours une scène religieuse ou historique : Joachim Patinir, Le repos pendant la fuite en Égypte (1518-1520). Altdorfer se rattache à une troisième orientation qui appréhende l’âme romantique allemande confrontée aux mystères de la nature.
La composition de Paysage du Danube est très rigoureuse. Au premier plan, deux grands arbres encadrent la scène, celui de gauche comportant le monogramme du peintre inscrit sur le tronc.
Albrecht Altdorfer. Paysage du Danube, détail
Contrairement au paysage-monde des flamands, qui ne réservait au ciel qu’une portion congrue, le ciel représente ici les deux-tiers de la hauteur. Par contre, l’effet de profondeur est obtenu de la même façon, en agençant trois plans successifs correspondant à une dominante chromatique. Le vert de la végétation, en bas, se prolonge par le bleu des montagnes lointaines puis par le blanc de l’horizon. Cet effet de perspective atmosphérique est maîtrisé par tous les grands artistes de l’époque. Mais l’effet de contre-jour – la lumière venant éclairer le paysage depuis l’horizon – est particulièrement original dans Paysage du Danube et préfigure l’utilisation systématique qu’en fera Claude Lorrain plus d’un siècle plus tard.
Albrecht Altdorfer. Paysage du Danube, détail
Le ciel tourmenté et le château perdu dans la végétation traduisent la puissance de la nature et la fragilité de l’homme. Le tableau n’a aucun caractère narratif et constitue le premier « paysage pur » peint à l’huile de l’histoire de l’art occidental. Aucun être humain n’apparaît qui pourrait conduire l’observateur vers un récit. Il s’agit exclusivement de transmettre une émotion face au spectacle de la nature.
La nature bavaroise avec ses forêts profondes et inquiétantes, peut-être peuplées de personnages mythologiques, constitue ainsi le sujet du tableau. Certains auteurs ont évoqué la « passion de la forêt » allemande à propos des peintres de l’école du Danube. Le fantastique reste latent mais il est suggéré par le château plein de mystère au fond de la vallée.
Albrecht Altdorfer. Paysage du Danube, détail
Ce dialogue pictural avec la nature seule, ou plus exactement entre la nature et l’âme germanique, constitue une innovation majeure qui s’adressait à l’époque à des connaisseurs. Elle conduit, à travers l’histoire de la peinture de paysage, aux impressionnistes et même aux approches les plus contemporaines recréant sur la toile une nature non figurative qui n’est qu’une tentative d’exprimer par l’image un ressenti totalement subjectif.
Quelques autres paysages de l’École du Danube
Les scènes mythologiques ou religieuses restent présentes dans de nombreux tableaux de l’École du Danube. Dans certaines compositions plus tardives, de petits personnages subsistent mais le sujet est désormais le paysage.
Albrecht Altdorfer. Paysage avec satyres (1507). Huile sur bois, 23 × 20 cm, Staatliche Museen, Berlin. |
Albrecht Altdorfer. Saint Georges terrassant le dragon (1510). Huile sur parchemin monté sur bois, 28,2 × 22,5 cm, Alte Pinakothek, Munich. |
Albrecht Altdorfer. Paysage avec bûcheron (1522). Crayon, aquarelle et gouache sur papier, Kupferstichkabinett, Staatliche Museen, Berlin. |
Wolf Huber. Paysage préalpin (1532). Aquarelle, 21 × 37 cm, Kupferstichkabinett, Staatliche Museen, Berlin. |
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