La fuite en Égypte. 10 chefs-d’œuvre
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Patrick AULNAS
La fuite de la Sainte Famille (Joseph, la Vierge et l’Enfant Jésus) constitue un des grands thèmes classiques de la peinture religieuse à partir du 13e siècle. L’épisode est relaté dans l’Évangile selon saint Matthieu. Le roi Hérode Ier de Palestine, ayant appris la naissance à Bethléem du roi des Juifs, donne l’ordre de tuer tous les enfants de moins de deux ans se trouvant dans la ville. Prévenu par un songe, Joseph s’enfuit en Égypte avec l’Enfant Jésus et sa mère Marie. Ils y resteront jusqu’à la mort d’Hérode. Voici le texte de l’Évangile selon Matthieu :
Mt 2:12- Après quoi, avertis en songe de ne point retourner chez Hérode, ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays.
Mt 2:13- Après leur départ, voici que l'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : " Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-y jusqu'à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr. "
Mt 2:14- Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte ;
Mt 2:15- et il resta là jusqu'à la mort d'Hérode, pour que s'accomplît cet oracle prophétique du Seigneur : D'Égypte j'ai appelé mon fils.
Le thème est picturalement intéressant car il permet de saisir les trois personnages en fuite dans un cadre paysager. De multiples choix de composition, de couleur et d’éclairage sont envisageables, d’où la constance des artistes à utiliser le sujet jusqu’au 18e siècle avec l’ambition de le renouveler. Deux variantes principales ont été traitées : la Sainte Famille marche, en général accompagnée d’un âne sur lequel se trouve Marie et son fils, ou bien la Sainte Famille au repos après une longue marche.
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Giotto
La fuite en Egypte (1315-20)
Fresque, Basilique Saint-François d'Assise, église inférieure.
Devant un paysage accidenté au ciel bleu sombre, Giotto place la Sainte Famille en route vers l’Égypte. Son apport est essentiel car il humanise les personnages bibliques, qui se comportent comme des humains ordinaires. Seule l’auréole encadrant la tête indique la sainteté.
Chez Giotto, les figures traditionnelles de la religion chrétienne (le Christ, la Vierge, les apôtres, les saints) sont représentées comme des êtres humains, ressentant la souffrance physique et éprouvant toute une gamme d'émotions. Giotto est un précurseur car il va parfois très loin dans cette direction, beaucoup plus loin que les autres peintres de son époque.
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Lorenzo Monaco
Annonciation Bartolini Salimbeni, La fuite en Égypte (1420-24)
Quatrième scène de la prédelle. Tempera et or sur bois,
chapelle Bartolini Salimbeni de la basilique Santa Trinita, Florence.
Ce retable venait compléter les fresques réalisées par Lorenzo Monaco pour la même chapelle. La scène principale, une Annonciation, donne son titre au retable. L’influence de Giotto apparaît encore un siècle plus tard dans la scène de La Fuite en Égypte qui reprend le même type de composition et le même positionnement des figures.
L’œuvre de Lorenzo Monaco se situe au point d’inflexion de la peinture italienne, entre le courant giottesque et le style gothique international. Avec cet artiste s’achève la pré-Renaissance. Son influence sur les premiers artistes couramment rattachés à la Première Renaissance italienne, comme Masaccio et Fra Angelico, est importante. Fra Angelico, né à l’extrême-fin du 14e siècle, fut d’ailleurs l’élève de Lorenzo Monaco.
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Gérard David
Le repos pendant la fuite en Egypte (v. 1510)
Huile sur bois, 41,9 × 42,2 cm, National Gallery of Art, Washington.
Image HD sur NATIONAL GALLERY OF ART
Etude détaillée
La composition de Gérard David respecte les critères picturaux de l’époque par son parfait équilibre. La figure de la Vierge, placée au centre et au premier plan, se découpe de façon pyramidale sur un paysage en trois plans successifs. De nombreux tableaux de David donnent une place importante au paysage, mais à cette époque le paysage n’est que le décor dans lequel se déroule la scène mythologique ou religieuse.
Gérard David peut être considéré comme l'un des derniers grands « primitifs flamands ». Son originalité se situe dans l’emploi de couleurs suaves et dans un goût prononcé pour le paysage, qui apparaît presque toujours à l'arrière-plan et qui conquiert un statut privilégié.
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Vittore Carpaccio
La fuite en Égypte (v. 1515)
Huile sur bois, 72 × 111 cm, National Gallery of Art, Washington.
Image HD sur NATIONAL GALLERY OF ART
Comme Giotto et Monaco, Carpaccio représente La fuite en Égypte en faisant défiler devant nous les trois personnages et l’âne. Le traitement du paysage d’arrière-plan est cependant beaucoup plus soigné et correspond au paysage italien connu du peintre et non au paysage du Moyen Orient. Les vêtements permettent de libérer la couleur, la tenue somptueuse de la Vierge étant une exception dans la représentation très fréquente de cette scène à la Renaissance.
Carpaccio a traité de multiples sujets religieux en valorisant le paysage, toujours très soigné et comportant de nombreux détails réalistes. Le traitement minutieux du feuillage est une rareté au début du 16e siècle.
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Joachim Patinir
Le repos pendant la fuite en Egypte (v. 1520)
Huile sur bois, 121 × 177 cm, Musée du Prado, Madrid.
Image HD sur MUSÉE DU PRADO
Etude détaillée
La Vierge et l'Enfant Jésus sont ici au premier plan tandis que Joseph, à gauche, ramène une cruche d'eau. Il s'agit d'une vue plus rapprochée que dans la plupart des paysages de Patinir, mais le peintre n'a pas manqué de laisser en haut et à droite un espace vers l'infini. La richesse chromatique est exceptionnelle : multiples nuances de vert associées au dégradé gris-bleu vers les lointains.
Joachim Patinir est un peintre flamand considéré comme le premier paysagiste de l'histoire de l'art occidental. Mais le paysage seul n’était pas concevable au début du 16e siècle. Patinir place donc toujours une scène religieuse au milieu d’un paysage.
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Lorenzo Lotto
Le repos pendant la fuite en Égypte (1529-30)
Huile sur toile, 82 × 133 cm, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.
Dans cette représentation inhabituelle de l’épisode biblique, la Sainte Famille (Marie, Joseph et Jésus enfant) est accompagnée de sainte Justine de Padoue (agenouillée), martyre chrétienne morte sous les persécutions de l’empereur Maximien (250-310), la poitrine percée par une épée. Elle apparaît fréquemment dans la peinture de Padoue et de Venise.
Lorenzo Lotto a élaboré un style personnel et original qui lui valut l’ostracisme des historiens pendant plusieurs siècles. L’historien américain Bernard Berenson (1865-1959) le redécouvre au 19e siècle et lui donne une place éminente dans l’histoire de l'art.
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Annibale Carracci
La fuite en Egypte (1603)
Huile sur toile, 122 × 230 cm,Galleria Doria Pamphilj, Rome.
Ce paysage appartient à une série de six lunettes illustrant des épisodes de la vie de la Vierge exécutés par Annibal Carrache et ses disciples à Rome, pour la chapelle du palais du cardinal Pietro Aldobrandini (1571-1621). Cette œuvre monumentale comportant un paysage profond et rigoureusement construit, avec les figures de la Sainte Famille parfaitement intégrées au centre et au premier plan, préfigure le classicisme qui s’épanouit en Italie et en France au 17e siècle et dont Claude Lorrain et Nicolas Poussin représentent les artistes les plus éminents.
Les Carrache (Annibale, Agostino et Ludovico) avaient créé une Académie (école) qui joua un rôle majeur dans l’évolution de la peinture italienne puis française.
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Claude Lorrain
La fuite en Egypte (1635)
Huile sur toile, 71 × 98 cm, Museum of Art, Indianapolis.
La fuite en Egypte n’est pour Claude Lorrain qu’un prétexte pour peindre un vaste paysage. Il fallait en passer par là à l’époque pour être considéré comme un artiste de premier plan. Les sujets mythologiques et religieux constituaient le sommet de la hiérarchie des genres.
Claude Gellée, dit Le Lorrain, sans doute le plus grand paysagiste français du 17e siècle, compose son paysage en atelier en utilisant des dessins préparatoires pris sur le vif. Le traitement de la lumière, en particulier le contre-jour (la lumière vient du fond du tableau), lui vaudra l’admiration unanime des générations ultérieures.
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Nicolas Poussin
La fuite en Égypte (1657)
Huile sur toile, 98 × 133 cm, musée des Beaux-Arts de Lyon.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
« L’artiste élabore sa composition autour d’une diagonale délimitant à gauche l’espace sacré (céleste) et à droite l’espace profane (terrestre). Au centre, la Sainte Famille chemine dans un paysage de la campagne romaine, guidée par un ange. Chaque regard désigne une direction ou un dialogue particulier : Joseph questionne l’ange, Marie se retourne comme nostalgique du passé, l’âne avance dans l’ombre vers l’avenir incertain, alors que Jésus, au centre de la composition interpelle le spectateur. Les diagonales du tableau convergent vers le geste protecteur de la Vierge, soulignant ainsi que la fuite en Égypte constitue l’une des sept Douleurs éprouvées par Marie, annonciatrice de la Passion du Christ.
Installé définitivement à Rome depuis 1642, Poussin puise son inspiration dans les vestiges antiques, les œuvres de la Renaissance, tout autant que dans les modèles classiques contemporains d’Annibal Carrache. Ainsi, la figure de la Vierge qui se retourne dérive sans doute d’un bas-relief romain, l'attitude de l’ange et la pose du voyageur couché s'inspirent de fresques et de gravures de Raphaël, le portique à l’arrière et l’arbre courbé sont tirés d’une mosaïque antique.
L'œuvre fut commandée à l’artiste en 1657 par le soyeux lyonnais Jacques Sérisier, installé à Paris. Âgé de 63 ans, Poussin est alors l’une des grandes figures de la peinture européenne et l’initiateur du classicisme français. L'artiste-philosophe livre ici l’un de ses tableaux les plus énigmatiques, dans lequel transparait sa réflexion universelle et intemporelle sur l’exil. » (Commentaire musée des Beaux-Arts de Lyon)
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François Boucher
Le Repos pendant la fuite en Égypte (1757)
Huile sur toile, 139,5 × 148,5 cm, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.
Image HD sur ERMITAGE
Cette composition typiquement rococo conjugue une partie céleste, avec de multiples putti émergeant des nuages, et une partie terrestre avec la Vierge lisant, l’enfant Jésus et saint Jean-Baptiste jouant. Joseph, les yeux au ciel, semble implorer l’aide de Dieu. La juxtaposition de la sérénité de Marie, assise à côté d’une brebis paisible, et de l’inquiétude de Joseph, en équilibre instable sur la rive d’un torrent, souligne la répartition des rôles dans cette fuite : Joseph doit protéger sa famille et lutter contre l’adversité. Boucher, grand coloriste, utilise une gamme large et nuancée de bleus, gris, verts, jaunes et rouges.
François Boucher, protégé de la marquise de Pompadour (1721-1764), traduit remarquablement l’esprit de l’aristocratie sous le règne de Louis XV. Écartant la gravité pour promouvoir la frivolité, il illustre dans ses tableaux le bonheur de vivre d’une aristocratie qui ignore encore qu’elle disparaîtra bientôt.
Commentaires
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- 1. Dang Nguyen Le 10/10/2022
Merci pour cette très belle série de tableaux qui m'étaient inconnus pour une majorité. Du très beau travail!
Personnellement j'en aurais rajouté un onzième, le repos durant la fuite en Egypte de Caravage, qui se trouve à la Galleria Doria Pamphilij, comme celui de Carracci.
Cela donne l'occasion de comparer sur un thème commun, l'oeuvre des deux initiateurs de l'art baroque. Malheureusement ils ne sont pas exposés côte à côte, ce qui est dommage. L'accrochage dans cette galerie (privée qui appartient à la famille Pahmphilij) respecte les usages du XVIIIème siècle (tableaux empilés), mais c'est une aberration pour le visiteur moderne.
Le tableau de Caravage est extraordinaire: c'est une très belle scène de tendresse d'un peintre réputé violent et querelleur. C'est aussi le seul tableau de paysage du lombard sans doute. Bref il mérite d'être connu ;-)-
- rivagedebohemeLe 10/10/2022
Vous avez tout à fait raison pour le tableau de Caravage, que je ne connaissais pas. C'est une splendeur. Le contraste avec celui de Carrache, de la même époque, aurait vraiment mérité d'être mis en évidence dans la galerie.
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